Ils auraient tort de s’en priver ! Confortés par la procession de ministres lors de son université d’été du mois d’août, le Medef lâche désormais la bride. Et devinez quoi ? Ils ont l’oreille de Matignon, de l’Elysée et d’ailleurs. 98 patrons menacent le dimanche, le gouvernement Ayrault se couche huit jours en adoubant le rapport Gallois sur la compétitivité. Laurence Parisot et Michel Pébereau charpentent l’école sauce Medef via une tribune dans Le Figaro, le sempiternel Ayrault annonce 3 jours après qu’il faut faire découvrir l’entreprise dès le CP !
Au Front de Gauche, les courbettes devant le Medef, ce n’est pas notre truc. Le débat argumenté oui. Ce que le ministre de l’éducation nationale a été incapable de faire, ou plutôt n’a pas voulu faire faute de convergences trop nombreuses avec la dite tribune, nous le faisons à sa place.
Vous trouverez ci-dessous la tribune réponse co-écrite avec Francis Daspe. Sans oublier de vous préciser que celle-ci a été…refusée par le Figaro. Mais vous comprendrez vite pourquoi :
Le MEDEF ou l’école aliénée
Par François COCQ, Secrétaire National à l’éducation du Parti de Gauche et Francis DASPE, Secrétaire Général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale-Prométhée). Ils sont auteurs de L’école du peuple. Pour l’égalité et l’émancipation aux éditions Bruno Leprince, août 2012.
A l’heure où les couloirs bruissent des échos de la future loi d’orientation scolaire, Laurence Parisot et Michel Pébereau en ont profité pour plaider vendredi 26 octobre dans les colonnes du Figaro « pour une école exigeante, personnalisée et créative ». L’ode à l’entreprise aux accents lyriques ne nous surprendra guère : telle est la litanie du Medef. Sur la forme, il est davantage contestable de les entendre parler au nom de l’ensemble des entreprises quand on sait que des pans entiers de l’économie ne sont pas représentés par le Medef, de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie à la confédération générale des petites et moyennes entreprises en passant par le secteur de l’économie sociale et solidaire ou les professions libérales. Sur le fond, nous pourrions nous réjouir de constater l’émancipation promue au premier rang des missions dévolues à l’institution scolaire si les orientations fixées tout le long du texte ne démentaient cette assertion.
L’émancipation est en effet incompatible avec la vision « adéquationniste » promue Mme Parisot et M. Pébereau. La vieille antienne du rapprochement de l’école et de l’entreprise au motif d’adapter les formations aux métiers ne saurait faire illusion. Nous savons à quoi elle mène. Il s’agit au final de répondre à des besoins de court terme des entreprises en définissant les salariés en fonction du poste de travail. L’émancipation rend au contraire possible tous les choix, dans l’espace comme dans le temps, car elle se fonde sur l’humain d’abord.
La valorisation du socle commun de compétences s’inscrit dans cette logique de développer la seule « employabilité » : c’est une conception minimaliste et utilitariste des savoirs bien peu émancipatrice. Le terme « compétences » appartient d’ailleurs à la novlangue des libéraux, pas à la tradition humaniste de l’Ecole de la République, ni même à celle de l’entreprise qui ne saurait méconnaître la nécessité des qualifications. Les compétences s’opposent aux savoirs à l’école et aux qualifications dans le monde du travail. Nous atteignons le cœur du projet de régression sociale porté par le Medef via l’école. Les « qualifications » définissent un mode d’apprentissage et de savoirs beaucoup plus larges et durables que les « compétences » étroites et périssables dont le MEDEF considère que les jeunes peuvent se contenter. La différence entre les deux termes entraîne en cascade la question de la hiérarchie des salaires dans les conventions collectives et du rapport de force dans l’entreprise. Gageons que le parti pris en faveur du socle de compétences vise en réalité à porter atteinte au code du travail…
Celui en faveur de l’apprentissage hors statut scolaire procède d’une même inversion. Comment croire que le jeune lié à son patron par un contrat d’apprentissage précaire (environ un tiers de ces contrats sont rompus dans les six premiers mois) puisse construire durablement les conditions de son émancipation ? Ce qui est recherché en définitive, outre la mise disposition à grande échelle d’une main d’œuvre gratuite, c’est la marchandisation de la formation professionnelle initiale dont témoigne la fermeture d’un nombre croissant de lycées professionnels.
Notons que le Medef a beau jeu de réclamer l’ouverture de l’école à l’entreprise en s’appuyant sur les propos de Vincent Peillon qui souhaite faire « découvrir l’entreprise et les métiers dès la 6e » ou sur ceux du Premier Ministre qui déclarait le 30 octobre dans Le Parisien-Aujourd’hui en France « qu’il faut que dès l’école primaire, en CP, on puisse aller voir les entreprises ». Au final, ce n’est pas à une école de l’émancipation que de telles orientations conduiraient, mais bien à des formes renouvelées de formatage, d’assujettissement et d’aliénation.
En effet, via l’école, c’est une partie du patronat qui promeut ses intérêts de classe, bien distincts de ceux du collectif de production qu’est l’entreprise et qui englobe les machines, les processus de production, la qualification des travailleurs, la nature et la qualité du produit. Engoncés dans leur lubie du profit et de la rentabilité financière, le Medef en oublie les enjeux de la période. C’est le haut niveau de connaissances et de qualification qui fait de notre pays la 5ème puissance économique mondiale, qui lui permettra de répondre à la nécessaire bifurcation économique, qui permettra de relancer l’économie non par l’adéquationnisme mais avec de l’audace. Avec de telles erreurs de perspectives, preuve est faite que ce n’est pas avec le patronat du Medef que l’on peut gouverner mais bien avec ceux qui ont une visée d’intérêt général. Certains feraient bien de ne pas l’oublier.
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