lundi 30 janvier 2012

Sarkozy invente le président-candidat



Nicolas Sarkozy est candidat. Et c'est la CDU, le parti chrétien-démocrate d'Angela Merkel, qui l'annonce. Présent au Conseil national de l'UMP, samedi, Hermann Gröhe, le secrétaire général de la CDU, a indiqué que le président français était «l'homme qu'il faut pour être à l'Elysée, aujourd'hui et à l'avenir»et que la chancelière allemande allait «(le) soutenir lors de rendez-vous de campagne au printemps».

Le chef de l'Etat inaugure une candidature d'un genre nouveau : le «président-candidat», qui use de tous les leviers offerts par la présidence et fixe un calendrier calqué sur son agenda. En octobre déjà, il était intervenu longuement dans l'émission «Face à la crise» diffusée sur TF1 et France 2. En janvier, il s'est offert un mois de campagne grâce à ses vœux présidentiels (23 discours en un mois, dont 12 déplacements).

Ce dimanche soir, son intervention télévisée a été diffusée en direct sur huit chaînes – du jamais vu –, avec des journalistes choisis par l'Elysée (lire le billet d'Edwy Plenel). «Vous avez souhaité qu'ils soient présents», a d'ailleurs étrangement lâché Laurent Delahousse (France-2), en introduisant ses confrères Jean-Marc Sylvestre (i-télé) et François Lenglet (BFM-TV). Interpellé par le député PS Didier Mathus, le CSA a annoncé que le temps de parole du président serait décompté lorsqu'il intervient en tant que «candidat présumé», sur son bilan ou son programme. Autant dire – normalement – l'intégralité de l'émission.

Car c'est bien un axe central de son programme qu'a annoncé Nicolas Sarkozy depuis l'Elysée. Alors qu'il avait promis, en mars 2010, dans Le Figaro Magazine, «une pause» dans les réformes à la fin du quinquennat, «pour que le Parlement puisse, s'il le souhaite, délégiférer (sic) et compléter toutes les réformes pour les améliorer», il a déroulé dimanche un ensemble de mesures s'étalant bien au-delà de 2012 : une hausse de la TVA de 1,6 point, la création d'une banque pour les PME, une taxe sur les transactions financières, des sanctions pour favoriser l'apprentissage des jeunes, la possibilité de construire 30 % de plus sur son logement sans permis de construire (lire le décryptage économique de Mathieu Magnaudeix).

Ces mesures n'en cachent en réalité qu'une seule : la TVA sociale (dont il réfute le nom : «ce mot n'a aucun sens»), qu'il renvoie... au 1er octobre. Lui qui a promis de ne pas augmenter les impôts («Clairement, j'exclus toute augmentation des impôts»), va donc augmenter la fiscalité indirecte.

«Président-candidat», Nicolas Sarkozy a refusé l'appellation durant l'émission : «Je ne peux pas mettre ce pays en situation d'avoir un président candidat pendant des mois interminables.» Il a ponctué son intervention de couplets sur ses «devoirs» de «chef de l'Etat».«Quand on est chef de l'Etat, on a des devoirs, on assume ces devoirs», «Je suis président de la République du cinquième pays au monde», «j'ai des devoirs», «les Français attendent des décisions», a-t-il répété.

S'il nie être en campagne, n'a-t-il pas aussi oublié qu'il était président depuis 2007 ? Difficile pour qui l'écoutait dimanche soir de penser qu'il est aux manettes du pays depuis cinq ans. «Les Français sont revenus de toutes les promesses», a-t-il osé. Il a multiplié les «ce n'est pas acceptable», s'indignant de la situation actuelle, parlant de la gauche comme si elle était au pouvoir. Il a fustigé plusieurs mesures du projet socialiste, «une folie», «un mensonge», «une ruine» pour la France, «il n'y a pas un Français qui croit que (le retour à la retraite à 60 ans - NDLR) c'est vrai».Un exercice auquel il s'est livré tout au long du mois de janvier (voir notre décryptage et notre vidéo ci-dessous)





« Qui croit encore en Sarkozy ? »

Il a volontiers dramatisé la situation («crise historique», «devoir de lucidité»), tout en affirmant que grâce aux «mesures prises», «la crise financière s'apaise» et «l'Europe n'est plus au bord du gouffre» (lire l'analyse de Martine Orange qui infirme le propos). «Il faut maintenant faire porter tous nos efforts sur la crise économique», a-t-il déclaré. En filigrane, le message était clair :«(Ré-)élisez-moi pour mettre en œuvre ces réformes».
Nicolas Sarkozy a surtout déroulé la suite d'un storytelling mis sur pied ces dernières semaines. La stratégie est double. D'abord se poser en «challenger» (le mot est de Brice Hortefeux) face au«candidat du système», François Hollande. Sans jamais le citer, il a dépeint son adversaire socialiste en «favori» «arrogant» criant victoire trop tôt : «Parfois je peux en avoir l'impatience tant je constate l'arrogance déplacée» ; «Les Français, c'est un peuple libre, frondeur, souverain qui ne se laisse imposer sa décision par personne», «J'ai fauté quand j'étais plus jeune, j'ai vu les ravages de l'arrogance», a-t-il aussi lâché en référence à l'élection de 1995 et d'Edouard Balladur, finalement battu par Chirac. «Tous les candidats du système, y compris lorsque je les ai soutenus, ont été battus. Tous», avait-il déjà prévenu lors de sa dernière intervention télévisée, le 27 octobre.

Lui serait le candidat aux «idées nouvelles», comme il l'a dit lors de ses vœux, en demandant «d'oser le changement». Dimanche, il a tenté de ringardiser les socialistes : «Le clivage n'est pas simplement entre droite et gauche, il est entre ceux qui veulent un monde nouveau et ceux qui sont dans leur vieille lutte idéologique.»

Autre volet de cette stratégie : laisser apparaître des faiblesses, mettre en scène une mise à nu en évoquant sa possible défaite et sa «fin de carrière», comme il l'a fait avec son vrai-faux «off». Dimanche, il a donc voulu se présenter en chef de l'Etat humble qui a connu «bien des hauts et bien des bas» : «Je ne suis pas là pour parler de moi ce soir», «je veux parler des problèmes des Français», a-t-il feint plusieurs fois. Puis : «J'ai bien conscience du ridicule que peuvent avoir des états d'âme personnels alors qu'il y a tant de souffrance et tant d'inquiétude.»

Il a même fait mine d'entamer un mea culpa sur son bilan. «Est-ce que j'ai des regrets ? Oui. Est-ce que je m'en expliquerai le moment venu ? Oui.» Concernant la déduction des intérêts d'emprunt immobilier, il a reconnu que «sans doute, ça devait être une erreur, ça coûtait fort cher». Une fausse autocritique pour mieux apparaître comme «sincère» et «authentique», termes prononcés plusieurs fois. «J'ai un rendez vous avec les Français, je ne me déroberai pas», a-t-il affirmé.




Le président-candidat a surtout bâti sa campagne autour de deux mots, qu'il répète à l'envi : «courage» et«vérité». «C'est le courage qui donne la force d'agir», a-t-il lancé lors de son hommage à l'ancien Premier ministre Michel Debré, le 15 janvier. Le slogan a été repris, samedi, dans un clip présenté lors du conseil national de l'UMP (ci-contre). Pendant deux minutes, des images d'archives se succèdent, du Débarquement en Normandie au Tour de France, en passant par de Gaulle, André Malraux, Simone Veil, les tandems franco-allemands, etc. Nicolas Sarkozy n'est pas candidat mais son slogan est déjà prêt.

Dans son camp, pourtant, qui croit encore en lui ? C'est la question que pose Le Monde dans cet article racontant les désertions de hauts fonctionnaires pour les cercles de François Hollande, les inquiétudes des militants et l'«état de déprime» des députés UMP.«La situation est très difficile», reconnaît-on à l'Elysée. Un proche du président est perplexe : «Comment se fait-il qu'en quelques jours, un simple meeting de François Hollande, réussi certes, mais tout de même pas extraordinaire, ait à ce point accéléré notre intégration de la défaite ?»

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