jeudi 13 septembre 2012

L'Europe s'honorerait en trouvant une issue pour les Roms, ce vieux peuple amoureux de la liberté




ce texte est paru dans le Courrier international, en date du 23.10.1997, écrit par Alexandre Adler 



Y aura-t-il demain des Tsiganes heureux ? Ce mot d'ordre des années 80, qui avait inspiré un beau film yougoslave antiraciste - eh, oui ! yougoslave -, est sans doute prématuré, mais il n'est peut-être plus hors de portée, au moins en Europe de l'Est. La fin du communisme y avait été accompagnée de bruit et de fureur alarmants. En Roumanie, en particulier, au lendemain de la révolte de décembre 1989, il ne faisait pas bon être rom. On prétendait de tous côtés que les Tsiganes avaient constitué - après les Juifs des années 50 - les gros bataillons de la Securitate de Ceausescu. On accusait son ministre de l'Intérieur, Postelnicu, d'être tsigane et d'avoir opprimé les "Unions roumaines" par revanche raciale, alors qu'en réalité il avait pris en 1987 des mesures pour retirer systématiquement le permis de conduire à tous les Tsiganes ! Dans les pays tchèques, le climat n'était pas moins exécrable, notamment dans ces confins moraves où naquit Mahler (Jihlava et sa région). Prague et Bratislava jouaient à se renvoyer mutuellement leurs Tsiganes. En Hongrie, en Bulgarie, en Ukraine, où, là aussi, les Tsiganes sont nombreux, le climat n'était souvent pas meilleur. 


Seule la Yougoslavie, où les peuples fourbissaient les armes de leur lutte fratricide, voyait le problème tsigane passer au second plan - bien que, là comme partout, la persécution anti-Tsiganes soit inévitable au point culminant des violences raciales, comme ce fut le cas avec l'antisémitisme hitlérien, qui termina sa course avec une tentative à moitié réussie de génocide tsigane. L'afflux de réfugiés tsiganes en Occident - surtout roumains et yougoslaves - relançait les préjugés en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie et même en Espagne, où pourtant les microclimats andalou et valencien ont toujours quelque peu protégé les Gitans des fureurs xénophobes.

Pourquoi tant de tensions autour de cette population présente en Europe depuis près de dix siècles ? Sans doute les Roms, qui atteignent l'ouest de l'Europe à la fin du Moyen Age, sont-ils remarqués entre tous parce que, seuls en leur genre, ils ont maintenu le nomadisme en plein coeur de sociétés sédentaires et agraires. Originaires de l'Inde centrale et entrés en mouvement il y a mille ans - probablement en raison à la fois de leur rejet du système des castes et de la désagrégation de la société locale sous les coups des envahisseurs musulmans -, les Roms conservent une origine et une couleur quelque peu mystérieuses. Après avoir fait figure de réprouvés du monde européen, ils sont, depuis la fin du XVIIIe siècle, l'objet de politiques d'assimilation contraignantes, apanage, surtout en Europe centrale, des despotes éclairés, tel l'empereur Joseph II (qui leur distribue des terres en espérant qu'ils s'assimileraient), jusqu'aux pouvoirs communistes, qui tentèrent vainement de leur faire intégrer les kolkhozes, comme le raconte dans un fort bon film le cinéaste hongrois Sàndór Sarà.

Désormais, les affres de l'après-communisme s'estompent. L'amélioration de la condition tsigane ne sera pas immédiate, mais elle commence, sans aucun doute. En Russie, où l'assimilation a été grande (Boris, le "roi des Tsiganes", dominait l'industrie des cirques et fréquentait assidûment la fille de Brejnev, Galina), le racisme y est beaucoup moins fort que celui qui frappe aujourd'hui les musulmans du Caucase, notamment les Tchétchènes. De son côté, George Soros, toujours lui, s'est mis en demeure de leur venir en aide dans sa Hongrie natale, où son représentant tsigane, Rudko Kawczynski, lutte pour l'affirmation de leur identité en des termes qui évo&quent très clairement la redécouverte de son irréductibilité par la communauté juive hongroise. Il s'agit là d'un phénomène bien normal de rejet de l'assimilationnisme de l'époque Kadar, lequel demeurait pourtant modéré comparé aux pays voisins. Enfin, la Roumanie libérale elle-même commence à accorder une timide représentation politique à une population qui constitue une minorité comparable en nombre aux 2 millions de Hongrois de Transylvanie. Etonnamment, la solide démocratie tchèque est sans doute aujourd'hui la plus réticente et la plus hostile à sa minorité rom. Pourtant, c'est du succès possible de ces politiques de reconnaissance-intégration que dépend l'avenir d'une communauté tsigane qui demeure aux deux tiers concentrée en Europe de l'Est. Le cas andalou montre que cette intégration est possible et que la sédentarisation progressive n'est pas synonyme d'extinction culturelle, même si les différents dialectes tendent à dépérir.

L'Europe, qui a connu l'épisode hitlérien et tant d'efforts pour expulser, contrôler, persécuter les Tsiganes, s'honorerait en trouvant, à présent qu'elle s'unifie, une issue honorable pour ce vieux peuple respectable par son amour de la liberté.

source
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....et le 13 septembre 2012, ce titre dans Médiapart :


Près de 200 Roms expulsés vers Bucarest


Alors que Manuel Valls achève son déplacement en Roumanie consacré à l’« insertion » des Roms, un avion vient de partir de Lyon Saint-Exupéry, en direction de Bucarest, avec à bord des ressortissants de ce pays. Un arrêt est prévu à Skopje, en Macédoine, puisque des personnes de cette nationalité sont aussi rapatriées. « Le vol est parti à 12h13 », confirme la préfecture du Rhône, qui précise que 192 passagers font partie du vol.

Tous sont renvoyés de manière « volontaire », selon la terminologie administrative, c’est-à-dire en échange d’une « aide humanitaire » de 300 euros par adulte réservée aux étrangers citoyens européens qui séjournent en France depuis au moins trois mois et considérés comme étant « en situation de dénuement ».
Ces départs sont organisés, avec l’aval du ministère de l’intérieur et de la préfecture locale, par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), toujours présidé par Arno Klarsfeld. Rendez-vous avait été donné aux personnes concernées à 7h30 devant le Lunapark de Perrache, sur un parking excentré dans le deuxième arrondissement de Lyon.

Deux charters sont déjà partis cet été depuis cette ville : l’un le 5 juillet et l’autre le 9 août avec 343 personnes. Selon Philippe Goossens, auteur du livre Les Roms, dignité et accueil(L’Harmattan, 2011) et membre du bureau de l’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme, qui recense régulièrement des données sur cette population, six expulsions collectives du territoire ont eu lieu en 2010 (466 personnes) et dix en 2011 (828 personnes). D’après ses statistiques réactualisées, au total environ 3 112 ressortissants roumains et bulgares ont été évacués de force de leur terrain au cours de l’été 2012.

« Il y aura sans doute avant la fin du mois de septembre à peu près 7 000 Roumains ou Bulgares reconduits dans leur pays respectif à travers le système d’aide au retour »
, a récemment indiqué le ministre de l'intérieur, interrogé sur BFMTV-RMC, estimant à 15 000 le nombre de Roms installés en France.

Avant une visite prévue vendredi 14 septembre à Lyon, où 80 Roms viennent d'être délogés du centre-ville, Manuel Valls s'est rendu, ce jeudi, dans une école à Campia Turzii, dans le nord-ouest de la Roumanie. Il y a rencontré Danut Dumitru, coordinateur du Fonds d'éducation pour les Roms (REF), créé en 2005 et soutenu par des gouvernements, des ONG, l'Union européenne et les Nations unies. Sans savoir qu'un charter venait de quitter la France, ce dernier a eu l'occasion de lui indiquer ce qu'il pensait du dispositif d'aide au retour français. « Donner 300 euros aux Roms pour qu'ils rentrent en Roumanie n'est pas une solution, a-t-il affirmé. C'est juste de l'argent pour les vacances, de l'argent perdu pour le gouvernement français (…). Cet argent, la France devrait plutôt essayer de le consacrer, par l'intermédiaire de son ambassade sur place, à des projets concrets d'accès à l'éducation comme celui qui est mené ici. »

Défendant quant à lui les expulsions, Claude Guéant, sur Canal +, a estimé qu'il n'y avait « qu'une seule solution » : « dissuader la venue de ces personnes et les renvoyer chez elles » car « nous savons que ce sont des minorités très criminogènes, d'une criminalité extrêmement cruelle d'ailleurs, parce qu'elle utilise beaucoup les enfants ». Invité à comparer la politique actuelle avec celle du quinquennat précédent, l'ex-ministre de l'intérieur a reconnu « une continuité dans le verbe », ajoutant qu’« en matière de sécurité, il faut adopter un certain réalisme ». « Nous appliquions nous aussi les décisions de justice, a-t-il poursuivi.Mais nous ne créions pas d’incitation à leur ancrage sur le territoire. »

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