Qui plus, qui moins, aucun pays de la zone euro et même au-delà, n’échappe au casse-tête de la dette publique. Les réponses qui sont proposées peuvent être classées dans deux camps.
1°) Celui des tenants de l’austérité : les Etats doivent réduire leur train de vie, réduire les dépenses sociales et faire baisser les salaires pour améliorer la compétitivité externe et ainsi retrouver des marges pour rembourser leurs dettes. C’est la politique prônée par l’Europe, Allemagne en tête.
Le problème de cette politique, c’est qu’elle fait baisser l’activité économique et aggrave le chômage. Elle réduit les rentrées fiscales et n’améliore en rien la solvabilité des Etats tout en provoquant une grave crise sociale.
2°) Celui des tenants de la relance : selon eux (dont nous syndicats), l’austérité est sans issue. Il faut non pas asphyxier l’économie mais au contraire lui donner de l’oxygène, encourager l’activité économique pour relancer l’emploi, relancer la consommation intérieure en améliorant le pouvoir d’achat, retrouver des marges via une fiscalité plus équitable, investir dans les travaux publics et dans les énergies renouvelables, etc.
Et puis, il y a des outsiders qui, en plus de mesures fiscales, proposent de ne pas rembourser la dette publique, ou en tout cas pas toute la dette. Comment ? en faisant un audit complet de celle-ci afin de vérifier si elle est bien légale et légitime… Cette thèse défendue par certains économistes est développée dans un livre écrit par Olivier Bonfond, économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’éducation populaire André Genot, proche de la FGTB wallonne).
Est-ce possible sans précipiter la chute des banques systémiques et de toute l’économie ; sans entraîner la faillite des États, la fin de l’euro, bref sans provoquer un cataclysme ? Nous avons posé la question à l’auteur.
Et si on arrêtait de banquer ?
Dans l’introduction de votre livre, vous écrivez : « Nous sommes tous Grecs ». On ne peut pourtant pas comparer la Belgique à la Grèce : on n’est pas en banqueroute virtuelle, on emprunte à un bon taux et l’austérité n’a pas atteint le niveau dramatique de la Grèce…
Olivier Bonfond : c’est vrai que la Belgique est – à l’heure actuelle - dans une meilleure situation que la Grèce. Son système de prélèvement d’impôts et sa sécurité sociale sont plus efficaces ; l’épargne des Belges est beaucoup plus importante avec un patrimoine global de 2000 milliards d’euros et une épargne sur les livrets de plus de 200 milliards.
Mais la direction qui est prise est la même pour tous les gouvernements européens : au nom du remboursement de la dette, ils imposent à leur population des plans d’austérité très durs. La Belgique a déjà mis en place deux plans d’austérité mais elle s’apprête à en mettre en place de nouveaux qui vont faire très mal. Afin de satisfaire les appétits des créanciers, tous les peuples européens voient leurs conditions de vie se dégrader fortement, et, à moins d’un changement radical d’orientation, ce n’est qu’un début. C’est en ce sens que nous sommes tous Grecs.
Aujourd’hui, avec son Pacte budgétaire et sa fameuse règle d’or, l’Union européenne veut instaurer une austérité à vie, en interdisant, sous peine de sanctions financières immédiates, tout déficit budgétaire supérieur à 0,5% au lieu de 3%. Cette orientation est suicidaire. Aucun pays n’y arrivera.
De plus, notre pays pourrait très rapidement se retrouver dans une situation très délicate : son secteur financier est loin d’être assaini. De nouveaux sauvetages bancaires sont à prévoir. Dexia est toujours en danger et l’État a apporté sa garantie pour 54 milliards, soit 15% de notre Produit intérieur brut (PIB) ! Si Dexia tombe, L’État belge ne pourra pas sortir cette somme…
Enfin, n’oublions pas que les principaux créanciers de la dette publique belge ne sont pas, comme on le croit généralement, les petits épargnants mais bien les grandes banques, les fonds de pension, les compagnies d’assurances et les fonds spéculatifs. Ils n’hésiteront pas une seconde à spéculer sur la dette belge s’ils y voient leur intérêt. On n’est donc pas protégés.
Vous proposez, avec d’autres économistes, de ne pas rembourser la dette.
Est-ce que c’est possible :
1°) sans compromettre la capacité future de financement de l’Etat (on voit bien que la simple dégradation de la notation et la hausse des taux qui s’ensuit posent problème) ?
2°) sans provoquer une catastrophe financière en précipitant la chute des banques dites « systémiques » ou trop grosses pour les lâcher (« too big to fail) qu’il a fallu recapitaliser en 2008 ?
O.B. : Premièrement, il s’agit d’affirmer que le remboursement de la dette ne doit plus être une question tabou. Il n’est pas normal qu’on puisse attaquer tous les acquis sociaux pour économiser quelques centaines de millions d’euros, tandis que le remboursement de la dette ne peut en aucune façon être remis en cause. D’autant plus que ses créanciers sont les principaux responsables du désastre économico-financier en cours. Ensuite, l’idée n’est pas d’annuler la dette de manière arbitraire. Il s’agit de ne pas rembourser les dettes qui seront considérées comme illégales ou illégitimes.
Ce n’est donc que d’une partie qu’il s’agit ? Mais qui décide de l’illégalité ou de l’ « illégitimité » de cette partie de dette ?
O.B. : Pour cela, il faut faire un audit complet de la dette, c’est à dire analyser de manière rigoureuse et approfondie les origines et les causes de l’endettement public. S’il s’avère que la légalité n’a pas été respectée comme c’est par exemple le cas avec les produits toxiques vendus aux pouvoirs locaux, cette dette devra être considérée comme nulle.
De la même manière, une dette qui n’a pas été contractée dans l’intérêt général mais qui a systématiquement favorisé une classe privilégiée devrait être considérée comme illégitime et ne devrait donc pas être remboursée. Par exemple, les politiques fiscales de ces 20 dernières années ont systématiquement favorisé les grosses fortunes et les grandes entreprises privées, ce qui a provoqué une diminution importante des recettes publiques, et donc une obligation de s’endetter. On peut donc se demander si la dette qui provient de cette politique fiscale socialement injuste est légitime ou non. Ce sera à l’audit de le déterminer et au peuple d’en décider.
Mais ces politiques fiscales – disons « injustes », elles ont quand même été votées par des élus du peuple.
O.B. : Cela n’empêche pas qu’on puisse les remettre en question. Les dirigeants politiques n’ont pas reçu le mandat de faire tout et n’importe quoi. Ils sont censés représenter les intérêts des citoyens. Les élus n’ont pas été mis au pouvoir en annonçant qu’ils appliqueraient des politiques socialement et fiscalement injustes. Ils ont été élus sur la base d’un programme. Si il est avéré qu’ils n’ont pas respecté leurs engagements, alors la dette qui sera liée à ces politiques injustes pourra être considérée comme illégitime.
Et sans provoquer une catastrophe financière… ?
O.B. : Mais nous sommes déjà en pleine catastrophe financière. Une chose est sûre : la soumission aux marchés financiers, cela ne marche pas. Il y a effectivement un risque que les marchés refusent de prêter encore à la Belgique. Mais la Belgique a les capacités de se passer des marchés financiers, notamment via des mesures fiscales. Pour rappel, la FGTB a démontré qu’il était possible de trouver annuellement plus de 30 milliards d’euros de recettes publiques supplémentaires en prenant l’argent là où il est et sans s’attaquer aux droits sociaux.
Par ailleurs, de nombreux exemples ont prouvé que, loin de provoquer une catastrophe, la fermeté à l’égard des créanciers peut donner des résultats positifs. L’Islande est le seul pays européen à avoir décidé de ne pas rembourser toute sa dette. C’est également le cas pour l’Argentine en 2001 ou encore l’Équateur en 2008… sans faire de « copier-coller », ces expériences devraient constituer une source d’inspiration pour tous les gouvernements de l’Union européenne.
Si on veut réellement empêcher le système de s’écrouler, plutôt que de recapitaliser bêtement les banques en les laissant continuer à spéculer à leur guise, il faut réguler de manière très stricte le secteur financier et en reprendre largement le contrôle. Il faut que le secteur financier redevienne un instrument au service de l’économie et pas un parasite surpuissant qui pompe toute la richesse produite par les travailleurs.
« Et si on arrêtait de payer ? 10 questions/10 réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité » par Olivier Bonfond, Ed. Aden/CADTM/CEPAG.
Cet ouvrage peut être commandé pour 12 € soit chez Aden : http://www.aden.be/index.php?aden=e..., soit au CADTM.
Cette interview est parue dans le magazine « Syndicats » de la FGTB ( septembre 2012 / n°15)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire