Contribution du Professeur Chems Eddine Chitour
«La France se nomme diversité. La prétention de gommer les particularismes a toujours échoué, car ces derniers constituent véritablement l’identité de la France. Ni l’ordre politique, ni l’ordre social, ni l’ordre culturel ne réussissent à imposer une uniformité qui soit autre chose qu’une apparence».
«La multiplicité des appartenances à d´autres nations contribue aujourd´hui, et d´une manière de plus en plus préoccupante, à affaiblir chez nos compatriotes l´acceptation d´une communauté de destin, et par là-même à miner les fondements de l´action de l´Etat.» C´est par ces mots que Marine LePen prend à témoin les députés et leur demande de prendre les dispositions qui s´imposent.
Elle poursuit, ciblant nommément l´Algérie: «Comment ne pas trouver potentiellement explosive une situation qui verrait la France intervenir sur le territoire algérien, qui plus est sous la bannière de l´Otan, avec la présence massive de citoyens tiraillés par leur double allégeance? Après tout, la situation internationale est tellement instable qu´un tel scénario ne relève pas de l´absurde.» Nous y voilà, l´ennemi irréductible est encore une fois l´Algérie. Petit rappel à Marine Le Pen, malgré les c rimes de guerre, malgré la torture dont son père avait fait une science exacte en Algérie, malgré l’aide massive de la France par l’Otan, le peuple algérien avait décidé d’être indépendant… Le général Giap, le vainqueur de Dien Bien Phu, disait à ce propose et avec justesse , que « l’impérialisme était un mauvais élève qui ne retenait pas les leçons de l’histoire » On se souvient en effet, que les Américains avaient envisagé « une solution finale » pour les Vietnamiens en proposant au Français une bombardement atomique. Ils se sont d’ailleurs rattrappé, eux-mêmes en épandant le terrible
agent orange dont on a fêté le 50eanniversaire ces jours çi. Bref pour Marine Le Pen la binationalité vise en priorité les Maghrébins et notamment l’Algérie. Il est vrai qu’on verrait très mal respectivement, Daniel Cohn Bendit, Eva Joly, Arno Klarsfeld sommés de choisir entre l´Allemagne, la Finlande ou Israël.
Pour rappel, il s´agit, en réalité, de l´exposé sommaire d´un amendement, présenté fin 2010 par une poignée de parlementaires UMP de la Droite populaire, qui vise à supprimer la possibilité pour un citoyen français de posséder une double nationalité. Le texte a finalement été repoussé. Toutefois, ce collectif de parlementaires reste courtisé au sein de la majorité. Ces élus ont d´ailleurs été reçus, mercredi 1er juin, à l´Elysée. Selon Dominique Paillé, président du conseil d´administration de l´Office français de l´immigration et de l´intégration et ancien porte-parole de l´UMP, la relance du débat sur la binationalité vise seulement a «créer un point de fixation sur une thématique qui ne le mérite pas». L´objectif est «la stigmatisation de l´étranger» relève également M. Pinte. «C´est un mauvais débat. En France, les binationaux ne posent aucun problème particulier. Il s´agit pour le Front national de trouver un nouveau cheval de bataille et de flatter le chauvinisme français en imposant un choix de nationalité», poursuit Dominique Paillé. (1)
En effet, l´article 23 est complété par une phrase ainsi rédigée: «Toute personne qui possède la nationalité française et une autre nationalité et qui ne renonce pas à cette autre nationalité dans les six mois précédant sa majorité et dans les douze mois la suivant, perd la nationalité française.» Marine Le Pen n´a fait que «réchauffer» un thème porteur pour les élections de 2012.
En son temps, Fernand Braudel disait que «la France se nomme diversité». Justement en parlant de diversité l´esprit de la France de l´Equipe de France 1998 a disparu pour le journal l´Observer. Nous lisons: «L´affaire des quotas à la Fédération française de football ne fait que décliner le débat sur l´identité nationale et ses relents nauséabonds Le 28 avril, le site d´information Mediapart a révélé que, lors d´une réunion tenue en novembre 2010, la direction de la Fédération française de football (FFF) a envisagé de «limiter» le nombre de joueurs d´origine étrangère formés en France. Laurent Blanc, présent, a regretté de voir certains d´entre eux choisir ensuite une autre sélection: «Ça me dérange énormément. Il déplore qu´ils soient trop nombreux et demande qu´on fasse appel à d´autres joueurs ayant «notre culture et notre histoire». (...) »(2)
« L´un des aspects les plus déprimants de cette affaire, c´est qu´on semble désormais bien loin des jours glorieux de 1998. La France avait remporté la Coupe du monde avec une équipe black-blanc-beur, un groupe de joueurs talentueux et engagés qui étaient nés (ou fils de parents nés) aux quatre coins de l´Afrique francophone et au-delà. Pour la grande majorité des Français, en général indifférents au football, l´événement ne marquait pas seulement une victoire à savourer, mais un important événement historique. Le talisman de cette équipe était Zinedine Zidane, né à Marseille dans une famille berbère originaire d´Algérie. Le soir de la victoire française sur le Brésil, la photo de Zidane était apparue sur des écrans géants sur les Champs-Elysées avec les mots «Zidane président!» A ce moment-là, les conflits du passé colonial français s´étaient apaisés dans l´euphorie d´un match de football, et les gens de toutes origines raciales pouvaient rêver d´une France tolérante et multiculturelle, dont Zidane, avec ses origines multiraciales et son magnifique talent, était l´emblème même. Ce rêve a désormais volé en éclats».(2)
Qu´en est-il de la binationalité ailleurs?
Le droit de la nationalité et de la citoyenneté britannique est complexe en raison des différents statuts accordés du fait de l´histoire coloniale du pays. Ses fondements actuels et généraux ont été posés par le British Nationality Act de 1981. Les différents statuts distinguent principalement entre les citoyens britanniques et les citoyens provenant des territoires britanniques d´outre-mer. Ils sont tous rassemblés sous la notion de citoyen du Commonwealth.(...) En vertu du Immigration, Asylum and Nationality Act de 2006 (section 56), une personne ayant une double nationalité peut aussi être privée de la nationalité britannique pour des raisons liées à l´«intérêt public» (public good). Pour leur part, les autorités américaines reconnaissent la double nationalité aussi bien pour les personnes nées aux Etats-Unis qui sont étrangères par filiation, que pour les personnes américaines qui acquièrent volontairement une autre nationalité, à condition que ces dernières ne renoncent pas à leur citoyenneté américaine.
Ce que dit Marine Le Pen qui est dans son rôle, est tout à fait compréhensible s´il n´´y avait pas d´exception. Chaque pays, en effet, est libre d´accepter ou de refuser la nationalité à quelqu´un sur des critères transparents. Souvenons-nous: «Il ne faut pas se payer de mots! disait de Gaulle C´est très bien qu´il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu´elle a une vocation universelle. Mais à condition qu´ils restent une petite minorité. (...) Ces mots résument à eux seuls toute la problématique de la condition «d´être français» Qu´en est-il aujourd´hui de l´identité française au XXIe siècle?
Doit-on la circonscrire uniquement aux Gaulois à têtes rondes pour paraphraser San Antonio dans «l´Histoire de France»? Doit-on au contraire faire du désir d´être ensemble le ciment d´une identité du XXIe siècle? On se souvient que le thème de l´identité a déjà été «vendu» lors des élections de 2007. Cela a commencé par une petite phrase: «La France: aimez-la ou quittez-la». Ce mot a été emprunté à Ronald Reagan «America love it or leave it». Les Français d´ascendance maghrébine ou noire, égaux en théorie en droits, voient dans ce débat sur l´identité une tentative d´exclusion - séparer le bon grain «de souche» «de l´ivraie» allogène- alors qu´il est censé inclure.
Qui est en fait Français et depuis quand? En son temps, le général de Gaulle aurait répondu: «Pour moi, l´histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Avant Clovis nous avons la préhistoire gallo-romaine et gauloise. L´élément décisif pour moi c´est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l´histoire de France à partir de l´accession d´un roi chrétien qui porte le nom des Francs.» Si pour le dictionnaire, est de souche celui «qui appartient à un groupe national donné depuis de nombreuses générations, au point de ne plus être considéré comme un immigrant ni un descendant d´immigrant», en observant la réalité des faits, la chose est claire: est de souche celui qui est «blanc» et qui porte un nom, un prénom, à consonance européenne, pour ne pas dire chrétienne.
Certains Français de fraîche date poussent le ridicule jusqu´à se «croire plus royalistes que le roi» N´a-t-on pas vu Manuel Val - avec des ascendants espagnols - émettre le souhait qu´il y ait plus de «blancos» dans sa circonscription? Par contre, on peut être français depuis un siècle, le nom patronymique et surtout l´appartenance à une sphère cultuelle sont des «marqueurs indélébiles». En fait, le problème des binationaux touche exclusivement les anciennes colonies et notamment et prioritairement les Algériens anciens nationaux, il n´est pas question d´aller chercher des poux dans la tête aux binationaux européens-français et américains, voire israéliens Il vient que les variables d´ajustement seront toujours les mêmes C´est d´abord l´immigration qui grève les comptes de la sécu et fraude les impôts et la CAF. Les chômeurs fainéants contre les travailleurs, Les fraudeurs du RSA et RMI Le discours sécuritaire..., la déchéance de la nationalité et maintenant la binationalité en attendant une autre accusation.
«Un bouleversement de la configuration géostratégique mondiale, écrit René Naba, qui dénonce: une campagne populiste, s´opère sous nous yeux et que fait la France pendant ce temps? Elle mène un combat d´arrière garde contre ses anciens combattants. Rôle positif de la colonisation, uniquement la colonisation et non du colonisé, identité nationale, binationaux, tous les thèmes de la stigmatisation défilent et s´accélèrent même à l´approche des élections présidentielles. Binationaux justement. Gilad Shalit, un binational, comme de juste, ce fameux soldat israélien capturé par les Palestiniens à Ghaza, qui s´est souvenu de sa nationalité française au moment de sa capture. Il en est de Gilad Shalit comme d´Arno Klarsfeld, ce réserviste de l´armée israélienne, nommé conseiller du ministre de l´Intérieur Sarkozy, en pleine guerre de destruction israélienne du Liban, en juillet 2006, puis du Premier ministre François Fillon».(3)
Justement, s´agissant d´Israël, plusieurs études, montrent que pas moins peut-être de la moitié des Juifs vivant en Israël envisagent de quitter la Palestine dans les prochaines années si les tendances politiques et sociales actuelles se maintiennent. (...) Aujourd´hui, on estime que leur chiffre avoisine les 70%. Pour paraphraser le journaliste juif Gideon Levy: «Si nos ancêtres rêvaient d´un passeport israélien pour s´échapper d´Europe, beaucoup d´entre nous en sont dorénavant à rêver d´un second passeport pour s´échapper en Europe.» Une étude publiée par Eretz Acheret, constatait que plus de 100.000 Israéliens sont déjà titulaires d´un passeport allemand, et ce chiffre grossit de plus de 7000 chaque année en suivant une courbe d´accélération. Selon les autorités allemandes, plus de 70.000 passeports ont été accordés depuis 2000. En plus de passeports vers l´Allemagne, plus d´un million d´Israéliens ont d´autres passeports étrangers tout prêts au cas où la vie en Israël se détériorerait. Actuellement, plus de 500.000 Israéliens sont titulaires d´un passeport zunien avec près d´un quart de million de demandes en instance».(4)
Qu´en est-il justement des Algériens à qui ce traitement de faveur est réservé?
Officiellement en France on ne sait pas combien. Beaucoup d´Algériens et généralement les citoyens des pays du Sud rêvent d´acquérir une autre nationalité pour pouvoir émigrer, aller faire leur vie ailleurs, dans l´eldorado supposé. «Le phénomène de la double nationalité parmi les citoyens Algériens a connu un essor significatif ces 15 dernières années atteignant 13,5% de la population algérienne soit plus de 4, 5 millions de personnes ayant acquis une autre nationalité en plus de la leur.
On applique d´une façon indifférenciée des textes à l´avantage ou contre ceux qui sont nés du bon ou du mauvais côté de la Méditerranée et ceci au lieu de fixer des critères de mérite opposables à tout le monde. Ce qui compte en définitive, c´est la valeur ajoutée de chacun indépendamment de son histoire. Le Français d´origine algérienne est-il plus proche ou moins proche d´un Français que celui dont les parents viennent des Carpates et qui il n´y a pas si longtemps était dans le camp des ennemis de la France? Ce Français «algérien» dont les parents, qu´on le veuille ou non, ont donné leur sang et leur sueur pour le rayonnement de la France et qui peut se décliner de différentes façons: c´est Verdun le chemin des Dames, Monte Cassino le débarquement, les tirailleurs bétons des trente glorieuses et plus encore la diffusion de la culture française par l´enseignement du français -langue maintenue en vie- dans toutes les anciennes colonies bien après leurs indépendances
Les Français d´ascendance maghrébine ou noire, égaux en théorie
Nous sommes d «´accord avec Patrick Lozes qui parle de chance pour la France. Ecoutons-le:«Oyez, oyez, braves gens, la dernière urgence française c´est la binationalité. Rien n´est plus important, rien n´est plus grave: le chômage, le pouvoir d´achat, le système social, la croissance économique, les déficits publics? N´y pensez pas. Dans son discours d´investiture à la présidence de la République en 1981, François Mitterrand disait: «Il est dans la nature d´une grande nation de concevoir de grands desseins.» Faut-il vraiment que la France ait si peu confiance en elle pour avoir si peur de la binationalité? La peur de l´autre est-ce vraiment-là le grand dessein que certains proposent à la France aujourd´hui? Et si la binationalité n´était pas un problème mais un atout? Et si les binationaux étaient un pont vers l´autre? Pourquoi commencer par les considérer comme des ennemis et non pas comme un atout? Pourquoi ne pas se dire que ces Français disposant de plusieurs codes culturels ainsi que de réseaux aussi bien en France qu´à l´étranger, représentent une chance pour la conquête de marchés extérieurs et intérieurs?»(5)
Les Français issus de «l´empire colonial», dans leur immense majorité, veulent vivre avec dignité leur culture. Ils connaissent les fils rouges à ne pas dépasser, ils savent ou ils doivent savoir qu´ils sont dans un vieux pays de tradition chrétienne. Pourtant, leur identité religieuse n´est nullement un frein à leur patriotisme envers la France. Ils croient en la République et en sa forte volonté d´intégration sous le tryptique Liberté, Egalité, Fraternité Pour rappel les Algériens qui montaient à l´assaut de la colline de Wissembourg avant la débâcle de Sedan en 1870, outre le fait qu´ils y ont été décimés pour conquérir un bout de colline et y planter le drapeau français, étaient des musulmans à part entière et des patriotes - à leur corps défendant, à part entière -, il fut de même de ceux qui eurent à combattre les Allemands dans l´enfer de Verdun; on les gavait de vin eux les musulmans!! - d´où l´expression aboul gnole- devenu plus tard bougnoule un sobriquet démonétisant l´indigène. Les descendants de ceux qui sont morts pour la France ont choisi de vivre en Europe, ils souhaitent le faire dans la dignité. Ils veulent vivre d´une façon apaisée et sans ostentation leur spiritualité à l´ombre des lois de la République.(6)
En définitive, ce débat sur la binationalité fait partie des thèmes politiciens récurrents à l’approche d’échéances électorales. Il va plus aviver les tensions entre les sans grade ceux qui n’ont pas droit au chapitre quelque soit leur « provenance » les distrayant des vrais problèmes qui sont ceux d’une mondialisation –laminoir dimensionnée à la taille des nantis. Même s’il débouche sur un non-lieu risque, il risque de remettre aux calendes grecques, en France «ce désir de vivre ensemble» «ce plébiscite de tous les jours» dont parle si bien Renan, et qui est une condition nécessaire pour s’opposer tous ensemble à la remise en cause des acquis sociaux.
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Notes
1.Eric Nunes: Double nationalité, la majorité présidentielle divisée Le Monde.fr 04.06.11
2.Andrew Hussey: Une polémique qui n´a rien de footballistique The Observer10.05.2011
4.http://www.alterinfo.net/Les-Israeliens-se-bousculent-pour-un-deuxieme-passeport_
a59583.html?com#com_2174818
5.http://patricklozes.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/06/02/bi-nationalite-la-derniere-urgence-francaise.html
6.Chems Chitour:http://www.legrandsoir.info/Comment-etre-Francais-au-XXIe-siecle.html
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