mardi 31 janvier 2012

Metz, 1961: enquête sur une ratonnade




Que s'est-il passé à Metz, dans la nuit du 23 au 24 juillet 1961, en pleine guerre d'Algérie ? Une fusillade dans le dancing Trianon fréquenté par les paras, une expédition punitive immédiate, et officiellement deux morts. Mais encore beaucoup de zones d'ombre et d'épais silences. En six étapes, ce webdocumentaire de Jean-Baptiste Allemand raconte les affrontements et leurs conséquences à l'aide de rares témoignages sonores et vidéo.

Cliquer sur l'image pour accéder au webdocumentaire
Cliquer sur l'image pour accéder au webdocumentaire© Jean-Baptiste Allemand

Un webdocumentaire plus ample (“La nuit des paras”), réalisé toujours par Jean-Baptiste Allemand, est disponible ici.

Metz, à l'époque ville caserne, sixième région militaire de France, abrite des militaires qui reviennent ou partent en Algérie. Dans le même temps, le bassin houiller de Lorraine accueille aussi de nombreux Algériens venus travailler dans les mines. Cinquante ans plus tard, raconter les haines et les rancœurs, revenir sur l'histoire, a réveillé « les souvenirs douloureux voire des blessures chez des gens qui avaient tout fait pour oublier », raconte Jean-Baptiste Allemand. L'enquête ne fut pas facile, la méfiance envers ce jeune journaliste se doubla de rendez-vous annulés ou simplement manqués. De plus, « aux archives départementales de Moselle, de nombreux documents liés à l'affaire du Trianon sont soumis à une demande de dérogation, qui doit être transmis au ministère de l'intérieur pour autorisation », poursuit-il. Un archiviste l'avait prévenu : « C'est toujours comme ça quand ça touche à la guerre d'Algérie. »
2012 marque le cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie. Le 1erjuillet 1962, le référendum d'autodétermination prévu par les accords d'Evian du 18 mars 1962 ouvre la voie à la naissance de la république algérienne, laquelle sera proclamée le 25 septembre. Après 132 ans de colonisation française et huit années de guerre.

Cinquante ans après, savoir ce que fut, sur le sol français, cette guerre que l'on nommait alors “les événements” n'est pas aisé. Si le massacre du métro Charonne, le 8 février 1962, où neuf personnes trouvèrent la mort à l'issue d'une manifestation organisée par la CGT, le PCF et d'autres organisations de gauche est largement documenté, d'autres événements tragiques restent toujours largement méconnus.

Cette nuit de juillet 1961 à Metz n'est pas sans rappeler celle du 17 octobre 1961 à Paris. Ce jour-là, 30.000 hommes, femmes et enfants, défilèrent pacifiquement sur les grandes artères de la capitale pour protester contre le couvre-feu imposé aux Français musulmans d'Algérie, pour revendiquer le droit à l'égalité et défendre l'indépendance de l'Algérie. Bilan de la répression : 11.000 arrestations et, selon les historiens, des dizaines de disparus, frappés à mort, jetés à la Seine, tués par balles. Une répression toujours totalement niée par les autorités de l'Etat puisque, officiellement, il n'y a toujours eu que deux morts au pont de Neuilly.


Un écho à la tragédie du 17 octobre 1961


Pour « dire la vérité au nom de la réconciliation » (ainsi que fut titré l'article d'Edwy Plenel à relire ici), Mediapart a organisé dès septembre dernier diverses manifestations et publié une série d'articles consacrés à la tragédie du 17 octobre 1961.

Ce fut d'abord la projection en avant-première, le 24 septembre, d'un film rare, interdit pendant longtemps. Octobre à Paris de Jacques Panijel est un documentaire exceptionnel : réalisé dans la clandestinité, dans les bidonvilles de Nanterre et Gennevilliers, et dans le centre de torture de la Goutte d'Or, il fut tourné quelques semaines après la manifestation de 1961. Il reconstitue à chaud l'événement, donne la parole à ceux qui organisèrent le rassemblement, à ceux qui vécurent la répression sanglante ordonnée par le préfet Maurice Papon, à ceux aussi qui échappèrent à la mort après avoir été jetés à la Seine. Lire icinotre billet avec une vidéo de la préface à ce documentaire.

Puis ce fut, le 12 octobre dernier, l'Appel pour la reconnaissance officielle de la tragédie du 17 octobre 1961 à Paris, lancé conjointement par Mediapart et l'association Au Nom de la mémoire, demandant à l'Etat français de « reconnaître les crimes du 17 octobre 1961, (afin d')ouvrir les pages d'une histoire apaisée entre les deux rives de la Méditerranée ».Quelque 9.500 personnes l'ont signée (elle est toujours ouverte à signatures ici) parmi lesquelles les dirigeants du Parti socialiste (Martine Aubry, François Hollande, Harlem Désir...), d'Europe Ecologie–Les Verts (Cécile Duflot, Daniel Cohn-Bendit), du Parti de gauche (Jean-Luc Mélenchon et Martine Billard), du Parti communiste (Pierre Laurent) et du NPA (Philippe Poutou, Olivier Besancenot).



Extrait de «Le Silence du fleuve» Mediapart a aussi proposé, dans son intégralité, le documentaire de Mehdi Lallaoui, Le Silence du fleuve(toujours visible ici) : à partir d'interviews de témoins et de protagonistes exprimant différents points de vue, de documents d'époque et de séquences tournées aujourd'hui, ce documentaire d'Agnès Denis et Mehdi Lallaoui, réalisé en 1991, apporte un éclairage indispensable sur la violente répression de la manifestation.  

Vous pouvez encore retrouver les dix-sept contributions d'écrivains (parmi lesquels Didier Daeninckx, Mehdi Charef, Magyd Cherfi) rassemblées ici dans la série 17 octobre 1961 : 17 écrivains se souviennent. 

Et enfin une étude des racines policières de cette répression raciste, des reportages sonore et vidéo réalisés dans la manifestation du 17 octobre 2011... et d'autres articles, témoignages, et billet de blog de lecteurs de Mediapart sont regroupés dans un seul et même dossier : En mémoire du 17 octobre 1961.

Et aujourd'hui, mardi 31 janvier, à 20 heures, Mediapart vous invite à débattre des mémoires franco-algériennes au Théâtre national de Chaillot. Edwy Plenel recevra quatre invités : Fatima Besnaci-Lancou et Florence Dosse (écrivaines), Mehdi Lallaoui (écrivain et réalisateur) et Benjamin Stora (historien) (plus d'informations ici). Afin d'assumer enfin ce cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie « de part et d'autre, sans l'instrumentaliser ».

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A NOTER. Lundi 6 février à 19h45, en mémoire de la répression de la manifestation de Charonne, la Ligue des droits de l'Homme organise une projection autour du film Mourir à Charonne, pourquoi ? de Daniel Kupferstein.

La projection sera suivie à 21h d'un débat auquel participeront : Gilles Manceron, historien, responsable du groupe de travail de la LDH Histoire, mémoire et archives ; Daniel Kupferstein, réalisateur ; Jean-Luc Einaudi, auteur du livre Octobre 1961 - Un massacre à Paris ; Désiré et Alain Frappier, auteurs de la BDDans l'ombre de Charonne.
RDV, Grande salle de l’AGECA, 177, rue de Charonne - Paris XIe. Entrée libre.

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