mercredi 27 juillet 2011

Louise Michel et le drapeau noir


                          .                        

Le drapeau noir des canuts révoltés fait une apparition « remarquée » dans la manifestation des sans-travail aux Invalides à Paris, le 9 mars 1883, lors d’un meeting organisé par le syndicat des menuisiers. Louise Michel y arbore, pour la première fois, un drapeau improvisé, à partir d’un vieux jupon noir fixé sur un manche à balai.


Voici la défense du dra­peau noir qu’elle fit lors de son procès le 22 juin 1883 :


« Il y a quel­que chose de plus impor­tant, dans ce procès, que l’enlè­ve­ment de quel­ques mor­ceaux de pain. II s’agit d’une idée qu’on pour­suit, il s’agit des théo­ries anar­chis­tes qu’on veut à tout prix condam­ner.

On insiste sur la fameuse bro­chure : « A l’armée ! » à laquelle le minis­tère public semble s’être appli­qué à faire une publi­cité à laquelle on ne s’atten­dait guère.
On a agi autre­ment dure­ment envers nous en 1871.
J’ai vu les géné­raux fusilleurs ; j’ai vu M. de Gallifet faire tuer, sans juge­ment, deux négo­ciants de Montmartre qui n’avaient jamais été par­ti­sans de la Commune ; j’ai vu mas­sa­crer des pri­son­niers, parce qu’ils osaient se plain­dre. On a tué les femmes et les enfants ; on a traqué les fédé­rés comme des bêtes fauves ; j’ai vu des coins de rue rem­plis de cada­vres. Ne vous étonnez pas si vos pour­sui­tes nous émeuvent peu.

Ah, certes, mon­sieur l’avocat géné­ral, vous trou­vez étrange qu’une femme ose pren­dre la défense du dra­peau noir. Pourquoi avons-nous abrité la mani­fes­ta­tion sous le dra­peau noir ? Parce que ce dra­peau est le dra­peau des grèves et qu’il indi­que que l’ouvrier n’a pas de pain.

Si notre mani­fes­ta­tion n’avait pas dû être paci­fi­que, nous aurions pris le dra­peau rouge ; il est main­te­nant cloué au Père-Lachaise, au-dessus de la tombe de nos morts. Quand nous l’arbo­re­rons nous sau­rons nous défen­dre.
Nous n’avons pas fait appel à l’Internationale morte parce qu’on n’a pu en réunir les tron­çons et parce que l’Internationale est un pou­voir occulte et qu’il est temps que le peuple se montre au grand jour.

On par­lait tout à l’heure de sol­dats tirant sur les chefs : Eh bien ! à Sedan, si les sol­dats avaient tiré sur les chefs, pensez-vous que c’eût été un crime ? L’hon­neur au moins eût été sauf. Tandis qu’on a observé cette vieille dis­ci­pline mili­taire, et on a laissé passer M. Bonaparte, qui allait livrer la France à l’étranger.
Mais je ne pour­suis pas Bonaparte ou les Orléans ; je ne pour­suis que l’idée.
J’aime mieux voir Gautier, Kropotkine et Bernard dans les pri­sons qu’au minis­tère. Là ils ser­vent l’idée socia­liste, tandis que dans les gran­deurs on est pris par le ver­tige et on oublie tout.

Quant à moi, ce qui me console, c’est que je vois au-dessus de vous, au-dessus des tri­bu­naux se lever l’aurore de la liberté et de l’égalité humaine.

Nous sommes aujourd’hui en pleine misère et nous sommes en République. Mais ce n’est pas là la République. La République que nous vou­lons, c’est celle où tout le monde tra­vaille, mais aussi où tout le monde peut consom­mer ce qui est néces­saire à ses besoins...

On nous parle de liberté : il y a la liberté de la tri­bune avec cinq ans de bagne au bout. Pour la liberté de réu­nion c’est la même chose En Angleterre le mee­ting aurait eu lieu ; en France, on n’a même pas fait les som­ma­tions de la loi pour faire reti­rer la foule qui serait partie sans résis­tance Le peuple meurt de faim, et il n’a pas même le droit de dire qu’il meurt de faim. Eh bien, moi, j’ai pris le dra­peau noir et j’ai été dire que le peuple était sans tra­vail et sans pain. Voilà mon crime ; vous le juge­rez comme vous vou­drez.

Vous dites que nous vou­lons faire une révo­lu­tion. Mais ce sont les choses qui font les révo­lu­tions : c’est le désas­tre de Sedan qui a fait tomber l’empire, et quel­que crime de notre gou­ver­ne­ment amè­nera aussi une révo­lu­tion.
Cela est cer­tain. Et peut-être vous-mêmes, à votre tour, vous serez du côté des indi­gnés si votre inté­rêt est d’y être. Songez-y bien.

S’il y a tant d’anar­chis­tes c’est qu’il y a beau­coup de gens dégoû­tés de la triste comé­die que depuis tant d’années nous don­nent les gou­ver­ne­ments. Je suis ambi­tieuse pour l’huma­nité moi je vou­drais que tout le monde fût assez artiste, assez poète pour que la vanité humaine dis­pa­rût. Pour moi, je n’ai plus d’illu­sion. Et tenez, quand M. l’avocat géné­ral parle de ma vanité. Et bien ! j’ai trop d’orgueil même pour être un chef : il faut qu’un chef à des moments donnés, s’abaisse devant ses sol­dats, et puis, tout chef devient un des­pote.

Je ne veux pas dis­cu­ter l’accu­sa­tion de pillage que l’on me repro­che, cela est trop ridi­cule. Mais, si vous voulez me punir, je com­mets tous les jours des délits de presse, de parole, etc. Eh bien ! Poursuivez-moi pour ces délits.

En somme, le peuple n’a ni pain ni tra­vail, et nous n’aurons en pers­pec­tive que la guerre. Et nous, nous vou­lons Ia vie en paix de l’huma­nité par l’union des peu­ples.
Voilà les crimes que nous avons commis.
Chacun cher­che sa route ; nous cher­chons la nôtre et nous pen­sons que le jour où le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé, le genre humain sera heu­reux ».

Texte de la Défense de Louise Michel, pro­non­cée le 22 juin 1883, devant la Cour d’Assise de la Seine ; in Ecrits sur l’Anarchisme - Ed Seghers, 1964.


L'Insoumise

C’est dès fin 1882 que les anar­chis­tes se pro­non­cent pour l’aban­don du dra­peau rouge au profit du noir, celui de la révolte.

Le 18 mars 1883, Louise Michel s’exclame salle Favié à Paris : « Plus de dra­peau rouge, mouillé du sang de nos sol­dats. J’arbo­re­rai le dra­peau noir, por­tant le deuil de nos morts et de nos illu­sions » [1].
Louise Michel reprend le même dis­cours à Lyon, devant une foule qui, lors de la révolte des Canuts, avait vu, pour la pre­mière fois l’appa­ri­tion du dra­peau noir. Elle était encore dans les mémoi­res.

Le numéro 1 du jour­nal « Le dra­peau noir » paru à Lyon le 12 août 1883 s’exprime, en effet, sur ce choix : « Les événements, les faits de tous les jours, nous ont montré clai­re­ment que le dra­peau rouge, si glo­rieux vaincu, pour­rait bien, vain­queur, cou­vrir de ses plis flam­boyants, les rêves ambi­tieux de quel­ques intri­gants de bas étages. Puisqu’il a déjà abrité un gou­ver­ne­ment et servi d’étendard à une auto­rité cons­ti­tuée. C’est alors que nous avons com­pris qu’il ne pou­vait plus être pour nous, les indis­ci­pli­nés de tous les jours et les révol­tés de toutes les heures, qu’un embar­ras ou qu’un leurre. »

Notes
[1] Cité par Maurice Dommanget dans L’Histoire du drapeau rouge, des origines à la guerre de 1939

http://rebellyon.info/Louise-Michel-et-le-drapeau-noir.html

______________________


LOUISE MICHEL (1830-1905)


                                        DSC00076

Née dans la Haute-Marne, fille d’un châtelain et de sa servante, Louise Michel grandit au château de ses grands-parents. Elle y reçoit une éducation libérale et une bonne instruction dans une ambiance voltairienne, qui lui permettent d’obtenir son brevet de capacité : la voilà institutrice. Mais elle refuse de prêter serment à l’empereur et ouvre alors une école privée en 1853. En 1855, elle enseigne dans une institution de la rue du Château-d’Eau. Elle écrit des poèmes, collabore à des journaux d’opposition, fréquente les réunions publiques. Sa rencontre avec Théophile Ferré la marque pour la vie.

En novembre 1870, elle est présidente du Comité de vigilance républicain du XVIIIe arrondissement. Pendant la Commune, elle est garde au 61e bataillon, ambulancière, et elle anime le Club de la révolution, tout en se montrant très préoccupée de questions d’éducation et de pédagogie.Dans la nuit du 17 au 18 mars, les troupes du général Vinoy reçoivent l’ordre de reprendre les canons des Parisiens. Mais on avait oublié les chevaux ; et les ménagères ont eu le temps de donner l’alerte. Le comité de vigilance du XVIIIe arrondissement, que dirigent Ferré et Louise Michel, monte à l’assaut de la butte Montmartre. Et l’on voit alors d’étonnantes manifestations : femmes, enfants, gardes fédérés entourent les soldats, qui fraternisent avec la foule joyeuse et pacifique. Cependant, le soir, deux généraux, le général Lecomte qui le matin avait donné, sans être obéi, l’ordre de tirer sur les Parisiens, et le général Clément Thomas, qui avait, en juin 1848, décimé les insurgés, sont fusillés, rue des Rosiers. C'est la rupture définitive avec Versailles. Louise Michel comme son ami Ferré sont de ceux qui pensent qu'il faut en finir maintenant avec le gouvernement de Versailles, ils veulent poursuivre l'offensive sur Versailles pour arrêter le gouvernement et Thiers, ils ne sont pas écouter. Thiers n'a alors que peu de troupe à opposer à la commune, cela ne durera pas , l'occasion est manquée. Louise Michel fait partie de la franche des communards la plus révolutionnaire. Volontaire pour se rendre seule à Versailles afin de tuer Thiers, la presse bourgeoise la surnomme alors la Louve Rouge. Faite prisonnière lors de l'écrasement de la commune, elle assiste aux exécutions, comme femme elle échappe à la peine de mort(1). Elle est condamnée le 16 décembre 1871 à la déportation dans une enceinte fortifiée. Ayant vu mourir tout ses amis et surtout Ferré, elle réclame la mort au tribunal .C'est sans doute en l’apprenant que Victor Hugo écrit son poème «Viro Major».

Arrivée en Nouvelle-Calédonie en 1873, Louise Michel date de cette époque son adhésion à l’anarchie, fidèle alors a son idéal, elle doit subir les injustices de ses gardes et de l'administration, elle s’emploie, malgré cela, à l’instruction des Canaques et les soutient dans leur révolte contre les colons. Révolte noyée dans le sang ou plutôt, brûlée dans les cendres puisque pour en finir avec les insurgés, l'administration de la colonie fait mettre le feu à la foret ou se cache les insurgés. Après l’amnistie de 1880, son retour à Paris est triomphal. «Un visage aux traits masculins, d’une laideur de peuple, creusé à coups de hache dans le cœur d’un bois plus dur que le granit... telle apparaissait, au déclin de son âge, celle que les gazettes capitalistes nommaient la Vierge rouge, la Bonne Louise» (Laurent Tailhade).

Figure légendaire du mouvement ouvrier, porte-drapeau de l’anarchisme, elle fait se déplacer les foules. Militante infatigable, ses conférences en France, en Angleterre, en Belgique et en Hollande se comptent par milliers. En 1881, elle participe au congrès anarchiste de Londres. À la suite de la manifestation contre le chômage de Paris (1883), elle est condamnée à six ans de prison pour pillage, devant le tribunal, une fois encore louise Michel utilise le banc des accusés comme une tribune politique. Dans ses prises de paroles elle essaye à chaque fois de mettre en accusation l'état bourgeois. Elle nous montre, car c'est encore valable aujourd'hui, qu'il n'y a rien à attendre de la justice d'un etat bourgeois : c'est une justice de classe, il faut donc la combattre, sans jamais s'en remettre à elle dans l'espoir (vain) qu'elle se montre juste. "Mais pourquoi me défendrais-je? Je vous l'ai déja déclaré, je me refuse à le faire(...)Je sais bien que tout ce que je pourrai vous dire ne changera rien a votre sentence". C'est une lecon de courage que donne Louise Michel à chacune de ses comparutions devant les tribunaux de la république. Elle n'essaye pas de convaincre ses juges, c'est inutile ils sont aux ordres, elle les défie.
De 1890 à 1895, Louise Michel est à Londres, où elle gère une école libertaire. Rentrée en France, elle reprend ses tournées de propagande. Elle meurt au cours de l’une d’elles à Marseille. Ses funérailles donnent lieu à une énorme manifestation, et tous les ans jusqu’en 1916 un cortège se rendra sur sa tombe. La vie de Louise Michel est une vie de militante, elle laisse trés peu d'écrits théorique, (beaucoup de poêmes par contre) mais par contre sa vie est un exemple de lutte sans compromission avec les règles d'une république bourgeoise. C'est pour cela qu'il est aujourd'hui important de connaitre et de faire connaitre la vie de Louise Michel.

(1) de nombreuses femmes ont été fusillées lors de la semaine sanglante, mais le tribunal militaire qui juge Louise Michel, décide de lui laissée la vive sauve parcequ'elle est une femme. C'est du moins ainsi que le président du tribunal justifie la "clémence" de la cour.

http://www.chez.com/durru/lmichel/louisemichel.htm

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire