mercredi 4 avril 2012

Union par une Expulsion Populaire




D'ordinaire, les candidats à une élection s'efforcent d'accomplir ce pour quoi la langue politique dispose d'innombrables synonymes : réaliser la plus large union, fédérer, rassembler, dépasser les clivages... A cette fin, les candidats multiplient les contacts, s'efforcent d'apaiser les tensions, dépensent toute leur énergie à bâtir des compromis, certes plus ou moins réussis et bancals. Nicolas Sarkozy a, quant à lui, opté pour la stratégie inverse : exclure radicalement, si possible à la marge, pour unir le groupe restant par la présence, réelle ou supposée, d'un ennemi qui n'a rien à envier aux dessins monstrueux sous lesquels les caricaturistes d'antan se plaisaient à le dépeindre.

Voici donc une première vague d'expulsions de prédicateurs extrémistes. D'autres suivront, sans doute pour rythmer autrement la campagne que par des propositions concrètes sur le programme pour l'après-élections et des observations rigoureuses sur le bilan du quinquennat écoulé.

La mesure est en apparence fort habile. Placé devant le fait accompli, il est impossible de s'opposer à l'éloignement, comme on dit, de prédicateurs de la haine. Au contraire. Il paraît être du devoir de chacun de nager en suivant le courant et de suivre les instructions du chef quant aux petits poissons à liquider. Pendant que les gros poissons continuent leur route.


Pourtant, quand on regarde sereinement le détail des mesures, chose rendue quasiment impossible dans les circonstances présentes, un sentiment nauséeux nous envahit. N'évoquons même pas le doute éventuel sur l'exactitude des propos justifiant l'expulsion, dont on n'aura jamais la preuve, mais dont certains éléments ne manquent pas d'être fort surprenants, par exemple l'incitation à la consommation de drogues. Du point de vue même de la sécurité, ce qui frappe en premier est l'ancienneté des propos évoqués. Gageons que des actions hostiles à l'Etat, pour reprendre l'expression, plus récemment faites seraient mentionnées, et que donc les décideurs n'en disposaient pas de conséquentes. Par suite : si donc ces prédicateurs sont extrémistes et dangereux, pourquoi les avoir acceptés en connaissance de cause si longtemps ? Mystère.


Deuxièmement, toujours du point de vue de la seule sécurité, si l'expulsion est la mesure de sûreté nécessaire, comment ferons-nous pour les prédicateurs ayant la nationalité française ? La question est préoccupante, car, pour le dire avec les mots reprochés à l'un des expulsés, ceux qui dans notre pays dénoncent que « l'argent a été érigé en valeur suprême » sont relativement nombreux, y compris dans les milieux français « de souche ». 



Et vers où expulserons-nous les prêtres et paroissiens qui, encore aujourd'hui, au cœur de nos beaux quartiers, évoquent dans les liturgies « le juif perfide » ? Ou encore ces groupes paramilitaires habitués des actes violents y compris contre les autorités publiques, interdits dans beaucoup de pays occidentaux, mais parfaitement tolérés, voire couverts par l'impunité dans le nôtre ? Que vaut par ailleurs une expulsion pour faire taire les propos haineux à l'heure où les moyens de communication ignorent les frontières notamment pour les orateurs tenus pour victimes, et qui par ailleurs ôtera à la France ipso facto tout pouvoir de poursuivre en justice les auteurs desdits propos ? Concrètement, plusieurs des prédicateurs ciblés par la vague d'expulsions ont des attaches familiales : de nouveaux coups d'épée dans l'eau, retour triomphal à la clef, sont en vue, comme il y a quelques années d'ailleurs dans des moments similaires.

Troisièmement, un fait étonnant mérite d'être souligné : chacun des prédicateurs expulsés vient d'un pays différent. Loin du patient travail policier consistant à démonter les réseaux et les mettre hors d'état de nuire, voici un saupoudrage, un élément de chaque communauté étant neutralisé, soit pour la mettre en garde dans son ensemble, soit pour faire naître l'idée d'un encerclement de la France par une grande zone indistincte, sorte de banlieue géante à l'échelle mondiale, d'où viennent les attaques, et dont le seul point commun est une religion donnée.


Enfin, et surtout, à aucun moment nul ne s'est interrogé sur la suite ou sur le cadre politique global de l'action plus que nécessaire en matière de l'islam de France. Sur ceux qui prendront, qu'on le veuille ou non, officiellement ou non, le relais des expulsés présents et à venir. Sur ce qui adviendra aux jeunes dépourvus de tout repère, de toute éducation, qu'elle soit française ou étrangère. Sur la cohésion, déjà fort précaire, des familles dans le désarroi suite aux événements de la vie qui tôt ou tard nous frappent tous. Au lieu de promouvoir la formation de cadres compétents, d'érudits et d'intellectuels de l'islam, le gouvernement crée un paysage de désolation, un terrain vague mental. En se plaçant au demeurant dans les traces d'une fort ancienne tradition, qui faisait par exemple ses prédécesseurs déclarer que, contrairement à l'espagnol ou l'italien, l'arabe ne pouvait être enseigné à l'université d'Alger, n'étant pas une « langue de culture ».


Alors oui, si les expulsions présentes et à venir sont justifiables sur le plan individuel, leur portée symbolique est désastreuse pour la société. Leur usage politique est particulièrement perfide. Relève de ces détestables pratiques que l'on espérait révolues d'excitation des mouvements de foule, de divisions entretenues, et dont le lâche usage tactique n'a jamais su dissimuler l'absence de stratégie et encore plus de vision éthique et sociale de leur auteur.

Hamou Bouakkazsource

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