lundi 8 octobre 2012

Camarade, ne t’étonne pas si ton patron adhère au PS



Nous n’avions absolument aucune illusion sur la victoire du socialisme parlementaire à la dernière élection présidentielle, et il n’aura pas fallu longtemps pour que nos certitudes se voient confirmées. L’épisode des expulsions manu militari des campements de Roms – similaire en tous points à celui qui suivit le discours de Grenoble du précédent manitou, la véhémence de l’opposition en moins (certains socialistes bon teint ayant cru judicieux de se taire pour ne pas entraver l’implacable marche de ses leaders fraîchement élus) – témoigne à lui seul que le changement tant annoncé ne viendra pas. La xénophobie d’État, si elle évite désormais les envolées haineuses des Hortefeux, Besson et compagnie, n’en demeure pas moins un des rouages du système et continue de trouver dans les flics ses plus fidèles exécutants. Rien de surprenant, néanmoins, le pouvoir socialiste ayant déjà donné la preuve, il y a quelques années, de ses velléités xénophobes.

Le socialisme sans le social

Mais du côté du travail, les festivités ne sont pas non plus pour demain. Malgré les promesses tous azimuts de l’ex-candidat et nouveau président pendant la campagne électorale, les travailleurs de Florange, Fralib et PSA sont toujours dans l’attente d’un « sauvetage ». Et ils ne sont pas les seuls. Qu’il soit bleu ou rose, le capitalisme se construit toujours sur la même logique – celle de l’exploitation – et les travailleurs sont, de fait, toujours les victimes. Et ce n’est pas un changement de souverain qui renversera la donne. La preuve, ci-dessous.

À Florange, dans les hauts fourneaux d’Arcelor Mittal, la situation piétine. La mission interministérielle commandée en juin dernier a fourni ses conclusions fin juillet, affirmant que le site de Florange était « viable, fiable et rentable », bien que nécessitant un investissement d’environ 450 millions d’euros. Mais, depuis, le gouvernement s’est fait discret et l’on attend toujours la suite. Certains travailleurs du site craignent l’essoufflement et, mardi 28 août dernier, le site Internet de la CFDT Florange écrivait : « Nous craignons, dans les semaines à venir, des annonces de la direction concernant nos outils et nos emplois. Aujourd’hui, plus que jamais, soyons mobilisés. L’avenir de nos emplois en dépend. » Et ces craintes ne sont pas infondées, loin de là : fin août, nous apprenions que les 25 travailleurs de Ondeo, entreprise sous-traitée par Arcelor Mittal pour le traitement des eaux du site, allaient être licenciés d’ici à quatre mois… 

Chez les Fralib de Gémenos, les choses bougent un peu, mais on est bien loin du sauvetage promis. Suite à la rencontre avec le gouvernement en juillet, Marseille Provence Métropole a annoncé, jeudi 2 août, l’acquisition du terrain, des bâtiments et des équipements, conformément à ce qui avait été prévu (l’appropriation publique des moyens de production). Mais la direction d’Unilever refuse toujours de donner la marque Éléphant aux anciens salariés qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure de la coopérative, solution alternative qu’ils portent depuis des mois pour sauver leurs emplois. Et, pendant ce temps, le géant de la consommation s’efforce tant bien que mal de redorer son blason en se donnant une image « sociale ». Il a ainsi annoncé, fin août, sa volonté de réduire les quantités par paquet afin de diminuer les prix… La presse hexagonale s’est d’ailleurs honteusement fait le relais de cette campagne en offrant au groupe des espaces de publicité… gratuits !

À  PSA, le temps n’est pas non plus au beau fixe. La direction a annoncé la fermeture du site d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, pour 2014. L’usine de Rennes, quant à elle, perdra 1 400 salariés. Le 14 juillet, en pleine fête nationale, François Hollande affirmait que « l’État ne laisserait pas faire » et que le plan social proposé par la direction était « inacceptable »… Mais rien d’autre. Nada. Silence quasi total depuis la mi-juillet, après quelques réunions par-ci par-là avec les syndicats et le patronat. Mais qu’importe, les syndicalistes de la boîte ont bien l’intention de se battre jusqu’au bout pour obtenir la suppression des plans de licenciements, même si, pour l’heure, la grève de rentrée n’est pas encore décidée. Dans une interview donnée à L’Humanité, un ouvrier comparait cette lutte à une guerre et insistait sur la nécessité, pour les salariés, de s’organiser : « Une armée, ça s’organise, on ne part pas à la guerre la fleur au fusil ! » Tout récemment, sur le plateau du Grand Journal, Jean-Pierre Mercier, délégué CGT chez PSA Aulnay, insistait également sur la nécessité de faire converger les luttes ouvrières actuelles. Après avoir remis à sa place l’infâme imbécile Nadine Morano, il déclarait : « On va proposer aux salariés de se rassembler dans la cité des 3000, à Aulnay, cité emblématique, avec la participation des syndicats d’Air France, des syndicats de Sanofi parce qu’on est tous dans le même bain, il faut absolument qu’on se défende tous, tous ensemble. »

Quand les chiens rencontrent les maîtres

Mais sans doute les choses iraient-elles un peu plus vite et seraient quelque peu plus favorables aux travailleurs si le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, n’était pas occupé à flirter avec le patronat. Sa récente rencontre avec ce dernier lors de l’université d’été du Medef, le 29 août dernier (une première, pour un Premier ministre, depuis 1998), a d’ailleurs le mérite de ne pas brouiller les pistes. Assurant que le gouvernement socialiste n’entendait pas « ajouter de nouveaux freins à la conduite des entreprises » et s’affichant tout sourire avec Laurence Parisot, il a clairement témoigné sa volonté de ne pas brusquer ces employeurs, déjà bien soucieux de la victoire du drapeau rose. La patronne des patrons a même avoué avoir « apprécié la visite et le discours du Premier ministre »… (Et quand la présidente du Medef se dit satisfaite des causeries de quelqu’un, il y a bien peu de chance que ces causeries prédisent un avenir radieux pour les travailleurs.) Et le flirt n’a pas été le seul fait de Jean-Marc Ayrault puisque, sur trois jours, onze ministres sont allés dire bonjour au Medef, non sans manquer de courbettes et de paroles rassurantes…

Pour conclure cet article, je laisserais la parole à Jean Jaurès qui, dans un discours adressé à la Chambre des députés en 1883, expliquait sa conception du socialisme et du rapport de ce dernier au système républicain. « C’est parce que le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale, c’est parce qu’il veut que la République soit affirmée dans l’atelier comme elle est affirmée ici, c’est parce qu’il veut que la nation soit souveraine dans l’ordre économique pour briser les privilèges du capitalisme oisif, comme elle est souveraine dans l’ordre politique, c’est pour cela que le socialisme sort du mouvement républicain. C’est la République qui est le grand excitateur, c’est la République qui est le grand meneur : traduisez-la donc devant vos gendarmes ! 1» La pensée de Jaurès est certes bien loin de notre socialisme anarchiste, d’une économie gérée par les organisations syndicales, d’une société débarrassée du patronat et de l’État, mais ce texte a tout de même le mérite de pointer le décalage entre les deux socialismes. Et de montrer comment le temps, l’Histoire, peuvent radicalement bouleverser une idée, jusqu’à en faire le contraire de ce qu’elle était à l’origine.


1. Jean Jaurès, Rallumer tous les soleils, Édition Omnibus, 2006, page 194.

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