Depuis la fin de 2010, le débat sur la laïcité est pollué par le fait que Marine Le Pen a fort bien compris que ce mot, comme tout autre terme, peut être utilisé comme un nom de code pour signifier tout autre chose. Comme son père avait réussi à focaliser le débat sur l’immigration, elle a réussi à devenir une référence quant à la laïcité. Beaucoup de personnalités politiques, à droite, et malheureusement aussi à gauche, se sont mises à croire que Madame le Pen se serait véritablement approprié l’étendard de la laïcité et qu’il faudrait le lui reprendre. Le piège est terrible et il a déjà eu des effets dévastateurs, comme le calamiteux débat de l’UMP au printemps 2011 et, plus récemment, le vote par le Sénat d’une loi qui, outre son interprétation hypertrophiée de la neutralité, ouvre un boulevard à de futures violations de la vie privée. On attendait vraiment autre chose des priorités d’un Sénat devenu majoritairement de gauche.
On a vraiment envie de dire à celles et ceux qui, dans la gauche comme dans la droite républicaine se fourvoient ainsi: «Que vous arrive-t-il? Réveillez-vous! Comprenez enfin: quand Marine Le Pen parle de laïcité, elle ne fait que continuer la politique du FN avec un tour de passe-passe.» Encore que, déjà, dans la campagne électorale de 2007, une affiche de J.-M. Le Pen prônait la laïcité… contre les musulmans, bien sûr.
Dans cinquante ou cent ans, les historiens risquent fort d’être très sévères quand ils analyseront l’engrenage qui a permis aux Le Pen d’invoquer la laïcité sans provoquer immédiatement un éclat de rire général. Ils montreront qu’à force de ne pas avoir défini les mots que l’on emploie, d’avoir utilisé de façon populiste, notamment, le terme de «communautarisme» à toutes les sauces… on a finalement récolté ce que l’on a semé. Non parce qu’il n’existerait pas des extrémistes dangereux, mais au lieu de les isoler, pour mieux pouvoir les combattre, on a allègrement pratiqué des amalgames et visé des populations entières qui ne demandent qu’à pouvoir tranquillement pratiquer leur religion, de la manière dont ils la comprennent.
Un orateur un peu cynique du tournant du XIXe et du XXe siècle racontait que lorsqu’il avait soudainement envie de se rendre aux toilettes au milieu d’un discours, il se mettait à dire du mal des juifs et la salve d’applaudissements qu’il déclenchait lui donnait largement le temps d’aller se soulager! J’ai pensé, à plusieurs reprises, à cette anecdote en entendant des effets de manche sur le «communautarisme» et «l’intégrisme», utilisés comme mots convenus qui permettent de faire l’économie d’une analyse, d’une intelligence de la situation: on déclenche des réflexes conditionnés puisqu’on ne peut être que contre! Mais, à force de jouer ce jeu-là, et de se vautrer dans la paresse intellectuelle, on finit par mériter d’avoir Marine le Pen à plus de 20% dans les sondages, et la droite populaire en embuscade. Le malheur, c’est que l’on impose également aux autres la progression politique et sociale de ces forces non républicaines!
Bref, début 2012, la laïcité va mal. Elle va mal, non parce que la droite dure et l’extrême droite seraient devenus ses meilleurs défenseurs et qu’il faudrait la leur reprendre, elle va mal parce que beaucoup plongent allègrement dans un précipice sous prétexte que certains prétendent qu’ils trouveront la laïcité au fond du trou. Il faut sortir par le haut de cette impasse. Et c’est pourquoi la proposition de François Hollande, dans la mesure où elle constitue une proposition sérieuse et non un leurre, apparait extrêmement pertinente.
Elle permet, en effet, cette sortie par le haut. Elle permet de penser «global», et non pas seulement «islam», quand on dit «laïcité». Certes, la loi de 1905 a été élaborée et votée dans un contexte précis et elle vise à répondre aux problèmes cruciaux qui se posaient alors. Mais, précisément, la France se trouvait également dans une impasse, et même au bord d’une guerre civile politico-religieuse. Certains congréganistes avaient déjà pris le maquis. Plus généralement, les échauffourées étaient fréquentes, la troupe devait intervenir, avec parfois des refus de militaires, traduits alors devant le Conseil de guerre.
Entre la Librairie antisémite (sic) qui publiait des libelles contre Combes et les partisans de la «laïcité intégrale» qui qualifiaient la religion (au mieux) de «maladie» et estimaient qu’elle n’avait aucun droit à la liberté, toute conciliation paraissait totalement impossible. Or, la loi du 9 décembre 1905, et les lois complémentaires, adoptées de janvier 1907 au printemps 1908, ont su sortir par le haut d’une telle impasse, qui valait largement la nôtre. Il a été trouvé une solution laïque qui a rétabli la paix civile et complètement changé la donne. En 1908, le pays est pacifié. La religion n’a plus le pouvoir de domination d’antan; en revanche elle a acquis une précieuse liberté. Les polémiques et les tensions qui existent ne dépassent plus ce qui est légitime (enrichissant même) dans une société démocratique.
Pour cela, il a fallu, à travers tout un travail successif en Commission puis au Parlement, par d’enrichissants débats, et tout un jeu d’amendements adoptés ou refusés, trouver des solutions qui, dépassant le contexte très conflictuel, comportent des éléments à valeur universelle. Par certains côtés, on peut comparer la loi de 1905 à la Déclaration des droits de 1789. Enracinés dans des contextes très particuliers, ces textes ont su élaborer des principes qui permettent d’aborder des situations très diverses, et imprévues. Il ne s’agit pas de Tables de la Loi tombées du ciel (même si la Déclaration de 1789 a été représentée ainsi!), il ne s’agit pas de textes intemporels et à tout jamais indépassables. Mais, force est de constater que la Déclaration de 1789, qui approchera bientôt les 250 ans, actualisée par le Préambule de la Constitution de 1946 et de 1958, figure dans la Constitution, et qu’il peut très bien en être de même de la loi de 1905. Alerte centenaire, celle-ci n’est pas inadéquate pour une société dont la diversité s’est accentuée.
C’est ce que je me propose de montrer dans de prochaines Notes, prenant au sérieux la proposition du candidat socialiste et explorant ce qu’elle implique. Je commencerai en répondant à la question que m’a posée jean_paul_yves_le_goff, dans son Blog, concernant ce qui figure dans la loi de séparation à propos de l’espace public. Et je continuerai en donnant les points principaux où, actuellement, certains font dire au texte de la loi ce que contenaient des amendements, qui ont été précisément refusés par les législateurs !
Mais il faut tout de suite préciser que si on reconnaît à cette loi de 1905 une valeur telle que sa constitutionnalisation est souhaitable, il ne faut pas tout de suite ajouter qu’on ne va jamais l’appliquer en Alsace-Moselle. Bien sûr, il ne s’agit pas de changer les choses dans ces trois départements sans maturation et dialogue avec les populations concernées (dont les avis sont peut-être plus diversifiés qu’on le prétend). Bien sûr, mettre progressivement fin au Concordat (ce qui avait déjà été envisagé en 1956) et au régime des «cultes reconnus» n’est pas simple. Mais, refuser à l’avance tout processus de changement disqualifierait le sérieux de la proposition. Et ce serait une faute politique, puisqu’on retournerait dans l’ornière actuelle et que la dégradation que l’on constate depuis un plus d’un an continuerait et risquerait même de s’accélérer par l’impasse d’une proposition qui n’aurait été qu’un trompe-l’œil.
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