samedi 9 mars 2013

Il n’y a plus de socialistes à l’adresse indiquée…


Il faut être juste, la fine équipe de Solférino ne nous avait pas promis l’avènement du paradis socialiste. Cela fait bien longtemps, il est vrai, qu’une telle éventualité s’est trouvée remisée au magasin des antiquités utopistes, et déjà considérée comme telle par les braves militants du courant dit des « possibilistes », au tournant du XXe siècle.


De Jean Jaurès à Harlem Désir (que ce dernier veuille bien m’excuser du raccourci historique), en passant par Jules Guesde (partisan de l’Union sacrée en 1914), Léon Blum (champion de la non-intervention en Espagne, en 1936), ou Guy Mollet (qui conduira la guerre en Algérie, alors qu’il avait mené campagne pour la paix en 1955), les promesses non tenues et les trahisons ont constamment émaillé un parti socialiste qui, sous ses diverses appellations, devait finalement opter pour la social-démocratie. N’oublions pas que Léon Blum, qui levait le poing en chantant l’Internationale, en mai 1936, nous délivrait déjà un véritable secret de polichinelle une fois devenu président du Conseil, en juin de la même année : « Nous serons des gérants fidèles du capitalisme », après avoir décrété « la pause », alors que le patronat en colique était prêt à de nombreuses concessions.

Les tristes exploits de la « Vieille maison ».

Attention ! Surtout ne pas confondre socialisme et social-démocratie. Dans le premier cas, il était envisagé de débarrasser la société de l’emprise du capitalisme. Dans la seconde approche, selon l’enseignement d’Édouard Bernstein, il était surtout prévu une méthode plus douce : la transformation graduelle et sans heurt de la société capitaliste en société socialiste. En fait, trouver un compromis raisonnable avec ceux qu’on était censé combattre la veille. Entre les deux ambitions c’était, bien évidemment, le jour et la nuit. Les socialistes de la fin du XIXe siècle, dont nombre étaient des rescapés de la Commune de Paris, n’avaient que peu d’ambitions en commun avec ceux qui se posaient déjà la question de participer au pouvoir de la bourgeoisie dans une société qui ferait table rase des luttes sociales. Le premier à franchir le pas, en 1899, Alexandre Millerand, fera partie de plusieurs cabinets ministériels, avant et pendant la Première Guerre mondiale. Président du Conseil en 1920, il avait été l’initiateur du « Bloc national », avant d’être élu président de la République. Millerand avait ouvert la voie de la trahison visible à Jules Guesde comme à Marcel Sembat, tous devenus ardents nationalistes.


Pour ceux-là, il est possible de comprendre leur rejet de l’égalitarisme, comme du collectivisme (quelle horreur !), et leur refus de rejoindre la IIIe Internationale lors du congrès de Tours, en décembre 1920. À la tête de ceux qui allaient garder la « vieille maison » se trouvait Léon Blum, qui, après avoir tenté de donner le change à la tête du gouvernement de Front populaire, de juin 1936 à juin 1937, se retrouvera à nouveau président du Conseil de la IVeRépublique, de décembre 1946 à janvier 1947. Par la suite, nos socialistes, toujours version SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), participeront à des gouvernements dits de « troisième force ». Lesquels allaient conduire les premières guerres post-coloniales, en Indochine et à Madagascar, dans le grand silence des socialistes
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Lorsque Guy Mollet accède à la présidence du Conseil, en janvier 1956, après la victoire électorale du Front républicain, sa première grande initiative consistera à durcir la guerre en confiant tous les pouvoirs militaires et civils à l’armée avec le soutien des députés communistes. Autre exploit du gouvernement Guy Mollet, son engagement dans l’expédition militaire sur le canal de Suez, aux côtés des Britanniques et des Israéliens, en novembre 1956. La suite n’est pas plus glorieuse. Est-il nécessaire de rappeler qu’en septembre 1958, suite au coup d’État à blanc du général de Gaulle en juin 1958 et du triomphe que le traîneur de sabre allait rencontrer lors de son référendum, Guy Mollet mettait la SFIO en ordre de bataille dans la perspective des élections législatives, sous le slogan : « À l’avant-garde de la Ve République ! » Par la suite, pour une courte période malgré tout, les socialistes participeront, sans honte, au premier gouvernement du Général, en compagnie des pires réactionnaires de l’époque.

Mitterrand à la rescousse

De trahisons en reniements, le parti socialiste va connaître une longue période d’agonie, avant que le grand humaniste François Mitterrand n’en prenne le contrôle, au congrès d’Épinay, en 1971. Il y a déjà bien longtemps que l’idéologie d’origine a été oubliée et, lors de ce congrès, celui qui se risquerait à chanter l’Internationale serait considéré comme un original, sinon tel un déviationniste mal venu. Avec Mitterrand, qui va peu à peu réduire le parti communiste à un club de tristes nostalgiques, le parti socialiste, qui a abandonné son sigle SFIO, va voler de victoires en succès, jusqu’à l’élection à la présidence de la République – en 1981 puis en 1988. Finalement, dans l’opposition comme au pouvoir, le parti socialiste est devenu une composante honorable de la vie politique de ce pays.

Bien sûr, il faut se garder de confondre la droite avec ce qu’il est convenu de définir comme la gauche, mais, trop souvent, la différence est bien mince. Particulièrement lorsque se pose la question du maintien de l’ordre. Ainsi le ministre socialiste de l’Intérieur Jules Moch qui, en 1947 et 1948, allait s’illustrer comme briseur de grève dans le bassin minier du Nord Pas-de-Calais, avant de se comporter de façon identique avec les dockers de Marseille. Comme il restait encore quelques policiers issus de la Résistance, qui protestaient contre ses méthodes brutales, Jules Moch profitera de ces circonstances pour dissoudre onze compagnies de CRS jugées par trop réticentes.

Gaston Defferre, devenu ministre de l’Intérieur, au lendemain du 10 mai 1981, prend un syndicaliste policier, Gérard Monatte, dans son cabinet. Lequel n’hésite pas à taper du poing sur la table : « Il faut remettre de l’ordre dans la maison ! » Étonnant. Mieux encore, le 17 juillet 1981, depuis Marseille, Gaston Defferre prévient ses troupes : « Je ne tolère pas qu’un quartier entier soit encerclé et investi par des policiers brisant portes et fenêtres, et que les habitants, hommes et femmes et enfants soient frappés à coups de crosse à l’occasion de la recherche d’un voleur de moto… Les ratonnades c’est fini ! La plaisanterie est terminée. Ceux qui désobéiront seront châtiés ! » On se frotte les yeux. Peu de temps après, pour s’attirer les bonnes grâces du corps policier, Gaston Defferrre annonce le recrutement de 6 000 fonctionnaires d’autorité supplémentaires ; l’ensemble du corps étant doté d’armes jugées plus efficaces. Moins d’un an plus tard, le ministre sera, à son tour, victime du syndrome de la nuque raide, avec une déclaration, le 15 juin 1982, affirmant sa volonté de faire évacuer les usines occupées par les ouvriers en grève. Il en va de même avec la volonté affirmée de renforcer les contrôles d’identité.

Gaston Defferre, malade, cédera son poste à un autre socialiste, Pierre Joxe, en août 1984, après avoir rétabli un certain nombre de bons principes. Son successeur n’aura de cesse de flatter l’ego des policiers – peut-être n’a-t-il pas d’autre choix pour se faire admettre par les syndicats, dits de gauche. Passé le premier intermède de Pasqua, au ministère de l’Intérieur de mars 1986 à mai 1988, Joxe est de retour, et annonce dans un message aux policiers : « Je sais pouvoir compter sur votre courage et votre dévouement pour l’exécution de votre difficile mission ! » Coup de clairon qui va être complété par l’interdiction des boissons alcoolisées dans les locaux de police, par décision prise en décembre 1988. Lors de la première guerre du Golfe, en décembre 1990, Pierre Joxe, devenu ministre de la Défense, cède la place à un autre socialiste, Philippe Marchand, qui réussit à se mettre à dos tous les syndicats de policiers, y compris ceux qui se prétendent de gauche. Il sera remplacé, en mai 1992, par l’insignifiant Paul Quilès, dont le grand-œuvre sera la mise en place d’une « haute autorité » chargée de veiller à la déontologie policière.

L’aile protectrice du « camarade Michel »

Suite à l’un de ces allers et retours qui émaillent le cirque politique, Lionel Jospin, devenu Premier ministre en juin 1997, choisit comme ministre de l’Intérieur un ancien compagnon de route du Parlement socialiste, Jean-Pierre Chevènement. Ce matamore tiendra à rappeler immédiatement que : « La France a toujours eu une tradition de police d’ordre ! » Sous la houlette de Chevènement, les policiers de la République se verront rappeler qu’il leur faut, prioritairement, remettre dans le droit chemin les « sauvageons » qui risquent de troubler l’ordre public. Rapidement, lors du colloque de Villepinte, en octobre 1997, c’est à l’unisson que Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement s’appliqueront à proclamer que « la sécurité est une valeur de gauche » !

Jusqu’à la fin de sa période gouvernementale, Lionel Jospin ne se départira pas d’un certain nombre de « valeurs » partagées par la droite dure. Particulièrement, après une période de régularisations massives de sans-papiers, de 1997 à 1999, la réthorique du « camarade Michel » (pseudonyme de Jospin au temps où il militait clandestinement dans les rangs de l’OCI) va changer radicalement, évoquant ceux « qui n’ont pas vocation à rester en France ». Comme s’il commençait à se repentir des avancées revendiquées en 1997, et alors que de nouvelles échéances électorales s’annonçaient et qu’il entrait en campagne, Lionel Jospin expliquera au « peuple de gauche » ébahi, comme une confidence, sur les antennes de France 2 : « Mon programme n’est pas socialiste ! » Ce qui était une évidence.
À chacun de leur passage au pouvoir, nos donneurs de leçons socialistes s’échinent à nous faire comprendre que, avec leurs hommes d’État aux manettes, tous les problèmes seront réglés. Mais nos socialistes sont ainsi faits qu’ils se refusent à faire de la peine à la France profonde, qui, comme le disait Coluche, « n’est pas de droite mais encore moins de gauche… »

Les résultats électoraux ont toujours constitué un mystère insondable. Ainsi, du 21 avril au 6 mai 2002, les foules défilaient dans les grandes villes de France pour s’opposer à Jean-Marie Le Pen, présent au second tour de l’élection présidentielle aux cris de « Votez pour l’escroc, pas pour le facho ! » Superbe analyse politique dans sa stupidité.

De Daniel Vaillant à Nicolas Sarkozy

Élu finalement par les voix du « peuple de gauche », Jacques Chirac nous offrait pour toute récompense la promotion de Nicolas Sarkozy au poste de ministre de l’Intérieur – préludant une ascension irrésistible. à ce stade se situait une séquence du plus haut comique : dès le mois de juin 2002, lorsque le petit Nicolas dévoilait les articles de sa loi sur la sécurité intérieure, le ministre de l’Intérieur sortant, Daniel Vaillant, versera de lourds sanglots : « Il a volé mon programme ! » Authentique. Ce pauvre Daniel Vaillant qui avait succédé à Jean-Pierre Chevènement, durant l’été 2000, n’avait pas tardé à proclamer : « La sécurité est une valeur républicaine. Elle n’est ni de droite ni de gauche. C’est un droit ! » Cette volonté de politiser l’action des forces de l’ordre était alors judicieusement commentée par le sociologue Laurent Bonelli, en avril 2001, qui avait évoqué « l’uniformatisation des pratiques et des discours sécuritaires entre la gauche et la droite ».

Parmi les quelques exploits de Daniel Vaillant, le décret avalisant le fichier Stic (Système de traitement des infractions constatées) en juillet 2001. Fichier existant déjà, mais clandestinement, depuis 1996. Décidément très impliqué dans l’élargissement de l’arsenal répressif, il avait fait adopter sa loi sur la sécurité publique (LSQ) en novembre 2001, à quelques mois de l’élection présidentielle. Selon la Ligue des droits de l’homme, ce texte tenait surtout à « pénaliser la pauvreté bien plus qu’à lutter contre la délinquance ». Pour Michel Tubiana, alors président de la LDH : « Ces mesures ne sont pas faites pour lutter contre le terrorisme mais pour accroître les pouvoirs de la police dans un but nettement électoral. » Pour en terminer avec ce regrettable ministre de l’Intérieur, il faut bien constater que l’on n’aura jamais autant embauché dans la police, depuis Defferre et Joxe.

Battue en 2002, la gauche sera condamnée à dix ans de purgatoire. Il faudra toute la brutalité sociale de Nicolas Sarkozy, après son triomphe à l’élection présidentielle de 2007, pour que sa fine équipe perde successivement les élections municipales, cantonales et régionales, avant que le Sénat ne bascule à gauche. Certaine de son élection à l’élection présidentielle de mai 2012, notre gauche se livrait de nouveau à mille promesses qui ne seraient pas tenues. Une seule volonté habitait le clan de la rue Solférino : en remontrer à Sarkozy sur sa capacité à maintenir l’ordre. À cette fin, le parti socialiste disposait de son joker : Manuel Valls. Lequel, fils d’immigré et Français à l’excès comme son prédécesseur, n’allait pas tarder à faire montre de son talent.

Les valeurs républicaines et Manuel Valls

C’est Manuel Valls qui allait surtout mettre en musique les imprécations du discours de Grenoble du 30 juillet 2010, lorsque Nicolas Sarkozy éructait sa vindicte contre les Roms, sans que l’on s’en émeuve vraiment dans les rangs du parti socialiste. Depuis neuf mois, l’ordre règne au pays de la liberté, et les centres de rétention administrative sont toujours aussi accueillants pour les sans-papiers, traités comme des criminels dans ces lieux de non-droit. Il est difficile d’oublier la manière ignominieuse dont les sbires du ministre de l’Intérieur devaient livrer Aurore Martin à la justice espagnole, en novembre 2012. Cette militante basque étant heureusement libérée un mois plus tard. Faut-il estimer que la droite espagnole serait moins répressive, à l’occasion, que la gauche française ? Comment négliger les reculades du pouvoir socialiste face à la famille Peugeot, face au patron du groupe ArcelorMital, malgré les promesses de François Hollande ? La gauche ne détiendrait donc qu’un pouvoir formel ? Bienvenue en terre social-démocrate !

Maurice Rajsfus

Les belles formules… Dans une tribune libre, parue dans Libération le 28 décembre 2012, intitulée « Non, social-démocrate n’est pas une insulte ! » l’économiste Jean Natouk émettait un jugement sans appel : « La social-démocratie sait que l’essentiel de la production de la valeur ajoutée passe par les entreprises qui, si elles sont en concurrence, ne peuvent qu’être privées. Elle sait donc que c’est avec elles que doivent être trouvés les consensus nécessaires. » CQFD et merci pour cette précision indispensable.

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