mercredi 26 octobre 2011

Un printemps sans Maroc


Amer, l'écrivain marocain Abdelhak Serhane revient sur le plébiscite obtenu, avec 98,49%, par le roi Mohamed VI au référendum sur la nouvelle constitution du Maroc qui s'est déroulé le 1er juillet 2011. Un scrutin bidon qui a mis fin à l'espoir politique porté par les révoltes du Mouvement du 20 février.
«A l'ombre de tes mains, les mots tremblent pour nommer les maux de notre être arabe.»
M.H. Samrakandi
Le 1er juillet 2011 a mis fin à l’agitation des révoltés du dimanche et au suspense des Marocains. Leur pays est entré de plein pied dans l’Etat de droit d’une monarchie démocratique constitutionnelle, moderne et sociale avec 98,49% de oui au référendum proposé par Sa Majesté le roi Mohamed VI à son peuple en faveur de la nouvelle constitution. De son temps, Driss Basri réalisait des résultats à peine plus élevés avec 99,99% pour combler notre égo, faisant de nous un peuple performant, exceptionnel, et de notre roi «mahboub al jamahir» (l’adoré des foules !).

Mais, ne nous trompons pas d’époque ni de système! Les années de plomb sont loin derrière nous et l’époque de Derb Moulay Chérif, Dar Moqri, Agdez ou Tazmamart est révolu. Le petit centre de Témara n’est rien d’autre qu’une malheureuse parenthèse dans les annales de l’ère grandiose que nous vivons en tant que Marocains. Les attentats terroristes à répétition et les immolations par le feu sont des gestes sacrificiels sur l’autel du plus beau pays du monde par une jeunesse fière de son identité nationale.

A mon humble avis, 98,49% c’est bien peu pour une monarchie portée aux nues par un peuple épanoui, cultivé, fortuné, responsable, conscient des enjeux nationaux, régionaux et internationaux. Le printemps arabe et le mouvement du 20 février ont sans doute contraint l’ardeur du ministre de l’intérieur à plus de décence et de retenue cette fois-ci. 98,49% est une bey’a moderne avec un taux honorable qui rend crédible cette consultation populaire aux yeux de l’Occident-frère, soucieux de nos intérêts dans un XXIème siècle en crise, dans un monde arabe à feu et à sang. 72% de participation dans un climat de mécontentement social et une jeunesse qui a osé répéter que «le peuple veut la chute du régime».

Le verbe dégager, conjugué au subjonctif* de toutes les révolutions actuelles, ne peut en aucun cas s’appliquer à nous à cause de l’extraordinaire exception marocaine que le makhzen nous sert à toutes les sauces. D’ailleurs, après le discours du roi du 17 juin dernier et, sans surprise, la quasi-totalité des formations politiques à la colonne vertébrale vermoulue ont fait ce qu’elles savent faire le mieux; elles se sont aplaties devant la parole du Maître, ont applaudi des deux mains à sa réforme constitutionnelle et appelé à voter oui au référendum. Des cohortes de jeunes gens pour la plupart au chômage, éthéromanes, casseurs ou voleurs à la tire, ont porté les tee-shirts du oui, brandi le drapeau marocain et scandé avec violence: "Vive le roi! Oui à la Constitution!"




Les chanteurs ont été sollicités pour composer des couplets en faveur du oui largement placardé sur les vitrines des commerces, clubs de sport, autobus, taxis, épiceries… Des meetings ont été tenus ça et là pour répondre à l’appel royal et, pour parer au pire, les corps d’armée, de gendarmerie et de police ont été autorisés, pour la première fois depuis les deux coups d’Etat de 1971 et 1972 contre Hassan II à retrouver le chemin des urnes pour exprimer leur accord avec la réforme constitutionnelle du Chef suprême des armées. Les Moqadem ont fait leur travail de rabattage, promettant des billets aux gens et, sur instruction du ministre des Habous et des affaires islamiques, les imams des mosquées ont exhorté les foules, dans leurs prêches, à voter massivement pour le oui car, expliquaient-ils aux fidèles, «qui vote oui est avec le roi, qui vote non est contre lui. Ce dernier est un hérétique, il ira en enfer!».

L’instrumentalisation de la religion au profit du oui est une manière civilisée d’éviter les affres de la géhenne aux égarés du mouvement du 20 février. A la fin de la journée de vote, le bourrage des urnes par les agents du Makhzen est notre faon à nous de nettoyer la place et éviter au blanc de se mélanger avec le bleu. Le blanc est une couleur sacrée qu’il faut respecter, c’est la couleur du paradis où seront logés, par la grâce de Dieu, tous les béni-oui-oui. Le bleu, lui, plus proche du noir, est la couleur du vice, de Satan, il peut donc aller à la poubelle!

Et la grande mutation démocratique s’est abattue sur nous ce 1er juillet 2011 comme une offrande du ciel, un cadeau inespéré qui sauve le pays de la turbulence qui agite la région. De sujet makhzanisé, asservi et sous tutelle, le Marocain actuel passe au stade de citoyen à part entière, bénéficiant de la considération que lui confère la nouvelle Constitution, lui garantissant travail, logement décent, soins, éducation pour ses enfants, égalité de tous devant une justice devenue, par la grâce de ce vote, intègre, complètement indépendante puisque les juges ont renoncé illico à leurs pratiques corrompues. Nous voilà donc rassurés quant à notre avenir qui s’annonce ensoleillé et rempli de bonheur.

Le Premier ministre au pouvoir renforcé, va désormais pouvoir œuvrer pour le bien-être du peuple et nos deux Chambres (à coucher) peuvent discuter, voir remettre en question le budget du Palais et celui de l’armée dans la sérénité de leurs débats parlementaires. Le roi et son entourage se retirent déjà des affaires et de la politique, la famille Fassi Fihri bénéficie désormais des mêmes traitements que les centaines de milliers de foyers vivant dans les bidonvilles, l’argent détourné par les larrons et expatrié retourne dans les caisses de l’Etat, le budget de Mawazine, celui des phosphates, des Fondations royales, des licences téléphoniques… vont dans la refonte du système scolaire, la recherche scientifique et technologique, l’éducation et la formation professionnelle de notre jeunesse, l’amélioration des conditions dans nos hôpitaux, la lutte contre la pauvreté et l’analphabétisme... Grâce à Sa Majesté, sa nouvelle Constitution met le Maroc à l’abri de la morosité que connaissent nos voisins. Elle met fin à la corruption endémique, aux inégalités sociales, à la misère, au chômage, à l’arbitraire, aux prébendes, au copinage et autres maux dont souffre la société marocaine… La vie n’a jamais été aussi belle!

Mais soyons plus sérieux, plus clairvoyants, ou tout au moins honnêtes. Comment la démarche démocratique peut-elle être décidée par un seul homme, le roi, qui dicte les orientations de la réforme et nomme les membres de la commission chargée des travaux? Dans quelle contrée, aujourd’hui, la participation à un quelconque suffrage atteint le taux de 72% de votants? Quel pays, aussi développé soit-il, a la capacité d’organiser une consultation référendaire en treize jours et rendre public le résultat du scrutin peu de temps après la fermeture des bureaux de vote, sans même prendre en considération le décalage horaire des communautés marocaines vivant à l’étranger? Et qui peut croire au score de 98,49% dans un climat général en ébullition où des milliers de manifestants ont appelé de toute la force de leur voix, pendant plusieurs mois, la chute du Makhzen?

Quand j’ai posé mon bulletin bleu dans l’urne à l’école où j’ai voté vers midi, il n’y avait pas un chat alentour. Les préposés à la vérification de ma carte d’électeur ne m’ont pas fait signer le registre, se contentant de mettre une croix devant mon nom et souiller le bout de mon index avec un feutre. J’ai compris alors que le jeu était pipé, que le makhzen allait faire voter les absents, les inexistants et même les morts, comme d’habitude! Ce vote n’est pas le nôtre. Le message est clair, il porte un avertissement adressé aux dissidents, aux agitateurs de tout bord, aux manifestants du mouvement du 20 février et autres indignés contestataires. S’ils osent encore descendre dans la rue pour revendiquer la liberté et une réelle démocratie, ils seront tabassés par les forces de l’ordre, arrêtés, jugés et condamnés. Avec 98,49% de voix pour le oui, personne n’a plus le droit de perturber la tranquillité de nos mornes dimanches.


Une dure période transitoire nous attend. Devant le vide politique que traverse le pays, aucun chef de gouvernement, quel qu’il soit, n’aura assez de volonté pour exercer ses nouvelles prérogatives face à une monarchie qui ne lâche pas grand-chose et continue à détenir l’essentiel des pouvoirs. Les chefs de partis makhzanisés, totalement discrédités, castrés, embourgeoisés, feront ce que le Palais leur dictera de faire pour que nos biens profitent à un homme, une famille ou un clan. Les privilèges et les hauts salaires ont un prix. Nos politicards sont prêts à le payer de leur manque de dignité légendaire, leur carence de fermeté et l’absence de leur engagement social. Pas un Marocain non partisan n’a confiance dans les hommes politiques actuels.

La démocratie est un apprentissage de tous les jours, un exercice de la citoyenneté et de la responsabilité de chacun. Elle ne s’arrête pas au dépoussiérage de quelques articles de lois, mais engage l’implication de tous dans un projet qui tire la société vers le haut en assainissant les situations déplaisantes. Avec un pourcentage très élevé d’analphabètes, une corruption et une injustice à toute épreuve, le régime est assuré de faire miroiter ce qu’il veut à son peuple. L’Histoire du Maroc retiendra cet autre ratage. Le roi n’avait rien à perdre mais tout à gagner d’une réelle transition démocratique. Il aurait inscrit son nom comme le premier chef d’Etat arabe à engager son pays sur la voie de l’Etat de droit dans un exercice clair de séparation des pouvoirs. Ce n’est malheureusement pas le cas.

La nouvelle Constitution taillée sur mesure pour lui par la commission Mennouni ne touche pas à l’essentiel de ses prérogatives. Aucun peuple, aussi illettré soit-il, aussi crédule soit-il, ne peut se résoudre à voter oui de cette manière pour le maintien du déni de droit, de l’autoritarisme, des injustices et des inégalités sociales. Nombre de gens sont estomaqués. Ce vote référendaire est une avancée en trompe-l’œil, une mascarade qui ne change rien au paysage sociopolitique du Maroc. Il conforte tout au plus le roi dans son rôle makhzanien d’antan, jetant de la poudre aux yeux des berbéristes, des islamistes et des formations politiques dépourvues de toute légitimité populaire.

Les prochaines élections ne dérogeront pas à la règle de la falsification. Le makhzen détestable reproduira sa mascarade pour qu’aucun chef de gouvernement ne puisse dire non au roi car aucun parti ne bénéficiera d’une majorité confortable au parlement (à moins que ce soit le PAM qui gagne!), ce qui ouvrira la voie à des alliances tous azimuts de nature à pervertir davantage le jeu politique. Et quel homme politique peut dire aujourd’hui non à un roi qui dicte sa loi à tous? Ayant fragilisé en délégitimant les partis politiques, la monarchie pense qu’elle sort gagnante de cette mise en scène assez navrante. L’avenir lui donnera tort ou raison. La servilité d’une frange de la population soumise au mythe de la monarchie lui donnera peut-être raison. La désillusion et le mécontentement d’une jeunesse impatiente lui donneront sûrement tort.

«Sma’ sawt acha’b!» (Ecoute la voix du peuple!) a scandé la rue pendant plusieurs mois, dans toutes les villes du pays et dans toutes les langues. Le roi n’a pas écouté cette voix. Il a écouté celle de ses conseillers, des petits copains et des serviteurs du Makhzen. Frustrée de ne pas avoir été vraiment entendue, une partie de la population réinvestit déjà la rue depuis l’annonce des résultats du référendum. La foule des contestataires réussira-t-elle là où nous, leurs ainés, avons pitoyablement échoué?

Le 10 juillet, la rue indignée a livré ses nouveaux slogans, désavouant les envolées lyriques et farfelues de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et autres imposteurs, «T’guad! Tguad! Walla khwi lablad!» (Retrouve la rectitude, sinon quitte le pays!) «Hada Almaghrib ouhna nassou, oulhakam yajma’ rassou!» (Ceci est le Maroc et nous sommes ses hommes, celui qui gouverne s’en aille !). A ceux qui ont soutenu le oui, le slogan est sans appel: «Khamsine darhams t’fout t’fout ounta dima tabqa machmout!» (Cinquante dirhams se termineront et toi tu seras toujours dupé!)

La nouvelle Constitution est à la fois un pari (risqué) et un piège. Mohamed VI n’a pas gagné son pari et le piège risque de se refermer sur lui. L’affrontement avec la rue pourrait devenir imminent, les banderoles ne disent rien d’autre que ceci: «Lâ lihâkimine yanhabou almâl al’âm!» (Non au dirigeant qui détourne les deniers publics!).

Pour mémoire; en 2009, Ben Ali a obtenu 89,62% des suffrages pour son 5ème mandat. En 2005, Moubarak a été réélu pour un 6ème mandat avec 88,6% des voix et son parti, le PND, Parti démocratique national, a obtenu 311 des 454 sièges au parlement. Ces chiffres n’ont rien pu faire contre la lame de fond qui les a chassés du pouvoir. Le jeu entrepris par Mohamed VI est tout aussi dangereux. Il risque, à court terme, de discréditer sa volonté et, à moyen terme, radicaliser davantage les mouvements contestataires nés du 20 février.

* « Dégage » impératif , non « subjonctif
Abdelhak Serhane عبد الحق سرحان

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