mercredi 5 septembre 2012

Evry : mise en scène oblige, l'expulsion des Roms a court-circuité la justice



Pourquoi le maire socialiste d’Évry, dans l'Essonne, a-t-il fait évacuer de force un campement sans attendre une décision de justice qui était prévue le lendemain ? Malgré leur expulsion par les forces de l’ordre lundi 27 août à l’aube, les Roms, qui s’étaient installés le long de la voie du RER D, espéraient qu’un tribunal se prononce sur leur cas. En prenant un arrêté municipal d’expulsion, autrement dit une mesure administrative, le maire de la ville, Francis Chouat, successeur de Manuel Valls, les a de facto privés de jugement. Selon nos informations, il l’a fait en connaissance de cause, puisqu’il était au courant que des poursuites étaient engagées en parallèle par le propriétaire du terrain, l’Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP).
Autrefois installés dans les locaux vides d’une gendarmerie à Viry-Châtillon, une première fois expulsés, la centaine de Roms concernés avaient investi ce terrain à Évry au printemps après avoir été logés quelques semaines dans des hôtels. Les policiers faisaient des rondes régulières, signe que leur présence n’était pas méconnue des pouvoirs publics.

L’AFTRP, comme la mairie d’Évry, attendent pourtant le milieu du mois d’août pour se manifester. Du jour au lendemain, l’urgence est requise. Ce moment correspond à la fois à l’apogée de la polémique sur les démantèlements de campements illicites et à l’université d’été de La Rochelle au cours de laquelle le ministre de l’intérieur fait applaudir sa politique de rétablissement de l’« ordre républicain » par les militants socialistes. Pour justifier leur initiative, la Ville argue que le terrain est insalubre et dangereux, l’établissement public qu’il veut récupérer son bien illégalement occupé.
Dans le cadre de la procédure judiciaire accélérée lancée par le propriétaire, une audience est fixée au tribunal de grande instance d’Évry mardi 28 août. Mais le maire persiste et les pelleteuses débarquent, un jour avant, sans que les Roms n’aient de recours. Dans l’après-midi suivant l’évacuation, l’AFTRP confirme néanmoins la procédure, à la satisfaction des ex-occupants, désireux, même après coup, d’entendre la position du juge.

« On a été spoliés du jugement »


En possession de leur convocation, les représentants des familles roms se présentent au tribunal d’Évry le jour dit à 9 heures. Ils mettent près d’une heure à entrer dans le bâtiment, les forces de l’ordre leur bloquant le passage. Leurs attentes sont vite déçues : l’avocat de l’AFTRP se désiste lors de l’audience, empêchant le tribunal de statuer sur l’affaire. « On a été spoliés du jugement », regrette l’avocate des Roms, Julie Bonnier.
« Nous avions une réelle chance de l’emporter, assure-t-elle.Lors d’occupations illégales, la justice ne donne pas systématiquement raison aux propriétaires. Elle peut mettre en avant divers motifs comme le droit au logement, l’absence d’urgence et l’absence de destination au terrain. On se trouvait dans ce cas de figure : les personnes n’avaient nulle part où aller, elles ne couraient pas de danger immédiat en restant là et aucun projet d’aménagement n’existe pour l’instant. »
Coordinateur de l’Association de solidarité en Essonne aux familles roumaines roms, membre du collectif Romeurope, Serge Guichard déplore lui aussi un « déni de justice » et un « coup politique »« Francis Chouat a voulu faire du Manuel Valls. Son argument de dangerosité liée à l’emplacement du terrain en bordure des voies RER ne tient pas », indique-t-il, montrant sur des photos du bidonville le grillage et la rangée d’arbres le séparant des voies ferrées.  
Le terrain, délimité par un grillage, rendu impraticable après l'expulsion. 

Impliqué aux côtés des Roms, Michel Guimard, président départemental de la Ligue des droits de l'homme (LDH), reproche à la mairie « l’absence totale de concertation »« Comment des responsables politiques se disant de gauche peuvent-ils en arriver là ? Des logements vides, il y en a, des solutions aussi. S’il y avait tellement d’urgence, pourquoi la mairie n’a-t-elle pas d’abord pensé à leur apporter de l’eau et des toilettes ? »ajoute-t-il exaspéré.
« En même temps, poursuit Serge Guichard, le maire se retrouve sans légitimation judiciaire. Il doit assumer seul la décision de l’expulsion. Il en porte l’entière responsabilité. » Il ne croit pas au hasard de la concomitance entre la procédure engagée par le propriétaire et celle de la mairie. « L’action en justice de l’AFTRP, estime-t-il, devait servir de vitrine pour valider une opération politique. Après l’expulsion, le cabinet du maire a fait courir le bruit que ce n’était plus la peine d’aller à l’audience. Ils auraient voulu que les Roms renoncent à s’y rendre. Mais ces derniers voulaient être jugés quitte à être défaits. En plus, à Évry, ils nous ont déjà fait le coup en janvier 2012, avec le même propriétaire. »

« Il ne faut pas laisser s’enkyster les choses »


L’AFTRP n’admet qu’une « coordination technique » avec la mairie, « c’est tout ». L’assignation en référé a été délivrée le 24 août, mais le déclenchement de l’opération est antérieur. « Quand nous avons lancé la procédure, le 17 août, nous ignorions que la mairie allait prendre un arrêté. Par ailleurs, nous avons aussitôt prévenu ses services de notre démarche comme nous le faisons à chaque fois dans ce genre de situation », indique le directeur général adjoint, Didier Bellier-Ganière, indiquant par là même que le maire de la ville était, lui, au courant quand il a signé son arrêté daté du 23 août et placardé sur les cabanons le 25 août.
Joint par Mediapart, Francis Chouat le reconnaît : il savait que la justice était sollicitée. « Mais personne n’avait la moindre indication sur le moment où l’audience aurait lieu », indique-t-il, même si le référé suppose l’urgence. « Par ailleurs, ajoute-t-il,je ne comprends pas ce débat byzantin. Pourquoi aurait-il fallu attendre la décision de justice ? Les arrêtés d’évacuation font partie des pouvoirs du maire. Je suis comptable auprès des habitants sur les questions de sécurité. »
S’inscrivant dans la ligne dure prônée par Manuel Valls cet été, il répète que son arrêté est « conforme à la loi »« Au-delà des raisons d’insalubrité, de dangerosité et de trafic, insiste-t-il, j’ai pris cet arrêté pour des raisons sécuritaires. Il y a trop de campements illégaux. Il y a trop de terrains pour lesquels les maires et les propriétaires n’exercent pas leurs droits. Quand on arrive à des campements de 500 personnes comme à Stains(Seine-Saint-Denis), c’est insoutenable. Il ne faut pas laisser s’enkyster les choses. »
Pourquoi alors avoir attendu la fin de l’été pour agir alors que les Roms s’étaient installés depuis plusieurs mois ? « Ils n’étaient qu’une petite dizaine en juin et en quelques semaines leur nombre a grossi. Je ne voulais pas prendre de risques supplémentaires », se justifie-t-il.
La coïncidence avec la politisation du sujet à l’échelon national n’en est pas vraiment une. Sur Twitter, quelques jours avant La Rochelle, le maire d’Évry fait mine de découvrir l’existence du campement et affirme, dans la foulée, son « soutien » au ministre de l’intérieur. Dix jours plus tard, travaux pratiques : l’expulsion a lieu. Rétrospectivement, Francis Chouat estime même, qu’à tout prendre, une décision de justice aurait été moins favorable aux Roms car son arrêté municipal comprenait « des dispositions en matière de relogement », en l’occurrence quelques nuits dans des hôtels répartis sur quatre départements différents.

Quid des questions d’ordre public découlant de l’errance des Roms expulsés ? « Je suis bien conscient que le risque est de s’échanger les problèmes d’une ville à l’autre. Mais cela ne peut être l’argument qui conduise à ne rien faire », rétorque-t-il. Ayant repéré une dizaine de personnes squattant un terrain privé d’une friche industrielle sur sa commune, il déclare vouloir les déloger. Quant aux Roms qu’il a fait expulser fin août, beaucoup ont rejoint un campement à Ris-Orangis quelques kilomètres plus loin. « Le maire vient de demander leur évacuation », se félicite-t-il.
Comprenant à l’audience que la partie adverse se désistait alors qu’elle avait confirmé sa plainte la veille, après le démantèlement, l’avocate des Roms a demandé une prise en charge des frais de justice, ce que le tribunal a refusé. « J’aurais dû demander des dommages et intérêts pour procédure abusive », regrette-t-elle, pas découragée pour autant. De nombreuses audiences sont à venir, l’occasion, selon elle, de faire valoir la nouvelle circulaire du gouvernement qui stipule que la « concertation » entre les préfectures, les collectivités locales et les associations doit être organisée « le plus en amont possible ». À Évry, jusqu'à présent, les demandes formulées par les Roms et leurs soutiens sont restées sans réponse.


1 commentaire:

  1. Un total de plus de 2,000 Roms évacués ces deux derniers mois soit autant que l’année précédente lorsque la droite était au pouvoir. Un bilan conséquent, pour plus d'info cet article en lien: http://www.immigration-news.fr/environ-2-000-roms-ont-ete-deloges-cet-ete/

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