lundi 10 septembre 2012

Les Roms, marqueurs d’Europe


Voilà une évidence qui ne saute pas aux yeux : les Roms ont toute l’Europe comme patrie. Ils y vivent depuis sept siècles. Ils en sont donc l’un des peuples fondateurs. Là où sont les Rroms, il y a de l’Europe. Ils y constituent la plus nombreuse des minorités culturelles, soit près de 15 millions de personnes.

Les Rroms étrangers (essentiellement des Roumains et Bulgares), qui vivent en France, sont au nombre de 15 000 environ, soit un millième de l’ensemble des Rroms vivant sur notre très petit continent. Dans les instances politiques européennes, tant à Bruxelles [1], au siège du Parlement de l’Union européenne1, qu’à Strasbourg au siège du Conseil de l’Europe (qui réunit les représentants de 47 États) on utilise, désormais, le mot Roms pour désigner un peuple composite dont l’unité, liée à ses origines, à sa culture, à son histoire, ne doit pourtant pas masquer la grande diversité.

L’Europe des Roms déborde largement l’Union européenne. C’est par centaines de milliers qu’on les retrouve en Turquie (principalement en Thrace occidentale), dans les Balkans (en Albanie, Macédoine, Monténégro, Kosovo, Serbie...) sans oublier, à l’est de la Roumanie, la Moldavie et même l’Ukraine et la Russie.

Cette présence généralisée fait des Roms des « marqueurs d’Europe ». Les Roms roumains qui, après « la chute du mur de Berlin », au début des années 1990, sont passés à l’Ouest (plus en Espagne ou en Italie qu’en France d’ailleurs) considérés, jusqu’en 2007, comme des ressortissants de pays non communautaires (bref, des migrants comme les autres) sont ainsi devenus des ressortissants à part entière de l’Union européenne.

Cela a tout changé, mais les citoyens de l’Union européenne, et nombre de leurs dirigeants politiques, ne l’ont pas intégré, aussi continuent-ils de considérer cette population comme extérieure à l’Union et c’est avec difficulté qu’on a commencé à admettre que la libre circulation des Roumains (Roms ou pas) est un droit qu’ils partagent avec d’autres..., Polonais ou Portugais par exemple. Expulser de France, en car ou par charters, des personnes qui sont autorisées par la législation communautaire à parcourir, sans obstacle, toute l’étendue de l’Union, est devenu iillégal, inefficace et inutilement coûteux.

Avait-on sérieusement analysé, pendant les négociations d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne, les conséquences de cette entrée de deux peuples ; parmi les plus pauvres dans le vaste ensemble politique dominé économiquement par des États pourvus ? Si oui, les nombreux Roms de ces deux pays sont à leur place, de plein droit, dans toute l’Europe communautaire et, sinon..., il fallait y penser avant !

Il aura fallu cinq ans, de 2007 à 2012, pour que cette réalité communautaire s’impose mais ce n’est pas fini. L’entrée prochaine de la Croatie, en 2013, va ouvrir l’Union européenne à 30 000 ou 40 000 Roms supplémentaires2. Quelles que soient les réticences qui, à présent, se font jour, il faudra bien, tôt ou tard, que de nouveaux partenaires s’adjoignent à l’Union européenne et que l’on cesse de traiter, comme non-Européens, des Roms kosovars ou monténégrins (qui ont déjà l’euro comme monnaie), les Roms [2] macédoniens (citoyens d’un État que seule la Grèce écarte de l’Union, pour des raisons nationalistes liées au nom de Macédoine), des Roms serbes (appartenant à un pays déjà prêt à se porter candidat), des nombreux Roms turcs enfin, (souvent proches parents des Roms bulgares, leurs voisins).

On reconnaît, disait Vaclav Havel, le niveau démocratique d’un pays à la façon dont il traite la minorité rom. Il en savait quelque chose dans un pays qui allait se couper en deux : la République tchèque et plus encore la Slovaquie sont, aujourd’hui, loin d’être exemplaires dans leurs politiques à l’égard des Roms.

Au reste qui l’est ? Cette affirmation par laquelle les Roms se prétendent « nation sans territoire » (c’est-à-dire, en clair, nulle part et partout chez eux, en Europe) est incompréhensible et choquante pour la majorité des Européens. Le différend, de politique qu’il est donc, tend à devenir hétérophobe et le rappel de Günter Grass, pour qui « les Roms sont ce que nous essayons de devenir : de véritables européens », (présents parmi tous les autres peuples, avant que ne soient constituées l’Allemagne, l’Italie ou la Roumanie), ne suffit pas à calmer les tensions engendrées par cette présence à l’Europe qui ne passe pas, principalement, par l’appartenance à un État.

Le sort des Roms est européen. Certes. Mais pas au sens où l’entendent ceux qui voudraient renvoyer les Roms dans leur pays, chez eux. Mais chez eux, en Europe, ils y sont ! Vouloir se débarrasser de la présence des plus démunis de nos compatriotes européens est dangereux, pour les intéressés mais également pour nous mêmes. Si la France ne peut accueillir toute la misère du monde européen, elle doit en prendre sa part, région par région, ville par ville, sans chercher à faire porter toute la charge par les autres.

L’Union européenne, l’an passé, a demandé à chaque État de définir un plan d’insertion des Roms à dix ans (dans les domaines de la santé, du logement, de l’emploi, et de la scolarité). L’initiative était heureuse. La réponse du gouvernement français fut, comparée à celles d’autres États, médiocre et ambiguë. Le rapport annuel d’avancement de l’état et de l’exécution de ces plans fournira l’occasion de clarifications utiles. Nous voulons en retenir le caractère positif.

Pour paraphraser Vaclav Havel, qui n’hésitait pas à affirmer que ce sont les faibles qui font l’histoire, ne peut-on, à notre tour, déclarer que c’est à la façon dont l’Europe traite une partie d’elle-même, les Roms, que se jugent les espoirs de voir se réaliser une Europe démocratique ?

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