dimanche 18 novembre 2012

Liberté pour Aurore Martin




« La lucidité est la blessure la plus proche du Soleil. »
                                                              René Char




Jeudi 1er novembre. Il est 17 heures. J’apprends par téléphone la nouvelle de l’arrestation d’Aurore Martin, militante basque victime d’un mandat d’arrêt européen émis par Madrid pour appartenance à un parti politique interdit sur le territoire espagnol : Batasuna, considéré comme proche de l’organisation indépendantiste armée Euskadi Ta Askatasuna (ETA). En France, Batasuna est légal et Aurore travaillait à l’organisation d’un forum pour la paix prévu pour le 15 décembre à Bayonne. Ce qui devrait achever de convaincre les sceptiques qu’Aurore Martin est tout simplement victime d’une répression uniquement motivée par des motifs politiques. Valls donne suite aux arrestations des jours précédents (Saúl Curto López le 22 octobre, Izaskun Lesaka Argüelles et Joseba Iturbidee Ochoteco dimanche 28 octobre) et, surtout, à sa déclaration tout feu tout flamme de lundi dernier quand il clamait qu’il continuerait « à lutter avec fermeté » contre l’indépendantisme basque tant qu’ETA n’aurait pas déposé les armes. Les armes, justement, ETA les a lâchées il y a un an, un certain 20 octobre 2011, et l’a fait savoir dans un communiqué qu’elle concluait ainsi : « ETA a décidé l’arrêt définitif de son activité armée. ETA lance un appel aux gouvernements d’Espagne et de France pour ouvrir un processus de dialogue direct qui aura comme objectif la résolution des conséquences du conflit et, en conséquence, le dépassement de la confrontation armée. À travers cette déclaration historique, ETA montre son engagement clair, ferme et définitif. »

Alors, pourquoi cet acharnement démesuré ? La raison est évidente, et elle est politique. La crise économique mondiale réveille certains particularismes régionaux, certaines velléités d’indépendance. Bien sûr, et ce n’est pas nouveau, parmi les gens portant ces revendications, on trouve de tout. Des connards fascisants (de ceux qui prônent la pureté ethnique, la xénophobie et autres idéologies haineuses), des imbéciles égoïstes (de ceux qui réclament l’autonomie pour ne pas se solidariser des régions pauvres d’un pays), mais aussi des personnes luttant pour une indépendance conçue comme base d’un projet d’une société libre, désaliénée et juste. Non pas une indépendance nationaliste et institutionnelle qui n’aspire qu’à coller l’adjectif « basque » sur les uniformes de la police et les frontons des préfectures, mais une indépendance qui s’inscrit dans une démarche authentiquement internationaliste et solidaire.

Les partisans de cet indépendantisme populaire, que le sous-commandant Marcos qualifierait sûrement « d’en bas à gauche », inquiètent les États et les bourgeoisies nationales, les uns craignant pour l’assise de leur autorité, les autres pour leurs intérêts économiques (de classe) – les deux se retrouvant dans une même logique et dynamique de répression (et d’oppression). Les arrestations de ces derniers jours s’inscrivent donc dans cette volonté de l’État de menacer ceux qui contestent ses prétentions et son pouvoir, d’enrayer le mouvement de protestation, et ce quitte à dynamiter le processus de paix en cours. 


C’est à se demander qui de l’État ou de l’ETA est, dans cette histoire, le terroriste. Un forum promouvant une solution pacifique et populaire à la question de l’indépendantisme basque terrifie davantage l’État que la violence armée (terrorisme d’État et terrorisme révolutionnaire n’étant, comme le disait Jean-Patrick Manchette, que « les deux mâchoires du même piège à cons »). Sans doute Valls espère-t-il donc relancer la violence en provoquant ainsi ceux qui ont pourtant témoigné un désir sincère de trouver sans les armes une issue au problème basque. Si tel était le cas, si quelques militants indépendantistes renouaient avec le piège sinistre de la lutte armée, le ministre de l’Intérieur pourrait alors justifier à nouveau toujours plus de répression et de démonstrations de force. Asseoir la légitimité de l’État et participer de sa pérennisation.

Déconstruire les discours

Car les discours des gouvernements successifs en matière de disqualification de ces luttes pour l’autonomie et la liberté sont puissants. Ils pénètrent jusque dans les milieux militants où nombre de camarades – moi le premier, pendant un temps – se laissent convaincre, par ignorance ou fainéantise, de l’illégitimité de ces combats indépendantistes pourtant éminemment légitimes (pour peu que les formes qu’ils adoptent s’inscrivent dans une soif de liberté et de justice sociale). Preuve que les discours officiels, quels que soient les milieux d’où ils émanent, doivent sans cesse et inlassablement être déconstruits quand on recherche l’émancipation collective et individuelle. Tout cela peut paraître bien banal, je vous l’accorde, et certains penseront sans doute être déjà émancipés de tout cela. Peut-être le sont-ils vraiment, et c’est tant mieux pour eux – bravo, les gars ! –, mais, dans la plupart des cas, on est persuadés d’être ce qu’on n’est pas. Avec le temps, le militantisme – et tout ce qu’il implique (ou devrait impliquer : la réflexion, le débat, l’engagement, la lutte) – peut nous ramener à un stade antérieur qu’on croyait pourtant avoir quitté : se croyant libre dans sa tête car militant, on en vient à ne plus penser, à ne plus réfléchir, à ne plus rien remettre en cause, à ne plus questionner le monde et ce qui nous entoure. Qu’on ait une grille de lecture rigide ou qu’on ait succombé aux théories du complot (qui, pour le coup, sont le produit d’un excès de doute combiné à la fainéantise de l’esprit), on s’enferme dans un monde clos et idiot et l’on ne vaut plus guère mieux que ce qu’on était avant notre prise de conscience politique (voire on devient pire, du genre donneur de leçon persuadé d’être dans le juste).

La solidarité veille au grain


Bref. Aurore Martin a donc été arrêtée. Il y a un peu plus d’un an, en juin 2011, les flics avaient déjà tenté de la coffrer, mais un formidable élan de solidarité locale avait eu rapidement raison de cette arrestation avortée. Depuis, elle vivait sans se cacher, et ce malgré son épée de Damoclès (le mandat d’arrêt européen). Il aura fallu un simple contrôle routier – un peu trop « gros » pour être fortuit (un important contingent de gendarmes l’attendait quelques mètres après le lieu de son arrestation) – pour que la politique répressive de l’État lui tombe à nouveau dessus. À l’heure où j’écris ces lignes, Aurore a été remise aux autorités espagnoles et elle encourt une peine maximale de douze ans de prison. De la folie pure, surtout quand on sait que le seul crime qui lui est reproché est d’appartenir à un mouvement politique, en l’occurrence Batasuna (qui, je le rappelle, est tout à fait légal en France) ! Difficile de se prononcer sur la suite pour le moment, mais nul doute que l’État espagnol, qui a trouvé un fidèle allié – serviteur ? – en Valls, exigera l’enfermement carcéral pour qu’Aurore s’en aille rejoindre les 600 prisonniers politiques basques qui dorment actuellement dans les geôles françaises et espagnoles. À nous, donc, de nous mobiliser, de continuer à informer, de nous battre pour construire un rapport de force qui nous soit favorable, un rapport de force bâti sur la solidarité et la persévérance pour obtenir la libération de tous nos camarades emprisonnés pour avoir refusé de reconnaître et de subir la fatalité de cette société de merde.


Guillaume Goutte

En raison de la répression que subissent les militants indépendantistes de gauche, qui a atteint son sommet avec l’arrestation d’Aurore Martin le 1er novembre dernier, le groupe Salvador-Segui de la Fédération anarchiste lance un appel à la souscription pour aider et soutenir les quelque 600 prisonniers politiques qui sont actuellement derrière les barreaux des geôles françaises et espagnoles. Vous pouvez envoyer vos chèques à l’adresse Le Monde libertaire, 145, rue Amelot, 75019 Paris, à l’ordre de « Publico » (bien préciser, au dos du chèque, « souscription prisonniers basques »). L’argent ainsi récolté sera remis au collectif des prisonniers politiques basques Herrira (http://herrira.org/). Solidarité, liberté.


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