jeudi 26 janvier 2012

Rupture conventionnelle ou licenciement masqué: bienvenue au pays sans règles!



Quand elle est revenue de son congé maternité, Stéphanie Couzic (photo) a vécu un enfer. Son employeur, la succursale à Meaux (Seine-et-Marne) d'un célèbre opticien, lui a fait subir « toutes les humiliations possibles ». Remarques quotidiennes, horaires de travail avec des pauses à rallonge le midi, et enfin une « proposition » visant à baisser son salaire de 400 euros. « Si j'avais accepté, je me serais retrouvée à 1.100 euros net après dix ans d'ancienneté !», dit cette mère de trois enfants, âgée de 35 ans. Deux de ses collègues, elles aussi jeunes mamans, subissent les mêmes pressions. Elles démissionnent. Stéphanie, elle, tient bon.

Son employeur lui propose finalement une rupture conventionnelle. Elle accepte de guerre lasse et part début 2011 avec l'indemnité légale : 1/5e de mois de salaire par année d'ancienneté. Elle a dû attaquer son employeur aux prud'hommes pour récupérer 1.600 euros de congés payés. « La rupture conventionnelle, c'est un moindre mal, car ça m'a permis de passer à autre chose. Mais dans mon cas, ça a été une arnaque : je n'avais pas le choix. »Depuis un an, Stéphanie est au chômage.

Stéphanie Couzic, chez elle en Seine-et-Marne. Décembre 2011. © Mediapart

L'histoire de Stéphanie n'est pas une exception. Instaurée en 2008 par la volonté des partenaires sociaux (patronat et syndicats représentatifs, hormis la CGT), la rupture conventionnelle connaît depuis un succès fou. Environ 800.000 de ces “ruptures à l'amiable” ont été homologuées par les directions départementales du travail. Auparavant, les conflits personnels se réglaient bien souvent par des démissions, par des licenciements économiques (dont le motif devait pouvoir être prouvé par l'employeur devant les tribunaux) ou bien par de faux licenciements pour faute.

« L'idée était avant tout de sécuriser les salariés », plaide Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT, chargé de l'emploi. « C'est l'alternative à la démission et aux licenciements pour motif personnel, souvent traumatisants, ajoute Philippe Louis, président de la CFTC, également signataire en 2008 de l'accord interprofessionnel qui l'a instaurée. Elle peut apporter an salarié une porte de sortie quand il veut quitter son emploi, lorsqu'il est mal. »

Par rapport à la démission, cette rupture offre des avantages : elle ouvre droit au chômage et s'accompagne d'une indemnité légale équivalente à celle d'un licenciement. Elle permet surtout de tourner la page. « Il y a beaucoup de haine contre ce dispositif, mais il correspondait à une nécessité, plaide le directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle. En la matière, il ne faut évidemment pas être bisounours. Mais il ne faut pas être manichéen non plus. Les DRH vous disent qu'il y a aussi nombre de cas où c'est le salarié qui impose la rupture conventionnelle à son employeur. Par ailleurs, le but d'un DRH n'est pas de contourner le droit du travail. »

Pourtant, en marge de ces « bons usages », le dispositif semble ouvrir la voie à une multitude d'abus et de dérives, sans compter toutes ses situations où les salariés n'avaient pas vraiment le choix, comme le révèlent une série de témoignages recueillis ces dernières semaines par Mediapart (voir plus bas). « Il y a évidemment des cas ou telle ou telle entreprise a abusé », admet du reste Jean-Denis Combrexelle, qui affirme toutefois ne pas être en mesure d'évaluer l'ampleur des abus.

A ce jour, il n'existe aucune étude rendue publique permettant de savoir dans quelle mesure la rupture conventionnelle a été détournée de son but, et dans quelle mesure elle a aidé les entreprises à réduire leurs effectifs pendant la crise. La CFDT a diligenté une enquête, dont les résultats restent confidentiels. La Dares, le service statistique du ministère du travail, est en train de lancer sa propre enquête, basée sur un très large échantillon. Mais les résultats ne seront pas connus avant la mi-2012.

Dès octobre 2010, au plus fort de la crise, une note du Conseil d'analyse stratégique, un organisme dépendant du premier ministre, signalait pourtant la progression « spectaculaire » des ruptures conventionnelles, alors que dans le même temps les démissions et les licenciements pour motifs personnels reculaient. Il pointait déjà des « risques de dérive » et la nécessité d'améliorer« l'effectivité du contrôle ».

Selon Pierre Ferracci, président du groupe Alpha spécialisé dans le reclassement et le conseil aux comités d'entreprise, la situation s'est encore détériorée depuis. « La rupture conventionnelle est en train de se substituer aux plans de sauvegarde de l'emploi [PSE, les plans sociaux] qui offrent des garanties supplémentaires en termes de reclassement et de revitalisation des territoires, s'alarme-t-il. Et elle risque de se substituer bientôt aux licenciements économiques, où l'accompagnement des salariés est aussi plus important. Le gros problème, c'est qu'il est impossible, faute d'informations, de dire combien de ruptures conventionnelles ont un motif économique, car on ne se donne pas les moyens de contrôler les abus. On est dans le flou le plus complet. »

Directeur général d'Alixio, le cabinet de conseil aux entreprises créé par l'ancien conseiller social de l'Elysée, Raymond Soubie, Xavier Lacoste a vu ces derniers mois les ruptures conventionnelles se multiplier dans la finance et la banque d'affaires. « Tous les outils à disposition des entreprises sont utilisés en ce moment pour réduire la voilure », explique-t-il. La rupture conventionnelle vient dès lors s'ajouter à la palette disponible, des licenciements économiques aux plans sociaux en passant par les plans de départ volontaires, ces charrettes de plusieurs centaines, voire milliers de salariés décidées par nombre d'entreprises qui anticipent une année 2012 exécrable.

Avec une économie proche de la récession, le boom des ruptures conventionnelles va-t-il encore se confirmer au cours des prochains mois ? Nul ne le sait. « De janvier à novembre 2011, nous avons homologué sur la région 13.600 ruptures conventionnelles, relève Marie-Claude Quilès, responsable du service études, statistiques, évaluation de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) d'Aquitaine. C'est 17,5 % de plus qu'en 2010. On pensait être arrivé à un palier, mais la progression a continué en 2011. »

Le rythme de la montée en charge du dispositif depuis 2008, dans un contexte de crise, est impressionnant. Au total, 740.000 ruptures conventionnelles avaient été homologuées en novembre 2011. Chaque mois, la direction du travail avalise 25.000 ruptures. La part des ruptures conventionnelles dans les sorties de l'emploi est passéede 7 % en 2009 à 13 % en 2011, selon le ministère du travail.

D'après l'assurance-chômage, les ruptures conventionnelles représentaient en juin 2011 une fin de CDI sur 4 ! Les petites entreprises, où le dialogue social est souvent inexistant, en raffolent: les trois quarts des ruptures à l'amiable sont signées dans des établissements de moins de 50 salariés… alors qu'ils n'emploient que la moitié des salariés du privé.


Couteau suisse

Chaque année, toujours plus de ruptures conventionnelles© Dares 

Dès le lancement du dispositif, les plus de 55 ans en ont été très “clients”. Selon le ministère du travail, les seniors ne se voient pas proposer davantage de ruptures conventionnelles que de licenciements pour motif personnel. Il n'en reste pas moins que la rupture conventionnelle est devenue un moyen parmi d'autres de faire partir les quinquas, alors que le gouvernement affiche sa volonté de promouvoir leur emploi – notamment via des accords seniors dans les grosses entreprises.

« La rupture conventionnelle sert aussi à renouer avec les préretraites », confirme Evelyne Serverin, directrice de recherche au CNRS, qui travaille sur le sujet depuis trois ans et participe à l'enquête commandée par la CFDT.

Jean, représentant Unsa du personnel dans une caisse régionale d'une grande banque, voit depuis 2009 les ruptures conventionnelles s'accumuler. « On est désormais à un rythme de croisière de trois ou quatre par mois, raconte-t-il. Régulièrement, des collègues qui atteignent les 57-58 ans me demandent des renseignements. Beaucoup sont partis dans ce cadre-là : la direction les y encourage. C’est une façon de réduire de façon discrète les effectifs, de se débarrasser des plus anciens. Eux y trouvent un avantage puisqu'ils vont ensuite toucher le chômage jusqu'à leur retraite, et ne sont pas mécontents de partir, vu le niveau de stress auxquels ils sont confrontés. » Un deal entre employeurs et salariés qui se fait en l'occurrence aux dépens financiers de l'assurance-chômage.

Christian, 58 ans, employé dans une multinationale de services informatiques, s'est lui aussi vu proposer une rupture à l'amiable l'an dernier : « Pour eux j'étais trop vieux, trop payé, pas assez malléable. » « Cela m'a été présenté comme un choix. Le packageoctroyé par l'entreprise complétait les sommes versées pendant trois ans par les caisses de chômage. Devant mon étonnement à considérer les indemnités de chômage comme un revenu complétant celui accordé par l'entreprise, il m'a été répondu que tout le monde faisait de même et que c'était normal, écrit-il à Mediapart. J'ai décidé de partir, un peu comme on quitte un navire avec lequel on va couler, même si je n'avais aucune envie de m'arrêter de travailler. »

En théorie, la rupture à l'amiable était “bordée” par une série de garde-fous : la possibilité pour le salarié de se faire accompagner lors de l'entretien préalable ; un droit de rétractation pendant 15 jours après la signature; l'homologation par la direction du travail.

Mais les partenaires sociaux se sont aussi mis d'accord pour ne pas faire apparaître dans les formulaires transmis à l'administration le motif de la fin du contrat de travail. « Il y a une volonté de n'imputer juridiquement la rupture à aucune des deux parties,analyse Evelyne Serverin. En conséquence, les formulaires de demandes d'homologation sont insuffisants et les conditions de validité de la rupture sont en réalité très légères, malgré le formalisme apparent. Le motif de la rupture n'est pas stipulé. Les formulaires ne mentionnent pas non plus les dates, l'âge du salarié (seulement son ancienneté), les droits individuels à la formation, les congés payés dus… »

Les contrôles de l'administration se limitent donc bien souvent à quelques vérifications techniques (le délai légal est-il respecté ? Les dates sont-elles bonnes ? L'indemnité calculée est-elle juste ? etc.).

« Le dispositif n'est absolument pas contrôlé, déplore Jean-Yves Kerbourc'h, chercheur et coauteur de la note du Conseil d'analyse stratégique de 2010. Les partenaires sociaux pensaient que la rupture à l'amiable allait améliorer le turnover sur le marché de l'emploi qui est très figé en France, notamment en augmentant les chances de ceux pour qui il est exclu d'y accéder. Ils pensaient que le recours à la rupture conventionnelle resterait marginal. Mais la machine s'est emballée et le dispositif a été contourné. On se retrouve dans cette situation étrange : un bon dispositif dans certains cas, mais sans garde-fous, qui est en train de se substituer à d'autres formes de rupture du contrat de travail. »

« La rupture conventionnelle, c'est comme un couteau suisse : il permet tout, il sert à tout, explique la juriste Evelyne Serverin. Rien n'est vraiment interdit, même pas de signer des ruptures conventionnelles en parallèle à un plan de sauvegarde de l'emploi. Et c'est parce qu'il autorise tout qu'il présente un problème, car cela change la façon de concevoir la rupture du contrat de travail. »

La chercheuse énumère les cas rencontrés au cours de ses enquêtes : « De vraies démissions pour convenance personnelle ; des insuffisances professionnelles ; des licenciements qui n'auraient pas eu de motif réel et sérieux – le salarié coûte trop cher, on ne pourrait pas le licencier. Des prises d'acte – le salarié aurait de toute façon quitté son entreprise. Des motifs économiques. Des préretraités amiante… »

Bref, un joyeux bazar. « La rupture conventionnelle est venue s'insérer dans le paysage et elle s'est mise à concurrencer les autres modes de rupture. Ce n'est pas vraiment une substitution, c'est plus subtil encore : en fait, c'est comme un jeu d'échecs sur lequel, en déplaçant une pièce, on aurait changé toute la valeur du jeu. Avec ce dispositif, on a créé de l'anomie [absence de règles] dans le droit du travail. On incite les salariés à accepter la situation qui leur est faite. Si on leur pose la question, 99 % des personnes interrogées trouvent que c'est un bon dispositif... mais pas forcément pour elles ! »


Faux CDD



S'ils restent sans doute minoritaires (mais comment en avoir la certitude, faute de chiffres ?), il existe bel et bien des cas avérés de fraude, consistant à utiliser la rupture conventionnelle à la place de licenciements économiques ou de plans de sauvegarde de l'emploi. Des dispositifs qui offrent plus de protections au salarié – et notamment la possibilité de se retourner contre l'employeur, très limitée dans le cas de la rupture conventionnelle.

Le géant de l'informatique IBM a ainsi vu dès 2009 une série de ruptures à l'amiable retoquées, parce qu'elles avaient en fait un motif économique. Plusieurs dizaines de ruptures signées par le géant du transport Norbert Dentressangle ont également étécontestées par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 9 mars 2011 : les salariés auraient en l'occurrence dû bénéficier d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

La rupture conventionnelle peut aussi compléter un plan de départ – en l'occurrence, avec l'aval de l'administration. Délégué syndical CGT chez Faurecia à Mouzon (Ardennes), un sous-traitant de PSA, Philippe Guillaume a vu une centaine de ses collègues partir en quatorze mois. La plupart dans le cadre d'un plan de départs volontaires, mais aussi une vingtaine dans le cadre d'une rupture conventionnelle. « Pas mal avaient entre 55 et 57 ans, mais il y avait aussi des jeunes. La direction a pu proposer de 40.000 à 80.000 euros en fonction de l'ancienneté. C'est vrai que ça a évité un plan social. Nous les syndicats, nous n'étions pas d'accord, mais beaucoup avaient envie de partir de toute façon, donc dans ce cas c'est l'appât du gain qui prime. Les postes supprimés ont été remplacés par des intérimaires. »

« Tous les inspecteurs du travail ont rencontré des entreprises qui contournaient l'obligation de plan social en faisant des ruptures conventionnelles éparpillées », affirme Pierre Mériaux, membre du bureau syndical du SNU-TEF, un syndicat d'inspecteurs du travail, par ailleurs conseiller régional Europe Ecologie-Les Verts en Rhône-Alpes.

Mais en pratique, les entreprises sont rarement inquiétées. Seules 3 % des ruptures conventionnelles sont refusées, et 6 % des ruptures ne passent pas le cap de l'homologation – essentiellement parce que les indemnités ont été mal calculées. Dans chaque région, deux ou trois agents administratifs (qui ne sont pas à temps plein) sont chargés d'homologuer des masses de formulaires. Auraient-ils d'ailleurs plus de temps que les vérifications resteraient sommaires, vu le peu d'informations à leur disposition.

« Croyez bien que si on laissait faire les collègues, ils iraient chercher plus loin ! », explique un cadre de la direction du travail en Ile-de-France. En 2010, le directeur général du travail a bien transmis à ses services une circulaire rappelant que « la rupture conventionnelle ne peut être utilisée comme un moyen de contourner les règles du licenciement économique collectif ». La circulaire mentionne les cas qui doivent éveiller l'attention : plus de dix demandes sur un mois émanant de la même entreprise, une demande faisant suite à une dizaine de cas dans le trimestre précédent…

Les services ont peu de marges de manœuvre pour détecter les abus, raconte Julien Boeldieu, inspecteur du travail et délégué CGT au ministère du travail à Paris. « Les inspecteurs du travail mènent systématiquement une enquête quand les ruptures concernent des salariés protégés, raconte-t-il. Mais c'est une masse infime de cas. Pour les autres, la grande majorité, les services se contentent plus ou moins d'enregistrer et n'ont pas de pouvoir d'enquête. En théorie, ils devraient saisir les inspecteurs du travail s'ils repèrent quelque chose de bizarre. Après, tout dépend des liens entre les services, qui ne sont pas toujours très étroits. »

Le directeur général du travail affirme travailler à une« amélioration de la procédure, afin d'automatiser par informatique certaines opérations et économiser du temps pour le contrôle ».

Récemment, un inspecteur du travail nous a raconté avoir eu à débusquer un hôtelier malveillant à Paris. Cet employeur faisait signer des CDI à ses employés, puis les rompait en utilisant les ruptures conventionnelles (façon low-cost de faire des CDD en ne versant pas la prime de précarité, mais seulement une indemnité légale de quelques dizaines d'euros). Des cas similaires de ruptures conventionnelles utilisées comme des CDD (et dans ce cas, antidatées) ont été recensés chez un sous-traitant d'EDF, affirme-t-on au pôle juridique de la CGT, qui va bientôt saisir les prud'hommes.

Rien n'empêche en théorie les ruptures conventionnelles au fil de l'eau, surtout dans les petites entreprises. Là encore, les sanctions sont rares. « Il n'y a pas forcément de fraude, dans la mesure où les deux parties sont bien d'accord et si le salarié donne son consentement éclairé. Bien souvent, on est plutôt dans un dispositif similaire à l'optimisation fiscale, compare Evelyne Serverin, la chercheuse du CNRS. Sauf qu'à la fin, quand l'optimisation fiscale est trop utilisée, ça devient de la fraude… »


Chiffonniers

Mais le plus marquant dans les témoignages recueillis ces dernières semaines par Mediapart, ce sont ces nombreux cas où les salariés disent avoir subi des pressions pour accepter une rupture conventionnelle. « Ce dispositif, reprend Evelyne Serverin, c'est un peu comme dans Les Voyages en train, ce slam où Grand Corps Malade dit à propos de sa rupture sentimentale : « On a décidé de rompre d'un commun accord, mais elle était plus d'accord que moi ». On postule que malgré la relation de subordination entre l'employeur et le salarié, l'employeur et le salarié sont à même niveau dans la même volonté de rompre. On cherche à faire adhérer les salariés aux ruptures. C'est là le caractère le plus vicieux de la rupture conventionnelle : on convainc le salarié qu'il l'a voulu lui aussi. »

Parfois, la souffrance au travail est telle que « c'est bien souvent une solution », souligne un responsable d'une direction régionale de l'emploi. Surtout lorsque le salarié se retrouve dans cet « état marécageux, où se mélangent problèmes économiques et pressions de la part de l'employeur, relève Jean-Yves Kerbourc'h. Les salariés savent bien qu'un jour ou l'autre, ils vont partir, de gré ou de force. Alors quand on leur propose de partir à l'amiable, même si c'est frauduleux, ils acceptent ».

Julie, jeune conseillère commerciale dans une banque, a ainsi été forcée d'accepter une rupture conventionnelle en 2011. « Alors qu'elle avait fait de moi sa secrétaire personnelle, ce qui nuisait à mes résultats, ma nouvelle responsable n'a pas hésité à dire que j'étais démotivée et que je produisais trop peu. Courant 2011, la DRH m'a convoquée pour me dire qu'elle comptait se débarrasser de moi. Mon étiquette syndicale lui enlevait tout pouvoir. A l'issue du premier rendez-vous, la proposition de rupture conventionnelle m'a été faite. Je ne comptais pas démissionner. Mais la DRH n'a pas pris de pincettes pour me faire comprendre qu'en cas de refus de ma part, je subirais un harcèlement terrible : coup de fil deux fois par jour pour connaître mes ventes, mutations à 300 kilomètres de mon domicile. Nous avons fini par tomber d'accord. » Une collègue de retour de congé maternité s'est elle aussi vu proposer une rupture conventionnelle.

Chef de projet dans l'audiovisuel dans une PME de Seine-Saint-Denis, Philippe, 41 ans, a été convoqué un matin d'octobre 2011 dans le bureau de son patron. « Je veux me séparer de toi. Ou bien on se fâche, ou bien on tombe d'accord », lui dit-il. Un peu avant, il lui avait lancé : « Les chevaux sont fatigués, il va falloir les changer. » Philippe propose un licenciement économique. Refus. Après une négociation de « chiffonniers », il obtient finalement six mois de salaire pour douze ans d'ancienneté. « On a antidaté les papiers envoyés à l'administration pour éviter le délai légal de rétractation. »

Pierre, 56 ans, ancien salarié d'une PME de cosmétiques allemande qui fait fureur dans les magasins bio a vu son service décimé par le directeur financier, à coup de CDD non reconduits et de ruptures conventionnelles. « J’ai subi des pressions énormes jusqu'à ce que j'accepte, témoigne-t-il. Au dernier entretien, c’était limite agressif, il m'a dit "vous foutez le camp !" Ils savaient qu'ils ne pouvaient pas me licencier pour faute, et pas davantage pour licenciement économique car la société marche très fort… »

« La rupture conventionnelle, c’est la mise en place d’un système ou l’on fait participer l’employé à sa propre éjection en ne lui permettant pas trop de se retourner, analyse Pierre. Ça permet de casser le CDI, de virer avec une facilité absolument déconcertante les gens du jour au lendemain. Je me rappelle que le directeur financier m’a dit "je vire n’importe qui quand je veux". »

Monique, 60 ans et demi, ancienne assistante de direction dans une grande entreprise du CAC 40, a elle aussi signé « à l'usure », l'an dernier. Elle évoque des pressions, des remarques dépréciatives lancinantes. « Il fallait que ça s'arrête, tout ce que j'ai subi m'avait rendue malade. » Elle a même signé une clause de confidentialité en partant. « On a acheté mon silence. La même chose est en train d'arriver à d'anciens collègues. Les prix sont très variables, en fonction des postes. »

« La rupture conventionnelle, elle ne l'est que dans un sens,reprend-elle. On peut la refuser, ce que j'ai fait pendant deux ans. Mais vous arrivez à un tel état de fatigue et de perte de confiance en vous qu'à la fin, vous acceptez de rompre. »

Même si la loi prévoit la possibilité de se faire accompagner lors de l'entretien avec l'employeur, le dialogue se réduit souvent à un face-à-face. En outre, les salariés sont mal informés sur leurs droits. « Ils pensent souvent que c'est un dû, alors que l'employeur peut refuser », raconte Monique Langlois, couturière et déléguée syndicale CGT chez Givenchy, maison de haute couture qui utilise fréquemment des ruptures conventionnelles. Ils ne savent pas forcément que si leur indemnité de licenciement dépasse le montant prévu par la loi, ils ne toucheront pas immédiatement le chômage. Ceux qui ont pris des assurances sur leur crédit immobilier sont parfois amèrement surpris de constater que l'assurance ne les couvre pas dans le cas d'une rupture conventionnelle comme c'est le cas lors d'un licenciement.

Malgré tout, les cas de contestation en justice sont très rares. Evelyne Serverin a dénombré environ 80 arrêts de cours d'appel depuis 2008, autant dire « quasiment rien ». Selon Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT, c'est la preuve que « les salariés trouvent que ce n'est pas un mauvais système », même si le leader syndical admet la nécessité « d'accroître les contrôles ».

Une interprétation contestable, selon la chercheuse. « Quand vous avez consenti, quand vous avez adhéré, vous dédire est un geste très compliqué. Par ailleurs, les contentieux sont techniquement très difficiles, car c'est au salarié de faire la preuve qu'il a subi des menaces ou n'a pas eu l'information suffisante, qu'il a été trompé ou forcé. » Ce qui est loin d'être évident.

« Ce qui est grave avec la rupture conventionnelle, c'est qu'on a suscité chez les salariés avec ce dispositif une forme de fatalisme,
poursuit-elle. Quand il est aussi facile de rompre la relation, à quoi bon se battre pour son emploi ? Ce dispositif n'a fait qu'accompagner une forme de découragement des salariés, et de cynisme à l'œuvre dans les entreprises depuis plusieurs décennies. »

Quand des amis lui demandent son avis sur la rupture conventionnelle, Evelyne Serverin leur conseille de refuser systématiquement et de tenir bon. Ils ne peuvent en effet pas être licenciés s'ils n'ont pas commis de faute ou si l'entreprise ne connaît pas de sérieux problèmes économique : rupture conventionnelle ou pas, le droit du travail est toujours en vigueur.
source

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je travaille à Newsring.fr, le site de débats lancé par Frédéric Taddeï, je me permets de vous contacter suite au lancement d'un débat, intitulé " Rupture conventionnelle : une arnaque pour les salariés ?"

    Nous serions intéressés par votre point de vue afin d'éclairer le débat.

    Pour participer, il suffit de se connecter sur le site (à l’aide de Facebook, Google+ ou LinkedIn) et de cliquer sur “contribuer au débat”. Je peux aussi vous créer un compte sur Newsring, indépendant des réseaux sociaux cités, si vous le préférez.

    Cordialement,

    Jérémy Fregefon

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour,
      Pour moi la rupture conventionnelle et une aubaine pour l'employeur et rien d'autre.
      Cordialement

      Supprimer