samedi 8 décembre 2012

Du bon usage du contrôle au faciès



Basané-bronzé-repéré-contrôlé-sans papiers-interpellé-enfermé-transféré-réenfermé-pas libéré-expulsé. Il faut bien alimenter la noria des 30000 expulsions programmées chaque année. Tout en améliorant la compétitivité du système. L'assistance juridique aux personnes retenues est un maillon faible, à faire sauter.
"Le bon peuple peut être rassuré, il existe  au moins un domaine où l’autorité de l’Etat s’exerce avec force ! Une réglementation de nos grandes banques pour éviter la ruine des petits déposants ? L’obligation faite à un grand groupe industriel d’honorer ses engagements envers ses salariés plutôt qu’envers les actionnaires et les banques ? Non, vous n’y êtes pas, car là, il faut composer avec l’égoïsme de trop fortes parties !
Non, l’arsenal étatique, judiciaire, policier, administratif est mobilisé efficacement pour arrêter les « Sans papiers », ces étrangers qui vivent sur notre sol et ne sont pas en règle vis à vis de la Préfecture où ils ont cependant bien souvent fait la queue ! En effet chaque jour, on continue d’arrêter des pauvres qu’on ramasse dans la rue, dans les gares, sur les chemins qu’ils empruntent malgré les risques, parce qu’il faut bien aller chercher le boulot là où on veut bien vous le donner… On arrête des jeunes qui n’ont pas tout compris des arcanes administratives et des dossiers qui ne sont jamais complets…Tous ceux-là sont faciles à repérer car plus colorés que la moyenne, on arrête au faciès… La vérification d’identité en 4h ne suffit pas, il faut plus pour instruire le délit (défaut de titre de transport, rébellion, et bien sûr absence de titre de séjour qui, lui, n’en est pas un)… On les enferme alors dans des centres de rétention inconnus du grand public en attendant de faire le tri et de les renvoyer d’où ils sont venus souvent depuis bien longtemps, eux qui voulaient croire qu’ils finiraient bien par s’intégrer ici puisqu’ils en avaient tellement bavé ! Voilà le domaine où la machine est rôdée et où on peut continuer d’afficher pour l’opinion publique des « résultats probants » : lutte conter la délinquance, expulsion d’indésirables ! De l’efficacité qu’on est bien en peine de trouver ailleurs !
Cela, même si c’est en contradiction complète avec d’autres actions engagées par l’Etat de façon beaucoup plus honorable, comme le titrait l’alerte RESF « De l’Aide Sociale à l’Enfance au CRA ! » avec le cas d’Ahmed SOHAIL.
Nous avons écouté le récit bouleversant de sa vie : son départ en catastrophe du Pakistan, son arrivée en 2004 dans un pays qu'il ne connaît pas (où le passeur qui l'accompagnait l'a laissé seul sur le trottoir, en partant avec son passeport et ses bagages...) son errance à 15 ans alors qu'il a perdu tous ses repères... sa prise en charge par l'ASE et le début d'un parcours d'intégration réussi qu'attestent ces bulletins scolaires flatteurs qu'il est heureux de nous montrer, une promesse d'embauche dans la plomberie qui lui a permis de demander un titre de séjour avec autorisation de travail, qu'il n'a pas obtenu... 
En effet, si la France a rempli ses obligations vis-à-vis du mineur étranger non accompagné, les choix de "l'immigration choisie", les lenteurs administratives, vont précipiter le jeune adulte étranger dans la précarité, une galère de deux ans sans travail et sans logement. Les contrôles d'identité au faciès pour satisfaire aux objectifs de la politique du chiffre l'ont conduit au CRA, à la privation de liberté (le juge, qui n'a pas voulu entendre les difficultés de son parcours, a prolongé de 20 jours sa rétention) et à l'angoisse d'être expulsé (à tout moment) vers un pays qu'il ne connaît pas et où il n'a plus de contact.
Les autorités françaises [doivent prendre] leurs responsabilités en permettant au jeune Ahmed d'achever son parcours d'insertion par une activité professionnelle officielle.
Ahmed SOHAIL. Il s'est formé en France, ses amis sont ici, il doit rester ici conformément à son désir.
Jacqueline Chemaly et Christine Benoit
de l'Observatoire citoyen du CRA de Vincennes".
Des observatoires citoyens se constituent peu à peu autour des centres de rétention administrative (CRA) où la police garde les étrangers en instance d'expulsion. Ils complètent la travail d'observation des associations sélectionnées par l'Etat pour apporter une aide à l'exercice des droits à l'intérieur même des CRA, dans le cadre d'un marché public. Ces associations, au nombre de cinq pour l'ensemble des CRA de métropole et d'Outre mer, viennent de publier un rapport: La rétention administrative des étrangers en 2011 - un bilan critique qui appelle une réforme urgente. Elles appellent à une réforme profonde des procédures d’expulsion. "Ce deuxième rapport commun apporte, chiffres et témoignages à l’appui, une analyse inédite de l’application de la loi Besson, entrée en vigueur en juillet 2011. Il met en évidence le contournement voire la mise à l’écart des juges au profit du pouvoir de l’administration, des situations de droits bafoués, d’éloignements expéditifs, d’interpellations abusives, d’enfermement inutile qui en devient parfois punitif. (...) Le rapport ne se contente pas de décortiquer un système: il permet de souligner l’urgence d’une réforme profonde des procédu d’éloignement. (...) En conformité avec les engagements européens de la France, la rétention administrative doit devenir une exception."
Pas sûr qu'on en prenne le chemin. Au contraire, c'est la visibilité des pratiques qui risque de souffrir, et ces observatoires citoyens pourraient devenir de plus en plus nécessaires.
En effet, le 5 décembre 2102, l'ouverture d'un nouveau marché public vient redéfinir l’aide à l’exercice des droits des étrangers en rétention. Il semble que les prestations prévues changent les règles dans un sens qui est loin d'être favorable aux étrangers. D'après nos informations, le nombre de placements en rétention doit rester le même qu'avant, mais avec une baisse du financement de l'aide à l'accès des personnes retenues à leurs droits, un dispositif de contrôle des associations... retenues, ainsi que de leur liberté de parole. Leur appel à une réforme urgente aurait-il été mal (ou trop bien) entendu?

Martine et Jean-Claude Vernier

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