Carine Fouteau alerte l'opinion sur le dernier subterfuge du ministère de l'intérieur pour contourner la décision de la Cour de cassation du 5 juillet 2012 interdisant à l’administration de placer en garde à vue des personnes au seul motif qu’elles seraient en situation irrégulière sur le territoire. Le "changement maintenant" aboutirait-il à un pays où l'Etat de droit se plie à la répression policière qui fait voter les lois qui l'arrangent ?
L'enthousiasme normatif du ministère de l'intérieur semble avoir dissipé sa vigilance sur un point : savoir si la loi française est suffisante pour contourner la décision de la Cour de cassation (puisque celle-ci se réfère au droit de l'Union, lequel a, de plus, une valeur constitutionnelle, que lui confère l'article 88-1 de la Constitution).
Il semblerait que non, à première vue ; si la hiérarchie des normes a encore du sens.
Il semblerait que non, à première vue ; si la hiérarchie des normes a encore du sens.
A moins que l'inventivité législative du ministère de l'intérieur soient les prémices de l'inversion normative promise, en matière sociale notamment ?
Le ministère de l'intérieur tempèrera donc son enthousiasme en considération des limites du droit de l'Union qu'il n'a pas le pouvoir de déplacer.
En effet, la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, 28 avr. 2011, C-61/PPU. - CJCE, 6 déc. 2011, C-329/11) juge que ladirective 2008/115/CE s'oppose à une réglementation nationale réprimant le séjour irrégulier d'une peine d'emprisonnement.
L'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est donc contraire au droit de l'Union.
Une mesure de garde à vue ne peut être décidée par un officier de police judiciaire (OPJ) que s'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne concernée a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'emprisonnement .
Comme l'emprisonnement est interdit par le droit de l'Union en matière de séjour irrégulier, l'OPJ, par voie de conséquence, ne peut donc valablement priver une personne de sa liberté de circuler au-delà du simple délai nécessaire à vérifier son identité, qui est de quatre heures.
La substitution du terme "garde à vue" par celui de "retenue" ne trompera pas les juges, puisque c'est l'effet de la mesure qui est illégal, indifféremment de son appellation.
L'officier de police judiciaire prononçant une "retenue" prendra matériellement une mesure privative de liberté identique à celle de la "garde à vue" et pareillement contraire à la fois au droit de l'Union et au droit pénal, nonobstant le fait qu'il s'expose personnellement à un risque de poursuites.
L'absence de base légale naissant du conflit entre la norme nationale et le droit de l'Union - du fait de la contradiction des deux - rend, dans ces conditions, une "retenue" arbitraire. Elle engage sa responsabilité pour avoir fait échec au droit de l'Union et aux garanties qu'il pose. L'abus d'autorité est sanctionné par le droit pénal (Art. 432-1 et s du Code pénal).
Le ministère de l'intérieur initie la mutualisation et le partage du risque judiciaire.
Il engage aussi la responsabilité de l'Etat au niveau national et européen. Il existe une responsabilité de l'Etat du fait d'une loi contraire à un engagement international (CE Gardedieu) ou d'une coutume internationale (CE Saleh). Il existe aussi une responsabilité de l'Etat devant la Cour de Justice de l'Union pour violation du droit de l'Union : « le principe de la responsabilité de l'État pour les dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité » (Source).
Le texte policier risque donc de coûter une très grosse retenue financière en procédures indemnitaires à Monsieur Cahuzac, et réduire d'autant les économies qu'il compte imposer aux Français.
Les avocats seront bien inspirés de creuser dès à présent cette voie pour contenir la dérive policière qui tente de s'absoudre de sa responsabilité pour des actes discriminatoires et inutiles.
La police a déjà en effet la possibilité de contrôler l'identité des personnes et de les retenir à cette fin pendant quatre heures.
Prévoir un régime différent pour contrôler l'identité des étrangers et des nationaux est discriminatoire.
" Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation ou identité sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. " (Art. 1
Loi N°2008-496)
Loi N°2008-496)
Rien ne permet de distinguer avant de l'avoir contrôlée, si une personne est étrangère ou française. Le contrôle est illégal s'il se fonde sur la seule apparence des personnes.
La responsabilité du gouvernement est collégiale dans ce patchwork de violations des valeurs fondamentales.
Des interventions simultanées allant toutes à l'avantage de l'action critiquable du ministère de l'intérieur dessinent une union sacrée de la répression.
Le premier ministre enterre la proposition du candidat Hollandevisant à garantir les citoyens de la fin de l'arbitraire des contrôles "au faciès"
Le ministre des affaires étrangères affirme que la France ne ratifiera pas le protocole additionnel numéro 12 de la Convention européenne des droits de l'homme qui élargit très substantiellement la sanction de la discrimination. (L'Albanie l'a ratifié, elle). Cela ménage la police dans son matraquage des étrangers et des sans-rien.
Le Garde des Sceaux occupe l'actualité en courant après des circulaires. La valeur normative d'une circulaire est nulle pour le citoyen. et elle doit être publiée sur internet pour être valable " Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. " (article 1° du décret N°2008-1281 ). Pourquoi tout ce tintamarre ? Pendant que le ministre de l'intérieur s'arroge les prérogatives du Garde des Sceaux en matière d'études et de prescription législatives.
Sommes-nous encore dans un Etat de droit quand une justice court après des circulaires et que la police dicte sa loi, au mépris des droits de l'homme, du droit de l'Union, de la constitution, du droit pénal, ... ?
Si le gouvernement français est incapable de garantir la pérennité de l'Etat de droit et la garantie du droit à la sureté menacé par le ministère de l'intérieur, le droit de l'Union offre un recours :L'initiative citoyenne européenne permet à un million de citoyens de l'UE de participer directement à l'élaboration des politiques européennes, en invitant la Commission européenne à présenter une proposition législative. (Peut-être utilisé pour le TSCG)
Exiger de l'Etat le respect de la Charte des droits fondamentaux, c'est possible. Maintenant.
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