Au terme de cinq années de politique de contrôle des flux migratoires, teintée de xénophobie aux couleurs de la France, mes amis commentateurs du Figaro ont été bien déçus d'apprendre, par dépêche AFP, "un chiffre jamais révélé par les autorités", assavoir le nombre des "étrangers en situation illégale [qui] ont été régularisés en 2010". Au cours d'une conférence de presse, Gérard Sadik, responsable de la commission Asile de la Cimade - et non pas "président de l'association" comme l'indique l'AFP - a estimé qu'environ 28 000 sans papiers avaient bénéficié, au cours de l'année 2010, de la bienveillance des autorités françaises.
Cette mansuétude ainsi étalée au grand jour semble bien attrister les lecteurs de la feuille sarkoziste, qui y voient notamment
"Un vrai scandale dont Gueant ne se vente pas .............;"
(Pour les autres réactions, se rendre directement au comptoir du Marine Bar.)
Les trois ministres qui ont été en charge de l'immigration,
accompagnés d'un intrus qui garde ses papiers sous le bras.
(Photo : Stéphane de Sakutin / AFP)
La désillusion qui s'exprime de manière si pudique est bien poignante. Aussi regrette-t-on que le Figaro n'ait pas jugé bon de donner à ses lecteurs, comme un lot de consolation, une information qui aurait pu les ravigoter. Car les exemples d'actions dont monsieur Guéant pourrait se "venter" ne manquent pas...
Le récit circonstancié de l'expulsion de la famille Mahmuti, que vient de mener à bien monsieur Philippe Galli, préfet de l’Ain, aurait pu leur plaire, mais apparemment l'AFP ne l'a pas livré à leur quotidien favori. Pour être informés, il leur faudrait aller sur le blogue tenu par les humanistes bien-pensants du RESF, sur le site de Mediapart, un endroit presque inconnu des lecteurs du Figaro. Michel Cabaussel et Nathalie Fessol y racontent cette histoire consolatrice pour les mal-pensants.
Les Mahmuti sont kosovars. Ils ont quatre enfants, dont un bambin, qui doit avoir un peu plus d'un an, et un grand garçon de 16-17 ans handicapé des suites d'une malformation osseuse. Des menaces de la mafia locale les avaient poussés à quitter leur pays pour chercher asile ailleurs.Ils s'étaient réfugiés en France en novembre 2010, après un passage par la Hongrie où, malheureusement, madame Mahmuti a été contrôlée. Appliquant à la lettre le règlement européen dit Dublin II, qui impose aux réfugiés de déposer leur demande d’asile dans le premier pays de l’Union par lequel ils ont transité avant leur pays de destination, les autorités ont pris la décision de les renvoyer - coûte que coûte, semble-t-il - en Hongrie où l'on devrait s'occuper de leur cas en les réexpédiant au Kosovo.
Ce ne fut pas chose facile.
En juin 2011, des fonctionnaires de la PAF - la police des frontières, anciennement "police de l'air et des frontières", d'où l'euphonique acronyme - sont venus arrêter la famille, alors hébergée au foyer "Les Sapins", à Hauteville. Devant la détermination du docteur Virard, médecin de l'adolescent handicapé et président de la communauté de communes, et devant la mobilisation des voisins et amis de la famille, les policiers abandonnent.
Pour peu de temps :
Le mardi suivant, aux aurores, c’est un mauvais thriller qui se joue sous les yeux effarés des résidents et du personnel du foyer. La PAF est de retour et, pour arrêter la famille, utilise les grands moyens : placages au sol, insultes et menottes.
Selina, qui a 9 ans à l'époque, a réussi à s'échapper, et elle restera cachée jusqu'à la libération du reste de la famille, après plusieurs semaines de mobilisation, du centre de rétention de Lyon Saint Exupéry.
On notera qu'entre temps, pensant à tout, les services de la préfecture avaient donné ordre aux responsables du foyer de rayer la famille des registres. Mais la municipalité d'Hauteville finit par lui trouver et attribuer un logement inoccupé dans une maison de la bourgade.
Un peu de répit :
Une vie un peu moins précaire commence, les deux aînés sont scolarisés et les Mahmuti participent et font partie intégrante de la vie de la commune, même si, de peur de voir une nouvelle irruption des pandores, tous les soirs – au moment du coucher – un membre de la famille manque à l’appel.
Mais c'est au matin que la police procédera, glorieusement :
23 janvier 2012 – 8h du matin : Selina pousse la porte pour partir à l’école, où elle se plaît et apprend le français à toute allure. Mais un homme se tient de chaque côté ; elle est immobilisée, et d’autres hommes apparaissent.
Au même moment, le Dr Virard commence ses visites et passe devant le domicile des Mahmuti. Observant une présence inhabituelle, il prévient les citoyens du collectif « Plateau Solidaire ». Quelques minutes plus tard, plusieurs voitures sont garées sur l’unique chemin qui mène à la maison.
Les gens assistent à l’arrestation. Les policiers de la PAF emmènent le fils, qui a été menotté parce qu’il se débat. Selina est plaquée au sol, immobilisée parce qu’elle fait une crise de nerfs. Tous les membres de la famille sont placés dans des voitures, sans bagages. Mais les citoyens indignés refusent de déplacer leurs véhicules. Il faut dire que sur le plateau d’Hauteville, il y a une longue tradition de résistance. Un garagiste, appelé pour enlever les voitures, refuse de le faire.
Mais finalement force restera à la loi, comme "ils" aiment à dire, et à 14 h 30, les voitures finiront par partir vers Saint Exupéry.
A la petite princesse Selima qui, du haut de sa dizaine d'années, "expliqu[ait] à un journaliste comment les demandeurs d’asile sont traités en Hongrie, parfois sans nourriture", et qui criait aux policiers "tuez-moi, mais je n’irai pas", il fut répondu que "la Hongrie est un pays qui respecte les droits de l’homme".
Comme quoi, on peut dire vraiment n'importe quoi.
Des fois.
Le compte-rendu de ces "négociations, parfois musclées" est réservé aux abonnés.
La suite de l'histoire peut être qualifiée d'expéditive.
Le soir même, maître Vibourel, l’avocate de la famille, déposait un référé devant le tribunal administratif.
Pendant toute la matinée du lendemain, le tribunal administratif a tenté de joindre la préfecture pour être informé de l’heure prévue du départ de la famille, afin de pouvoir se réunir avant celui-ci. Mais personne, à la préfecture, n’a daigné apporter une réponse, y compris au président du tribunal administratif, lui-même. Le centre de rétention, aux ordres, n’a rien révélé de plus.
A 11h du matin, à l'ancien aéroport de Bron, la famille Mahmuti a été embarquée dans un avion spécialement affrété pour elle.
L’audience au tribunal administratif, maintenue à la demande de maître Vibourel, s’est déroulée dans l’après-midi. Le président a pu y exprimer sa colère "non seulement du mépris avec lequel il a été traité par Philippe Galli et ses services, mais aussi de ces techniques d’expulsion express qui font fi du droit".
L’expression est forte, et pourrait décoiffer passablement les lecteurs-commentateurs pourfendeurs de la bien-pensance, et l'on peut se demander si elle n'est pas un peu exagérée concernant monsieur Galli, expert en matière d'application de la loi.
Aucun délit ne lui échappe.
Un très court article de mise en bouche, mis en ligne sur le site du Progrès, nous apprend - en promettant plus de détails aux abonnés - que "les élus opposés à l'expulsion d'une famille kosovare" ont été "convoqués en gendarmerie".
En effet :
Lundi, la préfecture avait rappelé que plusieurs délits avaient été constatés, "notamment l'entrave à circulation, délit puni par l'article L. 425-1 du code de la route (deux ans d'emprisonnement et 4500 euros d'amende, ainsi qu'une peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire ainsi que six points retirés..."
(Il faut supposer que la fermeture de la parenthèse est réservée aux abonnés.)
Donc :
Mardi, sur demande du Parquet, Philippe Virard, le président de la communauté de communes du plateau d'Hauteville a dû s'expliquer devant les gendarmes de la commune. En fin d'après-midi, ce sera au maire Bernard Maclet, à trois adjoints et autant de militants de passer à leur tour au tourniquet.
A croire que ces répréhensibles "entraves à la circulation" masquaient un délit de solidarité qui, on nous l'a assez répété, n'existe pas en droit...
PS : Une pétition, demandant le retour des Mahmuti, a été mise en ligne par le RESF.
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