jeudi 1 décembre 2011

Choisir la solidarité pour préserver la Sécu


Les cinq auteurs du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire, appelés «au devoir de responsabilité» par Nicolas Sarkozy, lui répliquent: c'est «l'ambition même du manifeste». Ils invitent «l'ensemble des responsables politiques à placer la santé et l'assurance-maladie au cœur du débat démocratique et électoral de 2012».



Dans son discours du 15 novembre à Bordeaux, le président de la République a réaffirmé sa détermination à «préserver le modèle social français menacé par les fraudes à la Sécurité sociale». Il a, à cette occasion, évoqué les propositions du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire et en a appelé «au devoir de responsabilité» de ses auteurs, soupçonnés de vouloir «abandonner tout mécanisme de maîtrise des dépenses de santé et s'en remettre à des augmentations automatiques des cotisations».

Cet appel au devoir de responsabilité, nous le faisons nôtre. C'est l'ambition même du manifeste.

Responsabilité citoyenne, qui a conduit 123 signataires, représentants d'associations de patients et professionnels de santé, mais aussi chercheurs, économistes, juristes, créateurs, artistes, à inviter publiquement l'ensemble des responsables politiques à placer la santé et l'assurance-maladie au coeur du débat démocratique et électoral de 2012.

Responsabilité d'acteurs ou d'observateurs du système de santé, qui refusent de voir se dégrader plus encore une médecine de ville et des hôpitaux construits par la volonté des générations qui se sont succédé depuis 1945, qui ont bénéficié d'un investissement social et fiscal sans précédent de l'ensemble de la population et qui faisaient encore récemment notre fierté collective.

Responsabilité d'assurés sociaux, qui n'acceptent pas de voir leur Sécurité sociale laminée par l'augmentation des tickets modérateurs, l'instauration de forfaits et de franchises et le développement des dépassements d'honoraires. Les renoncements aux soins se multiplient. Dans certaines villes et spécialités, plus de la moitié des praticiens sont en honoraires libres avec des tarifs de consultation représentant, à Paris, jusqu'à 4 fois le tarif de la Sécurité sociale. Et ces honoraires peuvent atteindre 1.500 euros pour une cataracte, 3.000 euros pour une prothèse de hanche.

Responsabilité d'usagers et d'agents des services publics de santé, qui dénoncent la logique de concurrence inégale entre cliniques privées et hôpitaux publics qui conduit ces derniers à s'aligner sur la politique commerciale des premières, par exemple par l'instauration de supplément de 40€ par nuit pour une chambre seule, à orienter leurs activités en fonction de la tarification, à réduire les prises en charge mal financées comme l'accueil des plus démunis ou l'éducation thérapeutique et à restreindre d'une manière générale leurs activités de service public.

Responsabilité d'adhérents d'organismes de protection complémentaire, qui s'opposent à la substitution des assurances et des mutuelles à la Sécurité sociale pour les soins courants. La Sécurité sociale ne rembourse plus aujourd'hui que 55% des soins qui ne relèvent ni d'une maladie grave prise en charge à 100%, ni d'une hospitalisation. Ce transfert vers les complémentaires se traduit par une hausse très forte de leurs primes d'assurance, d'autant plus que des taxes leur sont imposées pour financer la sécurité sociale! Or, les cotisations des complémentaires sont très inégalitaires. À la différence de la CSG, elles pénalisent les revenus les plus modestes, les familles et les personnes les plus âgées dont le risque maladie est accru et elles ne pèsent pas sur les revenus du patrimoine...

Responsabilité de cotisants, qui préconisent et assument une maîtrise drastique des dépenses d'assurance-maladie, qui proposent de supprimer les abus et les gaspillages, de réviser le panier des soins financés par la collectivité, d'actualiser en permanence les tarifs des prestations et des prix des médicaments et autres produits de santé et de réduire les disparités des prescriptions et des actes médicaux, pour réguler durablement la dépense. Comment expliquer, par exemple, que les médicaments génériques soient deux fois plus chers en France qu'en Angleterre? Différence pour la «Sécu»: un milliard d'euros par an! Et pourquoi la «Sécu» continue-t-elle à rembourser généreusement les cures thermales? La liste des dépenses à revoir est longue... Qu'il faille aussi lutter contre les prescriptions injustifiées d'arrêts de travail est incontestable. Mais ces déviances connues de la Sécurité sociale, ne concernent qu'une infime minorité des médecins et des assurés sociaux et une part infinitésimale des dépenses. L'équilibre de l'assurance-maladie se joue ailleurs.

Responsabilité de citoyens enfin, qui affirment qu'en cas de déséquilibre financier malgré une politique volontariste de maîtrise des dépenses, il faut accepter d'augmenter les prélèvements obligatoires en réduisant les niches sociales, régulièrement dénoncées par la Cour des comptes, et, si tout cela ne suffit pas, préférer une augmentation de la CSG plutôt qu'un renvoi à la dette, c'est-à-dire au transfert sur les générations à venir de leurs dépenses de consommation de soins. Le principe d'une augmentation automatique des prélèvements en cas d'insuffisance de la maîtrise, loin d'être, dans cette démarche, une marque de laxisme, est l'affirmation solennelle de la responsabilité des générations actuelles à l'égard des générations futures.

La logique du manifeste n'est ni «irresponsable», ni «absurde», ni «dangereuse». Elle invite à un choix de solidarité, au renforcement du pacte social au moment où déferle une crise économique sans précédent. C'est par gros temps que les dispositifs de sécurité doivent être renforcés, que les solidarités sociales fondamentales doivent être réaffirmées.

Les signataires du Manifeste demandent simplement que l'avenir de notre système de santé soit l'un des thèmes essentiels du débat lors des élections présidentielles et législatives: quelle part doit relever de la solidarité et quelle part doit rester à la charge des personnes directement ou par le biais d'assurances complémentaires? Comment construire un service public de la médecine de proximité? Comment refonder un service public hospitalier? Comment développer la santé publique, la sécurité sanitaire et la prévention? A chacun, ensuite, de se prononcer en toute connaissance de cause sur ces questions. L'avenir du système de santé et de l'assurance maladie mérite bien un débat responsable.

André Grimaldi, Didier Tabuteau, François Bourdillon, Frédéric Pierru,Olivier Lyon-Caen, auteurs du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire.

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