vendredi 2 décembre 2011

Éclatement ? Une sortie de crise pour la Zone Euro



Résumé analytique

1. La crise de la Zone Euro n’est qu’une partie de la tourmente mondiale qui a commencé en 2007 par la crise du marché immobilier US, et qui est devenue une crise bancaire mondiale avant de se transformer en récession mondiale, entraînant la crise de la dette publique. Fin 2011, le risque de connaître à nouveau une crise bancaire en Europe et ailleurs est bien réel. Au cœur de l’incapacité des banques se trouve la dette privée et publique accumulée au cours de la période d’intense financiarisation de la décennie 2000.

2. L’Euro est une espèce de devise de réserve internationale créée par un groupe d’États européens pour assurer certains avantages aux banques et aux grandes entreprises européennes dans le cadre de la financiarisation. L’Euro a bien tenté de concurrencer le dollar, mais sans bénéficier du soutien d’un État unique fort correspondant. L’une de ses faiblesses fondamentales réside dans le fait qu’il repose sur une alliance d’États très différents qui représentent des économies avec des compétitivités divergentes.

3. L’Euro a fonctionné comme médiateur en Europe, au cours de la crise mondiale qui a commencé en 2007. L’Union monétaire européenne ayant changé une lettre de son sigle et étant devenue l’UEM (Union économique et monétaire), a créé un clivage entre le centre et la périphérie et a ainsi introduit entre eux des relations hiérarchiques et discriminatoires. La périphérie a perdu de sa compétitivité dans les années 2000, ce qui a entraîné une augmentation des déficits de la balance des échanges courants avec le centre et une accumulation de dettes importantes envers les institutions financières du centre. Le résultat en a été que l’Allemagne est apparue comme la principale puissance économique de la Zone Euro.

4. La politique de la Zone Euro pour affronter la crise est profondément néolibérale : coupes dans les dépenses publiques, augmentation des impôts indirects, réduction des salaires, libéralisation accrue des marchés et privatisation des biens publics. Des changements institutionnels correspondants à l’intérieur de l’UEM – avant tout, à la Banque centrale européenne (BCE) et au Fonds européen de stabilité financière (FESF) - ont renforcé la domination du centre, en particulier de l’Allemagne. Plus largement, les politiques mises en œuvre menacent de déplacer l’équilibre entre les pouvoirs économique, social et politique en faveur du capital et au détriment du monde du travail à travers toute l’Europe.

5. L’austérité est contradictoire, car elle conduit à la récession, ce qui accentue le poids de la dette et met encore davantage en danger les banques et l’union monétaire elle-même. Cette contradiction est inhérente à la nature de l’UEM en tant qu’alliance d’États différents avec des compétitivités divergentes. Cela a eu pour conséquence que l’UEM se trouve aujourd’hui confrontée à un cruel dilemme : soit créer des mécanismes d’État capables d’imposer des politiques pour augmenter la compétitivité de la périphérie, soit éclater.

6. Le crédit de la BCE a été arbitrairement utilisé pour protéger les intérêts des grandes banques, des détenteurs d’obligations et des entreprises, quand bien même il fallait passer outre aux statuts eux-mêmes de la BCE. Le pouvoir social a été privatisé de façon non démocratique par une institution élitiste qui s’est mise par la suite au service du grand capital en Europe. Mais la capacité de la BCE à émousser les pressions de la crise est limitée par l’absence d’un État unifié capable de soutenir les obligations et la solvabilité de celle-ci.

7. De même, le fonctionnement du Fonds européen de stabilité financière est gêné par l’absence d’une autorité étatique unique qui puisse soutenir de façon crédible l’élargissement de sa capacité à prêter. De plus, la capacité du FESF à recapitaliser les banques confrontées aux risques se heurte au caractère national des banques européennes. Une alliance d’États différents ne peut pas facilement trouver en commun les fonds nécessaires à secourir les banques nationales de l’un de ses membres. On a de la peine à croire que l’Allemagne pourrait, par exemple, venir au secours des banques françaises ou espagnoles sans contrepartie.

8. La liaison des États-nations avec leurs banques nationales s’est encore resserrée au cours de la crise. Les banques ont assumé la dette publique de leurs États ; elles ont également déposé des liquidités plus que suffisantes auprès des banques centrales nationales (BCN) ; enfin, elles s’appuient de plus en plus sur le Soutien exceptionnel à la liquidité bancaire (Emergency Liquidity Assistance - ELA) fourni par la Banque centrale nationale. Cela a eu pour conséquence que les banques et les États nationaux se trouvent aujourd’hui confrontés à un risque accru de cessation de paiement conjoint. Le choix qui se fait jour peu à peu pour les États périphériques est particulièrement difficile : soit nationaliser complètement les banques, soit perdre leur contrôle.

9. Le clivage grandissant entre le centre et la périphérie, l’absence de changements institutionnels efficaces pour l’UEM elle-même, les pressions vers l’austérité et les menaces pesant sur les banques créent des conditions défavorables pour les pays périphériques. Les perspectives à venir sont sombres, elles conjuguent faible développement, chômage élevé et augmentation de la dette. La capacité des pays périphériques à rester membres de l’UEM est mise en doute et le candidat le plus probable à une sortie immédiate est la Grèce.

10. La Grèce de toute évidence n’est en mesure ni d’honorer sa dette publique ni de remplir les conditions des plans de sauvetage, ce qui rend inévitable la cessation de paiement. La cessation de paiement à l’initiative des créanciers et à l’intérieur des limites de l’UEM (ce qu’on appelle la cessation coordonnée de paiement) ne serait pas toutefois à l’avantage du pays. Il est probable que cela conduise à une perte de contrôle sur les banques nationales, sans faire disparaître l’austérité, et maintienne le pays dans l’étau compétitif de l’Euro ; cela pourrait entraîner la perte de l’indépendance nationale, puisque la politique des finances publiques serait placée directement sous le contrôle des États du centre. La perspective d’une sortie éventuelle de l’UEM reste présente.

11. La cessation de paiement doit avoir lieu à l’initiative du débiteur, d’une façon souveraine et démocratique pour aboutir à une large annulation de la dette. La cessation de paiement à l’initiative du débiteur précipitera selon toute vraisemblance la sortie de l’UEM. Mais abandonner l’Euro offrira plus de choix pour affronter le problème de la dette publique, étant donné que l’État pourra convertir l’ensemble de la dette dans la nouvelle devise. La sortie offre une plus grande liberté de mouvement pour venir au secours des banques au moyen de nationalisations et grâce au recours aux liquidités intérieures dès le moment où le pays retrouve le contrôle de sa politique monétaire. Toutefois la sortie provoquera de nouveaux problèmes pour les banques puisqu’une partie de leurs actifs et de leurs obligations restera en Euros. Cela pourrait avoir pour conséquence l’effondrement des banques grecques à terme. La sortie enfin créera des problèmes de circulation monétaire et de change puisque la nouvelle devise sera dépréciée. Malgré tout, les perturbations de la circulation monétaire ont peu de chance d’être décisives, tandis que la dévaluation donnera l’occasion de retrouver rapidement la compétitivité. En conclusion, si la Grèce procède à une cessation de paiement, elle devra sortir de l’UEM.


Retour à la drachme ?

12. La cessation de paiement à l’initiative du débiteur présente des risques et des coûts importants. Mais la solution alternative est le déclin économique et social au sein de l’UEM, qui pourrait aboutir à une sortie chaotique et encore plus coûteuse. A contrario, si la cessation de paiement et la sortie étaient planifiées et réalisées par un gouvernement déterminé, le pays pourrait être remis sur les rails du redressement. Pour cela, il serait indispensable d’adopter un vaste programme englobant le contrôle des flux de capitaux, une redistribution, une politique industrielle, ainsi qu’une restructuration radicale de l’État. L’objectif en serait de changer l’équilibre des forces au profit du monde du travail, tout en remettant le pays sur la voie du développement durable et de l’emploi élevé. Enfin, il faudra défendre l’indépendance nationale.

13. De façon plus générale, la crise de la Zone Euro marque la fin d’une période de confiance dans l’intégration économique et politique de l’Europe. L’idéologie européaniste, qui promettait solidarité et union aux peuples européens est en recul, puisque le centre a diabolisé la périphérie au cours de la crise. La profondeur et l’acuité de la crise provoquent une réaction sociale intense contre les grandes banques et les grandes entreprises de l’Union européenne. L’impasse à laquelle a abouti l’UEM fait apparaître la possibilité que les États nationaux de l’Europe interviennent plus activement au niveau économique et social dans un avenir proche.

14. La restructuration indispensable de l’Europe, puisque l’UE et l’UEM sont en passe de s’effondrer, ne devra pas se faire par les représentants du néolibéralisme qui visent à défendre les intérêts du grand capital. Au contraire, il conviendra que son contenu soit démocratique, qu’elle s’appuie sur les forces du travail organisé et de la société civile ; elle devra puiser à la tradition théorique de l’économie politique et de l’économie hétérodoxe ; elle devra aussi avancer prudemment entre l’européanisme déclinant et le nationalisme naissant. Avant tout, il conviendra d’avoir toujours présent à l’esprit le vieux dicton socialiste, que l’Unité européenne est possible seulement si elle se fonde sur les intérêts des travailleurs.

Auteurs : C. Lapavitsas, A. Kaltenbrunner, D. Lindo, J. Meadway, J. Mitchell, J.P. Paincera, E.Pires, J. Powell, A. Steinfors, N. Teles, L. Vatikiotis
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