Quelques milliers de Rroms roumains ou bulgares, citoyens européens privés en France du droit de travailler, persistent à penser qu'ils finiront par enraciner leur vie ici, où déjà ils envoient leurs enfants à l'école. A Lyon, à Marseille et ailleurs, repoussés de bâtiments abandonnés en terrains vagues puis en trottoirs, ils nomadisent sur les moraines de notre beau pays
En écho au vibrant appel à ne pas laisser se développer des politiques dont nous aurions tous à souffrir avec, après ou sans les Roms et au désolant constat des tensions à Marseille associées à la nomadisation forcée de Rroms, voici le récit d'une évacuation, une de plus, à Lyon.
"Ce vendredi 28 septembre 2012
Arrivée vers 6 heures du matin rue St Simon dans le 9ème arrondissement de Lyon, la police arrivait également et s'installait. J'allais devant l'immeuble et je voyais les jeunes français à la fenêtre me faire signe. Ces 4-5 jeunes français squattaient cet immeuble depuis 2010. Ils avaient accueilli des familles rroms expulsées du terrain St Gobain à St Fons en septembre 2010 et rencontrées errant dans la rue.
Depuis cette date, quatre étages étaient occupés par des familles rroms qui constituaient un groupe "homogène" de la même région, souvent de la même famille et qui vivaient près de ces jeunes qui gardaient néanmoins une vie indépendante. Mais leur présence était importante car les familles, surtout les plus jeunes n'hésitaient pas à leur demander des services de voisinage (comme nous le faisons avec nos voisins de palier).
Donc ce matin du 28 septembre, la police arrivait des deux côtés de la rue, aussi bien du côté de la rue de Bourgogne que de la rue Laure Diebold qu'ils fermaient à la population voitures et piétons (sauf moi qui étais à l'intérieur). Une quinzaine de camionnettes de police, beaucoup de voitures individuelles banalisées formaient des barrières.
Et l'expulsion se préparait ... à savoir entrer dans l'immeuble. Mais les jeunes français avaient barricadé à l'intérieur la porte avec des barres de fer, les fenêtres avec des parpaings ... disqueuses, coups de masse, volets qui volaient en éclats, rien n'arrivait à bout de ces protections inébranlables ... j'étais très inquiète car je ne savais pas si les familles rroms étaient parties et je me disais que, vu le vacarme que cela faisait, les familles et les enfants si ils étaient encore là devaient avoir très peur.
Des renforts policiers étaient appelés avec l'arrivée d'un commando de CRS en tenue de combat: boucliers, casques, cagoules ne laissant apparaître que les yeux, ... Je croyais être dans un film, mais là il y avait une réalité là à côté de moi, des femmes, des enfants, des bébés, des personnes âgées qui étaient en danger, ne pouvant sortir, ne sachant comment la situation allait tourner.
Les policiers passaient par les immeubles voisins, beaucoup de déplacements des policiers passant dans la rue voisine ...
Puis, la porte a sauté, les vitres volaient en éclats, les policiers sont entrés. J'entendais encore des coups de masse à l'intérieur ...
Peut être vers 8 heures, les premières familles sont sorties, avec leurs enfants, des bébés pour certains pomponnés comme pour une cérémonie, des enfants au sein de leur mère, des parents hébétés avec leurs baluchons, leurs poussettes surchargées, tout cela était visible, mais leur souffrance ne se voit pas, il n'y a eu aucun cri, rien qu'une désespérance alors qu'ils se regroupaient sur le trottoir en face, attendant les autres ... Deux familles dont les enfants sont scolarisés me demandaient d'avertir l'école. Et la carte de bus ? Car lundi c'était le 1er octobre et le rechargement de la carte était à faire ... cela me paraissait tellement secondaire par rapport à leur situation du moment ... mais ils sont ainsi !
Je pouvais dire à certaines familles de ne pas oublier des rendez vous qu'elles avaient (MDR, CCAS, AS ...) ayant pu joindre par téléphone des personnes de CLASSES, de MDM qui transmettaient des infos à leurs associations et au collectif rrom. Je servais de relais car dehors il y avait du monde, inquiets eux aussi de ce qui se passait loin d'eux.
Puis les familles partaient traînant les enfants, les baluchons avec les affaires qu'elles avaient préparées ...
Toutes les familles parties, j'attendis car je me demandais comment cela allait se passer avec les jeunes. Ils sont sortis, ils étaient assez nombreux car ils avaient averti des copains qui étaient venus les rejoindre. Devant des forces de police déterminées à en découdre je suppose, surtout face à des jeunes qui résistent, tout était à craindre. Je repartis donc avec eux, mais alors que j'allais sortir du "dispositif policier", ceux de l'extérieur m'ont dit qu'une jeune femme avait oublié ses papiers dans sa chambre dans les affaires du bébé. Bon, je retournai demander au chef, qui accepta et demanda à l'huissier de m'accompagner. Ne trouvant rien dans les étages, le chef a accepté que la jeune femme nous accompagne: elle a retrouvé ses papiers et les affaires du bébé.
Que dire de ce qui s'est passé : - Médecins du Monde a été interdit de pénétrer sur le site alors qu'il y avait des bébés, des personnes très fragilisées. . Comme cela s'était passé le 28 août 2012 sur le terrain .de St Priest. Cela ne s'était jamais passé avant mai 2012 !!!
Qu'est ce qui s'est passé ensuite :
- Nous nous sommes retrouvés tous ensemble, jeunes, familles rroms, sur le parvis de la mairie du 9ème avec demande de voir le Maire. Le secrétaire de mairie est venu discuter disant qu'ils n'avaient pas de solutions, il est resté un certain temps ... mais se réfugiant derrière leurs impossibilités eux, mairie. L'adjoint à la sécurité (je crois) était là également avec un discours plus radical.
- Les jeunes sont allés chercher à manger, à boire ... Ils étaient plus d'une vingtaine, avec une attitude très "chouette" avec les familles, très "responsables" avec les personnes de la mairie, avec un discours très constructif sur lequel nous étions d'accord.
Je suis partie pour aller faire les abonnements pour les TCL au Bureau des Administrations et des Collectivités du centre commercial de Perrache qui n'est ouvert que le matin jusqu'à 12 h. Arrivée juste au moment de la fermeture, le personnel m'a gardée pour faire ce travail, sachant d'où je venais ... cela fait du bien. Ensuite je suis allée distribuer les cartes dans hôtels et écoles du quartier de Perrache afin que les enfants aient leur carte [de transport] dès lundi.
Puis je suis retournée devant la mairie du 9ème, redonner les cartes aux parents. Ils avaient changé de place, car la mairie avait eu la décision de la Préfecture de les expulser du parvis de la mairie et ils s'étaient installés dans le jardin à côté.
J'ai su que par la suite les familles ont cherché un lieu, des lieux ... actuellement elles sont quelque part ... mais elles ont dû errer, dormir dehors ...
Pourquoi ne pas avoir laissé les familles dans cet immeuble où il n'y avait aucun risque, il y avait de l'eau, de l'électricité. Un bail précaire était possible comme à Montesquieu. Lorsque l'on voit que l'immeuble de la rue Laure Diebold dans le même quartier a été expulsé le 17 décembre 2010, où là aussi il n'y avait aucun risque, eh bien cet immeuble où il y avait des familles dont les enfants étaient scolarisés à l'école d'à côté (Audrey Hepburn) devait être démoli pour un projet immobilier, nous avait on dit pour justifier cette expulsion, est toujours muré, c'est inadmissible, intolérable, inacceptable ...
Gilberte Renard"source
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