dimanche 18 novembre 2012

Calais : des migrants harcelés par les policiers selon le Défenseur des droits



Pas de violences policières, mais des pratiques humiliantes, parfois illégales, qui s’apparentent à un véritable harcèlement policier des migrants transitant dans la région de Calais (Pas-de-Calais). Dans une décision datée du 12 novembre 2012, rendue publique ce vendredi, le Défenseur des droits Dominique Baudis demande « qu'il soit mis fin à ces pratiques et que la hiérarchie policière, qui ne peut les ignorer, y porte une attention particulière ». Les faits décrits se situent entre 2009 et 2011, mais « c'est aussi ce que nous aurions pu constater en 2012 », précise son adjointe chargée des questions de déontologie de la sécurité, Françoise Mothès.

Distribution de repas sur la zone portuaire, avril 2012.Distribution de repas sur la zone portuaire, avril 2012.© Rachida El Azzouzi


Dès le lendemain de sa nomination, le 22 juin 2011, Dominique Baudis avait reçu un collectif d’associations du Pas-de-Calais révoltées par le harcèlement policier dont elles étaient témoins (et parfois victimes). Au final, 23 organisations se sont jointes à la saisine initiale de membres du réseau anarchiste européen No Border, qui milite contre les politiques de contrôle de l'immigration au sein de l'espace Schengen.

Ville portuaire située à 35 kilomètres des côtes anglaises, Calais et sa région voient passer de nombreux migrants tentant de se rendre en Angleterre à bord de camions. Aux avant-postes de la politique répressive d’immigration menée ces dix dernières années en France. Depuis la destruction en 2002 du centre de Sangatte, puis en septembre 2009 de la « jungle » de Calais, les camps de fortune se sont multipliés « dans le Calaisis, mais également sur l’ensemble du littoral de la Manche et de la mer du Nord », note le Défenseur.

Lors de sa visite en octobre 2012, les migrants étaient estimés à 220 à Calais, avec bien sûr un gros turnover. « Actuellement, selon les données de la police aux frontières, les découvertes de clandestins dans les ensembles routiers qui permettent d’accéder à l’Angleterre sont d’environ 500 par mois alors qu’ils étaient environ 2 000 avant le démantèlement de la jungle », explique son rapport.

Il y a là des Afghans, des Soudanais, des Irakiens, des Érythréens et des Iraniens, bref une majorité de personnes provenant de « pays dans lesquels la situation politique est instable, voire conflictuelle ou de pays où les droits de l’Homme font l’objet de graves violations », selon le Haut commissariat aux réfugiés, sollicité par le Défenseur. Certains d’entre eux ont déposé une demande d’asile en France, d’autres sont en situation irrégulière, découragés par le système de Dublin qui prévoit que la demande d’asile soit examinée par le pays européen de premier accueil.

« Sachant qu’ils seront renvoyés à la périphérie de l’Europe ou qu’ils verront leur demande d’asile examinée en procédure prioritaire (procédure accélérée dont les chances de réussite sont infimes), les migrants renoncent de plus en plus à se manifester et se retrouvent en situation d’errance », note le Défenseur. Ainsi sur 150 demandes d’asile déposées entre mai et juin 2009 à la sous-prefecture de Calais, seule une vingtaine ont été jugées recevables.

De l'autre côté du grillage, toujours un fourgon de police banalisé ou pas, avril 2012De l'autre côté du grillage, toujours un fourgon de police banalisé ou pas, avril 2012© Rachida El Azzouzi

Côté forces de l'ordre, pas moins de 500 agents de la police aux frontières (PAF) ainsi que 80 CRS sont mobilisés en permanence dans le département. Le Défenseur dénonce des contrôles et interpellations à répétition, qui plus est à proximité des lieux de distribution ou du point d’accès aux soins de santé (PASS). Les CRS notamment, qui tournent tous les mois, ne respecteraient pas le gentleman agreement qui veut que les migrants ne soient pas contrôlés lors des repas. Les policiers ne manquent pas d’imagination pour motiver leurs contrôles (qui ne sont toujours pas comptabilisés en France) : « traversée en dehors des passages cloutés »« crachat »« jet de papier » ou « station sur la pelouse d’un parc si celle-ci est interdite. »
Mais au final, l'objectif est bien de relever des infractions au séjour et à l'entrée sur le territoire et de faire du chiffre. En 2011, selon un policier interrogé par le Défenseur, la PAF a réalisé 13 000 interpellations dans le département à elle seule ! Quelque « 5 500 ont donné lieu à des procédures d’investigations judiciaires, 1 130 à des placements en rétention et 662 à des éloignements », précise le rapport. Ces arrestations à répétition frisent elles aussi l’absurde, les migrants affirmant être parfois conduits au commissariat de la PAF plusieurs fois dans la même journée.

Ainsi, dans la nuit du 9 au 10 janvier 2011, plusieurs personnes interpellées par la PAF, lors d’une intervention sur le site dit « jungle iranienne », ont été conduites au commissariat de Coquelles, à sept kilomètres de Calais. « Après un passage négatif au fichier des personnes recherchées et au fichier national des étrangers, elles ont été remises en liberté, relate le Défenseur des droits. Alors qu’elles regagnaient leur campement à pied, ont de nouveau été arrêtées et conduites au commissariat de Coquelles (cette fois par des CRS qui commençaient leur service –Ndlr). »


Des évacuations de fait


Les forces de l’ordre locales semblent également avoir pris pour habitude de faire des arrestations groupées « de manière indéterminée, alors que (certains) seraient en mesure de justifier de la régularité de leur séjour, ce qui constitue une atteinte à une liberté d’aller et venir ». Plusieurs témoignages recueillis par les rapporteurs, « indiquent encore que des personnes ont fait l’objet d’arrestations groupées et qu’au cours du trajet, ceux qui avaient des papiers se sont vus invités à descendre du véhicule, en général au bord de l’autoroute».

Le Défenseur constate également des « visites » répétées des squats et campements, « à toute heure du jour et de la nuit », parfois accompagnées de « comportements très provocateurs et irrespectueux à l’égard des migrants ». Sur cette vidéo filmée par les No Border les 16 et 18 février 2011 et publiée par Rue 89 et Les Inrockuptibles, on voit ainsi des policiers débarquer en voiture dans un squat « à 7 heures du matin » avec la musique à plein volume. Toute honte bue, les policiers ont affirmé au Défenseur qu’il s’agissait d’« un moment de convivialité et d’échange entre migrants et policiers tentant par ce biais de faciliter leur intervention ». 

À en croire ce rapport, beaucoup des expulsions de squat ou de campement se font « hors de tout cadre juridique », selon un mode opératoire apparemment bien rodé. Profitant de l'absence des migrants, interpellés et conduits au commissariat, policiers et services municipaux auraient à plusieurs reprises détruits leurs tentes, abris et sacs de couchages. Affaires et nourriture gazés, sac de médicaments piétiné, huile alimentaire versée sur les affaires des migrants, tentes et sacs de couchage jetés à l’eau, etc : tout y passe selon le Défenseur des droits qui n’accorde que peu de crédit aux dénégations des policiers.
De façon systématique, « l’ensemble des biens personnels et humanitaires sont mis à la benne (par les services municipaux –Ndlr), y compris avec des papiers parfois »« La dégradation ou la disparition des affaires des migrants est susceptible de recouvrir la qualification pénale de destruction ou dégradation de biens d’autrui », observe Dominique Baudis. Une plainte a d’ailleurs été déposée le 26 septembre 2012 par Médecins du Monde suite à une récente évacuation de fait.

Le Défenseur regrette également que les droits des demandeurs d’asile, à un hébergement notamment, ne soient pas pris en compte lors de ces interventions policières, indifférenciées. 


« Autorisation tacite » de la hiérarchie


Faute de pouvoir identifier les fonctionnaires impliqués (ce qui pourrait être bientôt résolu par le port d’un matricule, idée reprise par Manuel Valls), le Défenseur des droits demande la fin de ces pratiques, que la hiérarchie policière « ne peut (…) ignorer ». Et suggère au passage d’appliquer enfin la circulaire interministérielle du 26 août 2012, qui impose qu’un diagnostic et une recherche de solution d’hébergement soient effectués le plus en amont possible de la décision d'expulsion. 

Dominique Baudis ne se prononce pas sur le caractère volontaire de ces violations des droits des migrants. Mais il estime que « le fait, pour les autorités policières, de ne pas mettre en place des mécanismes pour prévenir ces privations de libertés indues et successives, vaut une autorisation tacite de ces pratiques ». Car au-delà des dérapages de certains policiers de la PAF, c’est leur mission même qui semble induire ces comportements. Censés surveiller et mettre fin aux implantations de campements des migrants, « ces agents se doivent donc de les suivre partout où ils sont », remarque le Défenseur.

Comme le remarquait un militant dans un précédent reportage de Mediapart,les migrants de Calais demeurent « le grand échec de la politique gouvernementale »« La seule réponse qu'on a trouvée, en dix ans, c'est le contrôle, la répression policière, les propositions de retour et le non-respect de l'être humain. Ils ont voulu masquer les problèmes économiques par la peur de l'autre. Ils les ont érigés en épouvantail », condamnait ce militant en avril 2012.


Pour  Françoise Mothès, adjointe du Défenseur en charge des questions de déontologie, la situation n’est pas forcément « soluble », dans l’immédiat au moins. « Mais il y a des droits à faire respecter, ne serait-ce que l’absence de contrôle sur les lieux de repas, explique-t-elle. Nous sommes à la frontière de ce que nous pouvons recommander et de ce qui relève de décisions politiques. »

Le ministre de l’intérieur dispose désormais de trois mois « pour faire connaître les suites qu'il donnera à ces recommandations ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire