samedi 16 février 2013

Le travail des immigrés, juste un fait humain




L'immigration n'a pas d'influence sur la richesse du pays, elle ne coûte ni ne rapporte aux finances publiques, elle n'a pas de rôle dans l'évolution du chômage. Alors qu'elle s'impose comme un fait culturel et humain, prétendre la gérer en fonction d'objectifs économiques est illusoire.

On parle ici d'immigrés au sens de l'INSEE: les personnes vivant en France, nées étrangères à l'étranger. Au recensement de 2008, on en comptait 5,2 millions, soit 8% de la population totale. Cette proportion était de 3% autour de 1900, elle est restée stable depuis 1975, époque à laquelle le gouvernement a commencé à lutter contre l'immigration, après l'avoir encouragée pour reconstruire la France après la seconde guerre mondiale. Parmi eux, 1,6 millions sont devenus Français - donc électeurs s'ils le souhaitent et s'ils sont majeurs.


Les immigrés originaires d'Europe représentent 40% de cette population, ceux nés en Afrique (surtout le Maghreb) un peu plus. Dans les arrivées comptabilisées en 2008, les principaux pays d'origine sont l'Algérie, le Maroc et la Chine, mais "pour rendre compte d'au moins 90% des flux annuels, il faudrait passer en revue la situation d'une quarantaine de pays supplémentaires".

Nous tirons ces chiffres d'un petit livre, On entend dire que...L'immigration coûte cher à la France - Qu'en pensent les économistes? de Xavier Chojnicki et Lionel Ragot (Editions Eyrolles-Les Echos, 2012). Les auteurs, après ces rappels factuels, entrent dans le vif du sujet.

Depuis 2002, environ 200 000 ressortissants étrangers s'établissent en France chaque année. Ils se répartissant entre un quart de citoyens de l'UE et trois quarts du reste du monde - 10% de réfugiés ou étrangers venus faire soigner une maladie grave, 33% de membres de famille, 22% d'étudiants, 10% de travailleurs importés. Mais d'autres en repartent, français ou étrangers. Finalement, le solde migratoire annuel s'est situé entre 40 000 et 100 000 depuis 1990. En 2010 il a été de 75 000 personnes, qui ne représente qu'un quart de l'accroissement naturel de la population (excédent du nombre des naissances sur celui des décès). Et dans cet accroissement naturel, les enfants des immigrées ne contribuant qu'à 5% du taux de fécondité global. Certes, les femmes immigrées ont plutôt 3 enfants alors que les autochtones (ou natifs) en ont plutôt 2, mais elles ont beaucoup moins nombreuses...

La France compte donc 3,5 millions d'étrangers installés, dont environ 2 millions originaires de pays hors UE, les "pays tiers". Et entre 0,2 et 0,5 millions d'étrangers sans titre de séjour, originaires par définition de ces mêmes pays, puisque les ressortissants de l'UE n'ont pas besoin d'autorisation de séjour - sauf les bulgares et les roumains jusqu'à la fin de 2013. Faut-il compter ces sans papiers dans les 2 millions ou en plus? Ce n'est pas clair, mais nous verrons plus loin que cela ne change pas grand chose aux constats économiques.

On ne peut compter directement les étrangers en séjour irrégulier, mais des estimations indirectes sont possibles. Chaque année, 30 000 sont expulsés et 30 000 sont régularisés. L'estimation de leur nombre restant stable d'une année sur l'autre, on est conduit à penser qu'ils sont remplacés par de nouveaux arrivants à hauteur de 60 000 par an, un nombre comparable au solde migratoire officiel. La voilà enfin dévoilée, l'invasion qui nous menace: 0,1% de la population du pays "d'accueil".

Les auteurs répondent ensuite à une série de questions récurrentes, s'appuyant sur nombre d'études portant sur la France et les pays de structure économique comparable.

  • Les immigrés tirent-ils les salaires vers le bas? Font-ils augmenter le taux de chômage des Français?
  • La réponse est: très peu, voire pas du tout. Les auteurs proposent plusieurs explications, cumulatives mais sans doute pas exhaustives, à ce fait d'observation.
  • - "l'immigration agit certes sur l'offre de travail, mais également sur la demande. Les immigrés constituent avec leur famille un élément de la demande finale de biens et de services: ils contribuent à augmenter celle-ci, ce qui stimule l'activité et, par ricochet, l'emploi."

    - "Les métiers pourvus par les entrants sont souvent des métiers non pourvus par le Français. (...) ainsi, en 2010, les immigrés des pays tiers (hors UE) sont proportionnellement trois fois plus nombreux dans l'hôtellerie-restauration et (...) dans l'intérim, la sécurité et le nettoyage, (...) dans le secteur de la construction. (...) C'est bien parce que les immigrés (hors UE) sont différents des autochtones qu'ils vont permettre, contrairement à une idée reçue, d'apaiser un certain nombre de tensions sur le marché du travail."

    - "Par ailleurs, la concurrence sur le marché du travail s'exerce d'avantage entre anciennes et nouvelles vagues de migrants qu'entre migrants et natifs". Ce qui explique que les immigrés récents aient un taux de chômage plus élevé que la population native, la concurrence venant des étrangers sans papiers contraints d'accepter des conditions de travail et de rémunération (souvent au noir) beaucoup plus dures en attendant leur régularisation.

  • L'immigration est-elle un fardeau pour les finances publiques? La réponse de nos auteurs est: non, et peut-être même "au contraire". Et pour une raison simple: au cours d'une vie, on commence par être débiteur de la société jusqu'à la fin de sa formation, ensuite on devient créditeur au cours de sa vie professionnelle, puis de nouveau débiteur à l'âge de la retraite. Certes les immigrés des pays tiers, généralement moins qualifiés que les autochtones, ou dont la qualification obtenue à l'étranger n'est pas reconnue, sont aussi plus pauvres. Ils bénéficient donc plus de la solidarité sociale. Mais leur pyramide des âges est radicalement différente de celle des autochtones, ils sont relativement beaucoup plus nombreux dans la tranche d'âge où l'on est créditeur net.
  • - Les auteurs se livrent à "un exercice comptable qui consiste à comparer les bénéfices que les immigrés retirent du fonctionnement du système public (dépenses sociales, éducation, santé, retraite, etc) avec les contributions qu'ils y apportent par les différents prélèvements dont ils s’acquittent (impôt sur le revenu, TVA, cotisations sociales, CSG, etc)".
    - "Avec ce calcul, la contribution nette globale au budget des administrations publiques de l'ensemble des immigrés en situation légale sur le territoire national en 2005 serait légèrement positive et d'un montant de 3,9 milliards d'euros". Les auteurs insistent sur le fait que ce résultat peut varier d'une année à l'autre, mais sans s'éloigner notablement de l'équilibre.

    - Qu'en est-il de la contribution des étrangers en séjour irrégulier, dont on a vu qu'ils représentent moins de 10% de la population immigrée? A la louche: s'ils travaillent avec les papiers d'un "cousin", indirectement ils paient des cotisations sociales et déclarent des revenus; s'ils travaillent au noir, il y a perte de cotisations sociales pour la collectivité. Ils paient la TVA sur leur consommation et celle de leur famille. Leurs enfants, s'ils en ont (beaucoup de travailleurs sans papiers sont célibataires) vont à l'école. Si nécessaire ils sont soignés aux frais de la collectivité grâce à l'aide médicale de l'Etat, tout en étant dans une tranche d'âge où les dépenses de santé sont réduites. Ils ne sont pas éligibles aux allocations familiales ni à l'aide personnalisée au logement. Quand ils atteindront l'âge de la retraite, leur parcours professionnel incertain ne leur assurera qu'une bien maigre pension. Difficile dans ces conditions de leur imputer les déficits des comptes sociaux.

    Par contre, la généralisation de leur emploi dissimulé empoisonne la vie économique du pays au même titre que la corruption dans d'autres strates de la société... ou le dopage dans le sport..

    - Une autre évaluation de l'équilibre coût/bénéfice de l'immigration annonce un coût de 30 milliards en 2008 (Jean-Paul Gourevitch, Le coût de la politique migratoire de la France, ed. Contribuables associés, 2010). Comment une telle discordance de résultats est-elle possible? Tout d'abord en ne considérant pas la même population (avec les enfants d'immigrés nés en France, qui ne sont pas des immigrés mais qui sont dans la tranche d'âge débitrice) , et en comptant dans les coûts "l'aide publique au développement en direction des pays d'origine, qui est supposée freiner le désir d'immigrer (...), une évaluation découlant du non-paiement des cotisations sociales en matière de travail illégal (...), une imputation aux immigrés des coûts de la contrefaçon (...), de la prostitution (...), etc". Nos auteurs ne sont pas convaincus par ce travail, dans lequel ils relèvent, entre autres, une évaluation des dépenses de santé ignorant le fait qu'il s'agit d'une population jeune, qui a peu recours aux soins, des recettes de cotisations sociales des immigrés en situation régulière sous-évaluées, et ainsi de suite.

  • Qu'en est-il du "creuset français" ? Les auteurs reconnaissent les difficultés actuelles de l'intégration, dont ils notent, après d'autres, qu'elles sont liées à la pauvreté des familles plutôt qu'à leur qualité d'immigrées. Ils mettent cependant en avant ce qu'ils appellent "des preuves empiriques que l'intégration sous forme d'une convergence est bel et bien à l'oeuvre: demande de naturalisation ou insertion professionnelle en net progrès en relation avec le temps passé en France, (...) l'adoption massive de la langue française, la rapide convergence des taux de fécondité, la progression des mariages mixtes dans la deuxième génération (les enfants d'immigrés), etc."

Nos auteurs concluent sur une série de questions auxquelles ils apportent des réponses qui sont autant de scoops.

- L'immigration peut-elle sauver notre protection sociale? Les immigrés sont globalement plus jeunes que les autochtones, donc globalement plus contributeurs que bénéficiaires. Combien faudrait-il en accueillir pour juguler l'effet du vieillissement? Réponse: il faudrait doubler la population tous les quarante ans. "Ces ordres de grandeur suffisent pour conclure à l'irréalisme d'un tel dessein".

- L'immigration doit-elle être un instrument de gestion des pénuries de main d'oeuvre? "Les pénuries, lorsqu'elles sont avérées, proviennent généralement de rigidités sur le marché du travail et, avant de faire appel à une main-d'oeuvre étrangère pour accroître l'offre de travail, [il y a lieu] d'entreprendre des réformes sur ce marché".

- Peut-on définir un niveau "optimal" d'immigration pour l'économie française? "Après avoir montré que l'immigration n'a pratiquement pas d'effet persistant, que ce soit sur le marché du travail ou sur les finances publiques, [l'analyse économique] parvient à un résultat similaire sur la croissance économique et le PIB par habitant. Il est donc vain selon ces critères de chercher à quantifier le bon niveau des flux migratoires".

Aïe!... Le Président de la République s'est engagé à organiser chaque année au Parlement un débat sans vote afin de fixer les orientations en matière d'immigration professionnelle. La première est actuellement en préparation, sous l'égide du ministère... de l'Intérieur.

Martine et Jean-Claude Vernier

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