Étrangers en rétention: Valls veut sanctionner les associations trop bavardes
Des moyens en baisse et des sanctions à l’égard des associations trop bavardes… ou trop critiques. Le ministère de l’intérieur vient de publier le nouvel appel d’offres organisant la présence des associations de défense des droits des étrangers dans les centres de rétention administrative (CRA), où sont enfermés les sans-papiers en instance d’expulsion. Paru au Bulletin officiel des annonces des marchés publics du 8 décembre 2012, ce texte négociable, d’après son statut, n’est connu dans son détail que par les structures candidates. Mediapart a pu y avoir accès dans son intégralité.
Dans trois documents distincts, d’une dizaine à une vingtaine de pages chacun, l’État liste les conditions applicables à l’intervention juridique des associations auprès des sans-papiers dans ce lieu de privation de liberté. Cet accompagnement est déterminant puisqu’il constitue souvent l’unique recours des 51 000 personnes “retenues” chaque année en France métropolitaine et en outre-mer, avant leur possible renvoi du territoire.
Plusieurs éléments ont sauté aux yeux des cinq associations, la Cimade, France terre d’asile, l’Ordre de Malte, Forum réfugiés et l’Assfam, auxquelles incombe ce suivi personnalisé en rétention depuis le 1er janvier 2010.
La mission reste la même que précédemment puisqu’il s’agit, selon la formulation administrative, d’assurer « la fourniture de prestations d’accueil, d’information et de soutien des étrangers maintenus dans les centres de rétention administrative pour permettre l’exercice effectif de leurs droits ». Mais, différence de taille, les moyens financiers alloués à cette tâche sont en baisse, ce qui conduit les intervenants à s’interroger sur la qualité de l’aide qu’ils vont pouvoir apporter.
À la Cimade, présente dans les CRA depuis leur création en 1984 par un gouvernement socialiste, on s’inquiète de cette diminution. À France terre d’asile (FTDA) aussi. Responsable de cette association, Pierre Henry estime le recul à « plus de 20 % ».« Cela correspond à un recul drastique. Nous allons négocier cet aspect des choses car il n’est pas question de réduire notre action auprès des étrangers », indique-t-il.
D’autant que la demande du gouvernement va en sens inverse : le ministère propose de restreindre le budget tout en formulant des exigences supplémentaires. Les horaires de présence, variant d’un CRA à l’autre en fonction du nombre de “retenus”, sont par exemple élargis. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise idée en soi, mais cela suppose une prise en compte financière.
Comme ses collègues, Christian Laruelle, directeur de l’Assfam, admet n’avoir pu jeter qu’un « coup d’œil » sur le texte, mais il a calculé que l’administration a prévu deux heures de présence associative par “retenu” entrant en rétention. « Cela revient à un prix de 53 à 54 euros de l’heure », poursuit-il. Selon lui, son association perdrait plusieurs milliers d’euros par rapport à son allocation précédente sur la même période.
«Une pénalité de 500 euros pour non-respect de l’obligation de discrétion»
« On observe une diminution significative des moyens, mais une augmentation des charges à effectuer », résume de son côté Alain de Tonquedec de l’Ordre de Malte, qui relève, par ailleurs, un durcissement « inquiétant » du pouvoir administratif dans ses fonctions de contrôle. Il regrette ainsi qu’il faille prévenir le chef du CRA le jour même du dépôt d’un recours, qu’il faille lui demander l’autorisation pour afficher tel ou tel document aux murs du bureau de l’association et qu’il soit interdit de recevoir plusieurs personnes en même temps, ce qui pouvait avoir son utilité dans un souci de communication. « Quand l’un des retenus parle bien français, il peut aider à traduire pour ses compatriotes », indique-t-il. « Tous ces éléments constituent une accumulation de petites choses, qui au final vont nous compliquer grandement la vie », ajoute-t-il.
Baisse des moyens, tracasseries administratives, et ce n’est pas tout. Les uns et les autres s’étonnent d’une disposition introduite dans l’appel d’offres consistant à instaurer une amende pour les associations trop bavardes. « Une pénalité de 500 euros sera appliquée pour chaque manquement aux obligations contractuelles », telles que « le non-respect du principe de réserve et de l’obligation de discrétion », peut-on lire dans le texte. « Il faut espérer qu’il s’agit d’une formule malheureuse. Ou alors que ce soit un reste malencontreux de l’ancienne version de l’appel d’offres, celle qu’avait élaborée l’administration du temps du quinquennat précédent », ironise Pierre Henry.
« On se demande quel fonctionnaire a pu avoir une idée pareille. Cette clause de confidentialité ne tient pas. C’est absurde et ridicule. Le ministre de l’intérieur n’a pas dû la voir », veut-il croire. Cet appel d’offres correspond, selon lui, à une « étape intermédiaire de discussion, à partir de laquelle il faut négocier pour expurger un certain nombre de miasmes venant de la période passée ». « C’est incompréhensible, cette amende de 500 euros, on peut espérer qu’il ne s’agit pas d’une innovation du nouveau gouvernement ! » lance Christian Laruelle. « De toutes façons, si on a quelque chose à dire, on le dira », prévient-il.
Applicable à partir du 1er mars 2013, l’appel d’offres, valable dix mois, donne aux postulants jusqu’au 3 janvier pour se faire connaître – courant jusqu’au 31 décembre 2012, le précédent contrat, entré en vigueur au 1er janvier 2010, a fait l’objet d’un avenant de deux mois.
Issu des services techniques du ministère de l’intérieur, il augure d’un nouveau bras de fer entre l’État et les associations concernées. Au risque de donner lieu à un épisode tel que celui qui avait mis en émoi le secteur associatif entre 2008 et 2010 quand les ministres de l’immigration successifs, de Brice Hortefeux à Éric Besson, avaient voulu limiter la présence de la Cimade, jusque-là présente partout, en divisant la mission d’assistance aux étrangers entre plusieurs « prestataires », répartissant les 25 centres, comportant 1 711 places, en huit « lots » distincts.
Dans leur dernier rapport annuel, paru en novembre, les associations, seuls contre-pouvoirs en rétention, avaient conjointement fustigé des « situations de droits bafouées, d’éloignements expéditifs, d’interpellations abusives et d’enfermements inutiles », notamment à propos des Tunisiens, venus en nombre après le printemps arabe, et des Roumains d'origine rom, envers lesquels Manuel Valls poursuit une politique semblable à celle de ses prédécesseurs de droite.
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