jeudi 27 septembre 2012

Sur le TSCG

point de vue...



Un appel condamnant le Traité européen dit TSCG, provenant d’économistes dont certains sont liés au Front de Gauche, m’a été soumis. Si j’en approuve de nombreux points, et en particulier la conclusion (l’appel à ne pas ratifier le TSCG), cet appel me semble devoir être source d’importantes confusions sur la situation actuelle. C’est pourquoi je ne m’associerai pas à cet appel, que je publie néanmoins avec mes observations (en rouge).


L’austérité aggrave la crise, non au Traité budgétaire européen !



Depuis 2008, l’Union européenne (UE) fait face à une crise économique sans précédent. Contrairement à ce que prétendent les économistes libéraux, cette crise n’est pas due à la dette publique. Avant la crise, l’UE dans son ensemble était globalement à l’équilibre. Ainsi, l’Espagne et l’Irlande subissent aujourd’hui les attaques des marchés financiers alors que ces pays ont toujours respecté les critères de Maastricht. La montée des déficits publics est une conséquence de la chute des recettes fiscales due en partie aux cadeaux fiscaux faits aux plus aisés, de l’aide publique apportée aux banques commerciales et du recours aux marchés financiers pour détenir cette dette à des taux d’intérêt élevés.


S’il est entièrement exact que cette crise n’est pas une crise de la dette publique, les auteurs n’identifient pas les causes de cette dette : la crise de compétitivité causée par l’Euro et la désindustrialisation qui en a découlé dans un certain nombre de pays. Cette désindustrialisation a poussé certains pays vers des stratégies « folles » de croissance par un endettement soit des ménages soit public, qui aujourd’hui se retournent contre eux. Sans la perte importante de compétitivité que l’Espagne et le Portugal connaissent depuis le début des années 2000, ces pays n’auraient pas eu besoin de laisser se développer une immense bulle immobilière. Dans le cas de la France, on voit qu’une partie du déficit est attribuable aux subventions aux entreprises (niches fiscales et autres) dont le coût peut être estimé à 2,5% du PIB. Mais, si nous avions pu dévaluer à partir de 2004, il n’aurait pas été nécessaire de recourir à ces subventions. Le texte commence mal un oubli ou une erreur sur l’identification des causes réelles de la crise.

La crise s’explique également par l’absence totale de régulation du crédit et des flux de capitaux aux dépens de l’emploi, des services publics et des activités productives. Elle est entretenue par la BCE qui appuie sans conditions les banques privées, et exige à présent une « stricte conditionnalité » austéritaire des États lorsqu’il s’agit de jouer le rôle de « prêteur en dernier ressort ». Elle leur impose des politiques d’autérité et s’avère incapable de combattre la spéculation sur les dettes souveraines, cela d’autant que sa seule mission reconnue par les traités est celle de maintenir la stabilité des prix. En outre, cette crise est aggravée par le dumping fiscal intra-européen et l’interdiction qui est faite à la BCE de prêter directement aux États pour des dépenses d’avenir, au contraire des autres banques centrales dans le monde comme la Federal reserve américaine. Enfin, la crise est rendue possible par l’extrême faiblesse du budget européen et son plafonnement au taux ridiculement bas de 1,24 % du PIB, ce qui rend impossible toute expansion coordonnée et ambitieuse de l’activité en Europe.

À nouveau, si le constat est exact, il est très incomplet. Admettons qu’une politique de relance monétaire (un « quantitative easing » européen) ait été faite. Elle aurait profité avant tout au pays le plus compétitif de la zone, soit l’Allemagne. En réalité, la stratégie allemande a consisté à chercher à développer systématiquement la compétitivité de son économie (au détriment de ses travailleurs) et à empêcher les autres pays, qui ne jouissent pas d’une même dotation en ressources, à faire de même par des dévaluations progressives (logique de fonctionnement de la zone Euro). Quand bien même on éffacerait toutes les dettes, nous ne tarderons pas à les voir se reformer en raison des écarts de compétitivité. Notons aussi la divergence démographique entre l’Allemagne et la France, qui est fondamentale (nous avons 750 000 jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché du travail quand il n’y en a que 280 000 en Allemagne), et qui implique un soutien à la demande plus important dans notre pays qu’en Allemagne. Ce soutien explique une partie de l’asymétrie des politiques économiques entre nos deux pays depuis plus de dix ans, asymétrie dont l’Allemagne a massivement profité depuis 2004.

F. Hollande, après s’être engagé pendant la campagne à renégocier le traité européen, n’y a en fait apporté aucun changement, et, comme vient d’ailleurs de le reconnaître E. Guigou, choisit aujourd’hui de poursuivre la politique d’austérité entamée par ses prédécesseurs. C’est une erreur tragique. L’ajout d’un pseudo-pacte de croissance, aux montants réels désiroires, s’accompagne de l’acceptation de la « règle d’or » budgétaire défendue par A. Merkel et N. Sarkozy. Elle stipule que le déficit dit structurel (hors variations de cycles économiques) ne doit pas dépasser 0,5% du PIB, ce qui condamnera toute logique de dépenses publiques d’avenir et conduira à mettre en place un programme drastique de réduction du périmètre de l’ensemble des administrations publiques.

Ici encore, le passage du texte est entièrement juste mais il reste toujours aussi partiel et incomplet. L’important n’est pas ce qui est dit mais ce qui n’est pas dit. Le TSCG a, en réalité, pour but de « crédibiliser » la politique de sauvetage de la zone Euro. Il ne se comprend que comme cela. Il repose de plus sur le pari fait par François Hollande qu’il ne sera pas appliqué. Mais ce pari est pour le moins dangereux, car il compromet à court terme la crédibilité des gouvernements (cf. mon papier sur mon blog : http://russeurope.hypotheses.org/113). Il faut remettre le traité dans son contexte pour apprécier les problèmes qu’il pose.

En limitant plus que jamais la capacité des pays à relancer leurs économies et en leur imposant l’équilibre des comptes publics, ce traité est porteur d’une logique récessive qui aggravera mécaniquement les déséquilibres actuels. Les pays qui souffrent de l’effondrement de leur demande intérieure seront amenés à réduire plus fortement encore leur demande publique. Alors que plusieurs États membres sont déjà en récession, cela menacera encore davantage l’activité et l’emploi, donc les recettes publiques, ce qui creuserain fine les déficits. Ainsi, l’OFCE prévoit déjà 300 000 chômeurs de plus en France fin 2013 du seul fait de l’austérité. À moyen et long terme, cela hypothèquera la transition sociale et écologique qui nécessite des investissements considérables.

En réalité, la hausse du chômage sera bien plus importante. On peut l’estimer à 500 000 d’ici à juin 2013 au rythme de 40 000 à 50 000 par mois. Le texte souffre d’un excés de prudence. Si nous devions aller jusqu’au bout de l’ajustement budgétaire, nous atteindrions 6 millions de chômeurs d’ici deux ans. Les calculs ont été faits. Le taux de chômage monterait à plus de 30% en Espagne et plus de 50% en Grèce. Ce sont des niveaux dignes de la crise de 1929. Par ailleurs, je serai plus réservé quant à la transition écologiques, car il est clair que les ressources en pétrole et en gaz sont appelées à connaître des boulversements importants qui devraient en ramener les prix autour de 60 dollars le baril.

Au nom d’une prétendue « solidarité européenne », le traité organise de fait la garantie par les États des grands patrimoines financiers privés. Il grave dans le marbre des mesures d’austérité automatiques, imposées aux représentants des peuples, en contraignant leurs décisions budgétaires, dictées par une instance non élue. Le Mécanisme européen de stabilité (MES), institution anti-démocratique par excellence, pourrait proposer des prêts à des taux un peu moins élevés (5% en moyenne). Mais ces prêts seraient conditionnés à l’application d’une austérité drastique imposée aux peuples ! La garantie publique des investisseurs privés ne fait qu’encourager la spéculation, alors qu’il faudrait lui briser les reins en sortant de leur mains la dette publique. L’ensemble de l’édifice repose ainsi sur des conditionnalités anti-sociales imposées à toute aide ou intervention, et le refus d’intervention directe de la BCE pour les dépenses nouvelles. Elle va se contenter d’un rachat restrictif des titres de dette sur le marché secondaire, comme l’a annoncé récemment Mario Draghi. Des centaines d’économistes à travers le monde, rejoints en ce sens par certains prix Nobel d’économie comme Amartya Sen, Joseph Stiglitz et Paul Krugman, ont largement critiqué le non-sens économique de la politique actuellement à l’œuvre en Europe. Le constat est sans appel : l’austérité est à la fois injuste, inefficace et anti-démocratique.

Le drame de ce texte est ici que ses auteurs n’explorent pas les alternatives et évitent de se confronter avec de déplaisantes réalités. Nous sommes tous d’accord pour dire que le TSCG est nocif mais, et c’est un « mais » important, la solution est-elle dans plus de fédéralisme ? Le problème est que l’on ne dit pas quelles seraient les conséquences de ce fédéralisme (et de la mutualisation des dettes). Un système fédéral implique des transferts importants entre régions à haute compétitivité et régions à basse compétitivité (comme cela se fait en Frace et en Allemagne). Les calculs qui sont faits depuis un mois estiment que ces transferts impliqueraient de 8% à 12% du PIB pour l’Allemagne (suivant les hypothèses de politique macro-économique). Qui peut penser qu’il est crédible d’attendre de l’Allemagne un tel sacrifice ?

Nous allons donc vers un « fédéralisme ua rabais » où l’Allemagne paiera (en rechignant) ce qu’il faut pour éviter provisoirement des défauts mais n’ira pas au-delà, car elle ne le peut pas. Il est important de comprendre que le problème n’est pas celui d’une volonté de l’Allemagne (que l’on pourrait espérere faire changer) mais d’une possibilité. Elle ne peut pas contribuer à hauteur de 200 milliards par an car ceci casserait son économie. Cela implique donc la poursuite de la dépression dans les pays d’Europe du Sud, et la contamination de ces pays vers la France. Telle est en réalité la logique du MES et du TSCG. Tant que l’on n’a pas compris et admis cela on ne peut tenir que des discours naïfs sur le traité.

Enfin, pourquoi ne pas dire que Paul Krugman, et bien d’autres, considèrent que c’est la zone Euro le problème ? Aurions nous un « bon » Krugman quand il parle des menaces de récession et un « mauvais » Krugman quand il évoque la zone Euro ?

Nous pouvons faire autrement. L’avenir de l’Europe mérite un débat démocratique sur les solutions de sortie de crise. Une expansion coordonnée de l’activité et de l’emploi serait aujourd’hui possible au niveau européen à partir des institutions actuelles, notamment par le financement direct sélectif et à bas taux des organismes publics de crédit. Un Fonds européen de développement social et écologique, à gestion démocratique, pourrait accentuer cette dynamique. Et qui alimentera ce fonds ? d’où viendra l’argent ? Si l’on veut être crédible il faut le dire, et pour le dire il faut calculer les besoins des pays. Or, il faudrait environ 120 milliards par an pour les mesures structurelles (enseignement, recherche et innovation) et sans doute 80 à 100 milliards par an pour le soutien de la croissance dans les pays considérés. On retrouve les 200 à 220 milliards évoqués, soit les 8% du PIB de l’Allemagne… De plus, l’UE pourrait mettre en place un contrôle de la finance, notamment en interdisant les échanges d’obligations souveraines sur les marchés de gré à gré, en limitant strictement la titrisation et les produits dérivés et en taxant les mouvements de capitaux spéculatifs.

Encore une fois, je ne peux qu’approuver (en rappelant cependant que je me bats depuis 15 anset plus pour des contrôles de capitaux et que j’ai été bien seul dans cette lutte), mais je ne puis aussi que constater que l’on ne répond pas à la question essentielle : comment résoudre la crise de compétitivité dramatique qui existe entre pays de la zone Euro les écarts vont de 20% (France) à 35% (Espagne), et même au-delà (Portugal et Grèce)? Comment harmoniser des économies qui sont profondément hétérogènes, avec des populations qui le sont tout autant et qui ne sauraient massivement se déplacer dans la zone Euro ? La gestion de cette hétérogénéité est impossible dans le cadre d’une monnaie unique car elle implique des sacrifices financiers bien trop importants pour l’Allemagne. Telle est la réalité et se cacher derrière des grands principes et des appels ronflants n’y changera, hélas, rien.

Les défis sociaux et écologiques d’aujourd’hui sont immenses. Il est urgent de changer de cap pour sortir de la crise par le haut. Il est possible de défaire le sombre bilan des politiques libérales d’une France qui comprend 5 millions de chômeurs et 10 millions de pauvres. Pour s’en donner les moyens, il faut desserrer l’étau des marchés financiers et non leur donner des gages. C’est pourquoi nous refusons la ratification du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).

Ce texte repose sur un constat très incomplet de la situation actuelle. Il ne va pas à la racine du mal et ne permet pas à ses lecteurs d’avoir une réelle intelligence de la question qui est réellement posée. Je puis partager certaines des affirmations avec les auteurs de ce texte, et en particulier leur refus du TSCG; mais là où nous divergeons radicalement c’est sur les propositions. Le TSCG est le produit d’une stratégie qui vise à la survie coûte que coûte de la zone Euro. Soit on accepte cette stratégie, et on ne mégotera pas sur ses conséquences (comme le dit sans fard Jean-Marc Ayrault), soit on la refuse. Si l’on veut RÉELLEMENT refuser le TSCG il faut alors en tirer TOUTES les conséquences et appeler à la dissolution rapide de la zone Euro.

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