samedi 15 septembre 2012

Avoir seize ans en terre étrangère. 2. Aller à l'école


Les jeunes étrangers mineurs qui se trouvent seuls en France peuvent de moins en moins trouver protection et hébergement. Pour compléter le tableau de leur abandon, la raréfaction des classes passerelles vers un enseignement ou l'apprentissage d'un métier en fait des décrocheurs forcés. Drôle de redépart dans la vie.

Les Centres Académiques pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage (CASNAV), doivent inscrire les mineurs isolés étrangers (MIE) dans des classes "Français langue étrangère" (FLE) après avoir évalué leurs connaissances scolaires. Les centres d'information et d'orientation de l'Education Nationale (CIO), au titre de leur mission plus vaste auprès des élèves, peuvent aussi évaluer ces connaissances et proposer une orientation adaptée. Les jeunes sont alors inscrits dans une classe de collège, de lycée général ou professionnnel selon leurs capacités et leur projet.

On ne peut que constater une dégradation progressive ces dernières années, avec une brusque accélération cet été, tout au moins à Paris. Voici un témoignage récent.

"Jusqu'à présent, le Casnav restait une petite bulle face au système défaillant de prise en charge des MIE. En cette rentrée 2012, les choses ont tristement changé...

Nous avons accompagné notre filleul, S., au Casnav début juillet. Il a passé son évaluation sans encombres et on nous a informé que nous recevrions son affectation mi-juillet. S. était alors âgé de 17 ans et 6 mois et l'évaluatrice qui avait rempli son dossier nous avait indiqué que le Casnav acceptait les jeunes jusqu'à 17 ans et 8 mois. Nous reprenons contact avec la structure mi-juillet et on nous explique que le dossier de S. sera traité dès la reprise fin août. Jusque là, d'accord.

Fin août, on nous confirme que S. est en CSI (nouveau dispositif mis en place l'année dernière, équivalent des CLA - classes d'accueil dans le second degré - mais dans les Lycées Professionnels) mais que les affectations ne sont pas encore prêtes... La rentrée en CSI est prévue pour le 25 septembre, "rien ne presse" nous dit-on.

Nous retournons au Casnav vendredi 7 septembre accompagner un autre jeune, Mujahid. A peine rentrés, une évaluatrice, elle-même désappointée, nous informe qu'une décision du rectorat du matin même, exclut les jeunes âgés de plus de 16 ans et demi des tests du Casnav... Ce matin là, une flopée de jeunes est ressortie avec une mention "Pas de solution Casnav".

Inquiets pour S. et pour en savoir davantage sur cette décision, nous rencontrons les responsables du service. Beaucoup d'entre eux semblent à la fois surpris et dépités de cette nouvelle directive. Pour S., on nous certifie que sa place ne sera pas remise en cause car son test a été effectué au mois de juillet. Ouf ! Au moins un de sauvé !

Ce matin, mercredi 12 septembre, nous nous rendons une nouvelle fois au Casnav. Dans la salle d'attente, plusieurs MIEs de plus de 16 ans et demi sont venus pour rien... Ils sont ressortis découragés : "que va-t-on faire maintenant", "on n'a pas le droit d'aller à l'école". Leurs éducateurs l'étaient également : "Que faire...? Quelles solutions reste-il pour ces jeunes?"

Et à notre plus grand désarroi (et même colère), toutes les promesses qu'on nous avait faites au sujet de S. ont volé en éclat! Son dossier est désormais dans une pile "Dossier Rejeté" (avec 27 autres jeunes). Suite à une réunion lundi dernier avec l'inspecteur d'académie, plus aucun jeune de plus de 16 ans et demi ne peut être scolarisé, même ceux pour qui c'était validé! Les raisons invoquées sont le manque de place en CLA et CSI. Et apparemment, aucune nouvelle classe ne sera ouverte...

Le dernier espoir, uniquement pour les francophones (bilingues), est de passer le test CIO mais celui-ci est bien plus difficile, surtout en mathématiques. Pour les non-francophones, il n'y a tout simplement plus rien. Un nouveau dysfonctionnement dans la prise en charge des MIE dans le 75 vient compléter la longue liste de ceux déjà existants. Que faire pour tous ces jeunes ? A notre connaissance, ils seraient près de 70 de plus de 17 ans à ne recevoir que des cours de FLE (non scolarisés), sans compter ceux, de plus en plus nombreux, qui sont tout proches de la majorité et à qui on ne propose rien.

Quelle solution pour S. ? L'une des dernières pistes qui nous reste est un CAP cuisine car S. a d'ores et déjà trouvé un patron qui accepte de le prendre. Nous sommes donc désormais à la recherche d'un centre de formation. Ensuite, nous aurons besoin qu'il obtienne ses papiers pour travailler (RESF sera alors très utile, ainsi que l'élu parrain de S.). Nous ne nous décourageons pas encore mais que d'obstacles... Et que penser des jeunes qui n'ont même pas de parrains pour les soutenir... Nous allons avoir besoin de nous serrer les coudes, les prochaines semaines risquent d'être éprouvantes.

Que faire maintenant avec cette nouvelle injustice ? Doit-on saisir le défenseur des droits ? Entreprendre une action collective auprès du rectorat de Paris ?... Ces enfants veulent aller à l'école, ils en sont aujourd'hui empêchés !


Apprécions la logique de l'action gouvernementale: puisque le sort des migrants est exclusivement du ressort du ministère de l'Intérieur, pourquoi les ministères en charge de l'instruction ou de la solidarité sociale s'en occuperaient-ils ? Si jamais, à force d'abandon, certains "font des bêtises", le ministère de l'Intérieur saura bien les appréhender. Mais il ne pourra pas les expulser tant qu'ils sont mineurs. Pourra-t-il pour autant les mettre dans des prisons, qui relèvent du ministère de la Justice?

Dernière minute une circulaire a été adressée le 14 septembre 2012 aux recteurs et à tout le personnel enseignant, concernant notamment l'organisation de la scolarité des élèves allophones nouvellement arrivés. "L'Ecole est le lieu déterminant pour développer des pratiques éducatives inclusives dans un objectif d'intégration sociale, culturelle et à terme professionnelle des enfants et adolescents allophones. (...) L'Ecole doit aussi être vécue comme un lieu de sécurité par ces enfants et leurs familles souvent fragilisés par les changements de leur situaion personnelle. (...) Les élèves soumis à l'obligation scolaire et les élèves de plus de 16 ans doivent être inscrits dans la classe de leur âge."

Un texte généreux et encourageant, certes. Mais si l'on s'en réfère au torpillage de la Banque Publique d'Investissement raconté par Laurent Mauduit et largement commenté par les lecteurs, il est urgent d'attendre les actes

Martine et Jean-Claude Vernier

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