Malte, Lampedusa, je ne veux pas voir ces photos-là... Un texte de Nathalie M’Dela-Mounier, écrivain breton, antillais, africain, extrait de Rivage atlantique.
Il y a eu, il reste encore, l’océan cannibale et ses îles volcaniques, mirages des vivants.
Je suis devant ; debout sur une rive à deviner ceux qui n’arrivent plus. La route atlantique hérissée de barbelés virtuels s’est faite cul-de-sac mais les hommes n’ont pas renoncé à partir ; ils ont juste changé de mer à traverser, modifié l’itinéraire de leur improbable voyage, échangé un enfer contre un autre.
Malte, Lampedusa, je ne veux pas voir ces photos-là. Pas d’images, pas de sons. Ni voir ni entendre ; je sais déjà et j’en fais quoi ? Pas ces cadavres anonymes dans les linceuls blancs improvisés, pas ces morts emballés dans des housses mortuaires noires, prêts pour l’autopsie d’un chaos, pas ces rescapés malvenus grelottant dans les couvertures de survie dont l’or métallique, cannibalisé par les projecteurs, rappelle que le soleil ne brille pas pour tout le monde.
A la seule lecture des articles qui tombent en chute libre, cette lointaine horreur s’est faite mienne. L’impression qu’au lieu d’alerter, de dénoncer, de mettre en garde, de réveiller les consciences assoupies, de documenter le tumulte depuis tant d’années, j’ai participé du désastre.
Mes enfants de papier qui devaient être d’immortels veilleurs tourmentés, des appels à mieux vivre, ont rallié le bord de ce monde ; page après plage, ils regardent à travers le prisme du réel leurs frères de chair se noyer avec eux sans jamais remonter à la surface. Décidément, écrire ne suffit pas ! Juste un nécessaire, rempart sans cesse reconstruit, dressé contre l’indifférence, l’oubli et le mépris.