Plutôt que d’attaquer bille en tête les instituts de sondage, imperméables aux critiques, Jean-Luc Mélenchon a opté pour une stratégie inédite : mettre en cause le « gendarme » du secteur, la Commission des sondages, censée faire respecter la loi de 1977 qui encadre la diffusion d’enquêtes d’opinion électorales. Mercredi 25 janvier, le conseil d’Etat a ainsi examiné pour la première fois de son histoire un recours contre une décision de la commission, accusée d’inertie par le leader du Front de gauche, voire de complaisance. « Comment contrôler des multinationales de l’opinion avec deux salariés à plein temps, des bureaux de 32 m2 et 15.000 euros de budget annuel ?», raille l’avocate de Jean-Luc Mélenchon.
Le sondage dans Le Parisien |
Le sondage qui a déclenché les hostilités : uneenquête en ligne d’Harris interactive parue dans Le Parisien en septembre 2011, qui plaçait le candidat à 3 % des intentions de vote au premier tour de la présidentielle face à François Hollande.
A l’époque, Jean-Luc Mélenchon avait déposé une double réclamation sur le bureau de l’autorité administrative indépendante : fort de la loi de 1977 qui autorise les citoyens à consulter auprès de la commission une « notice » méthodologique pour chaque sondage publié, il avait demandé en particulier communication de la technique de « redressement » employée par Harris interactive (les instituts corrigent en effet leurs résultats bruts en fonction de critères « maison ») ; par ailleurs, il avait enjoint à la commission de sévir contre Le Parisien et Harris interactive, accusés d’avoir violé plusieurs dispositions de la loi de 1977.
A l’arrivée, un double refus de la commission, formulé par courrier le 22 septembre. Laxisme ? Complaisance ?
La commission n’a rien à se reprocher, a estimé le rapporteur public du conseil d’Etat : à l’audience, mercredi, il a balayé l’essentiel des griefs formulés par le Front de gauche à l’égard de l’institution, et conclu au rejet de la requête de Jean-Luc Mélenchon – la décision finale tombera dans quelques semaines.
Au passage, il a toutefois tancé Le Parisien, affirmant que « le sondage litigieux a été publié dans des conditions irrégulières »(« N’y figure pas le droit de toute personne à consulter la notice du sondage auprès de la commission ») ; il a aussi infligé une leçon de droit à Harris interactive, qui avait fourni à la commission une notice « comportant d’importantes lacunes » : « Soulignons qu’on n’y trouvait ni le texte intégral des questions posées (aux sondés), ni la proportion des personnes n’ayant pas répondu à chacune des questions, ni les limites d’interprétation des résultats. »
Pourquoi, dès lors, ne pas sanctionner l'absence de réaction de la commission ? « Il ne nous paraît pas aberrant qu'elle réserve l’usage de ses pouvoirs » à des cas plus graves, a estimé en substance le rapporteur. Pour l'avocate de Jean-Luc Mélenchon, MeRaquel Garrido (également porte-parole internationale du Parti de gauche), « les conclusions du rapporteur sont un rappel à l'ordre pour les sondeurs et les médias, même si le conseil d'Etat rejette notre requête contre la commission ».
Sollicité par Mediapart, Jean-Daniel Lévy, le directeur du département Politique d'Harris interactive, n’a pas souhaité réagir :« Il ne serait pas sain de répondre dans l’immédiat, alors que le conseil d’Etat n’a pas rendu sa décision définitive, déclare Jean-Daniel Lévy. Même après, je ne suis pas sûr qu’il faille commenter le travail de la justice... » Harris interactive n’avait pas non plus jugé utile de rédiger un mémoire, en amont de l’audience, pour éclairer le conseil d’Etat.
« Couverts par le secret industriel »
En tout cas, si le conseil d’Etat suit les conclusions du rapporteur, le Front de gauche aura perdu la bataille clef de la transparence : la commission sera confortée définitivement dans son refus de communiquer les méthodes de redressement employées par les instituts. C'est pourtant un sujet régulier de controverse puisqu’un redressement pouvait faire passer Jean-Marie Le Pen d’un score brut de 8 % dans les réponses des sondés, à un score de 16 % dans la version publiée.
Dans sa réclamation initiale devant la commission, Jean-Luc Mélenchon rappelait pourtant que la loi de 1977 oblige les instituts à détailler notamment, dans la notice consultable sur demande à la commission, « la méthode utilisée pour déduire les résultats de caractère indirect qui seraient publiés ». En clair : les critères utilisés par les sondeurs pour « redresser » (par exemple le souvenir qu'ont les sondés de leurs votes antérieurs).
« La transparence est particulièrement nécessaire sur le redressement, parce que c'est l'opération où l'objectivité est susceptible d'être le plus menacée », plaide l’avocate de Jean-Luc Mélenchon (dont le « redressement » est souvent opéré en tenant compte du score de Marie-George Buffet à la présidentielle de 2007, alors que le Front de gauche rassemble au-delà des communistes).
Dans son mémoire à destination du conseil d’Etat, la commission des sondages a cependant défendu une lecture bien plus restrictive de la loi de 1977 : selon elle, la notice consultable doit simplement indiquer aux citoyens « si l’institut a procédé ou non au redressement des résultats bruts recueillis lors de l’enquête de terrain ». Mais en aucune façon détailler les critères de redressement, qu’elle considère « couverts par le secret industriel ». Pas question de livrer les recettes de fabrication d’Harris interactive, ni de n’importe quel sondeur.
Sur ce point, le rapporteur du conseil d’Etat a donné raison mercredi à la commission, sans hésiter : « La technique de redressement des résultats bruts est l’une des principales composantes du savoir-faire de l’institut », couvert par « le secret industriel et commercial », a-t-il confirmé.
Les petites opérations des sondeurs ne sont pourtant pas irréprochables, loin de là, puisqu’il arrive à la commission d’infliger une « mise au point » aux instituts pour des redressements jugés folkloriques – par exemple à CSA en septembre dernier, après une enquête vendue à BFM TV, RMC et 20 minutes. « Les résultats de ce sondage sont dépourvus de caractère significatif », avait jugéla commission, sans toutefois rendre publics ses griefs. Même quand ils sont indéfendables, les redressements ne sont pas rendus publics ! La seule sanction pour les médias concernés ? L’obligation de diffuser la mise au point – huit lignes, en tout. Si la commission a le pouvoir de saisir la justice, jamais elle n’a provoqué la condamnation d’un institut ou d’un journal…
Pour maintenir cette opacité, les sondeurs ont effectué un lobbying intense l’an passé, afin que l’Assemblée nationale enterre une proposition de loi adoptée à l’unanimité par le Sénat, qui imposait la transparence sur les méthodes de redressement. Le texte visait aussi à renforcer l’expertise et les pouvoirs de la commission, jugée par les auteurs « trop timide », « souffrant d’un déficit de légitimité »et « insuffisamment efficace ». Votée en février 2011 au Palais du Luxembourg, la proposition de loi n'a plus aucune chance d'être inscrite à l’ordre du jour des députés d'ici la fin de la législature.
Pourquoi, dès lors, ne pas sanctionner l'absence de réaction de la commission ? « Il ne nous paraît pas aberrant qu'elle réserve l’usage de ses pouvoirs » à des cas plus graves, a estimé en substance le rapporteur. Pour l'avocate de Jean-Luc Mélenchon, MeRaquel Garrido (également porte-parole internationale du Parti de gauche), « les conclusions du rapporteur sont un rappel à l'ordre pour les sondeurs et les médias, même si le conseil d'Etat rejette notre requête contre la commission ».
Sollicité par Mediapart, Jean-Daniel Lévy, le directeur du département Politique d'Harris interactive, n’a pas souhaité réagir :« Il ne serait pas sain de répondre dans l’immédiat, alors que le conseil d’Etat n’a pas rendu sa décision définitive, déclare Jean-Daniel Lévy. Même après, je ne suis pas sûr qu’il faille commenter le travail de la justice... » Harris interactive n’avait pas non plus jugé utile de rédiger un mémoire, en amont de l’audience, pour éclairer le conseil d’Etat.
« Couverts par le secret industriel »
En tout cas, si le conseil d’Etat suit les conclusions du rapporteur, le Front de gauche aura perdu la bataille clef de la transparence : la commission sera confortée définitivement dans son refus de communiquer les méthodes de redressement employées par les instituts. C'est pourtant un sujet régulier de controverse puisqu’un redressement pouvait faire passer Jean-Marie Le Pen d’un score brut de 8 % dans les réponses des sondés, à un score de 16 % dans la version publiée.
Dans sa réclamation initiale devant la commission, Jean-Luc Mélenchon rappelait pourtant que la loi de 1977 oblige les instituts à détailler notamment, dans la notice consultable sur demande à la commission, « la méthode utilisée pour déduire les résultats de caractère indirect qui seraient publiés ». En clair : les critères utilisés par les sondeurs pour « redresser » (par exemple le souvenir qu'ont les sondés de leurs votes antérieurs).
« La transparence est particulièrement nécessaire sur le redressement, parce que c'est l'opération où l'objectivité est susceptible d'être le plus menacée », plaide l’avocate de Jean-Luc Mélenchon (dont le « redressement » est souvent opéré en tenant compte du score de Marie-George Buffet à la présidentielle de 2007, alors que le Front de gauche rassemble au-delà des communistes).
Dans son mémoire à destination du conseil d’Etat, la commission des sondages a cependant défendu une lecture bien plus restrictive de la loi de 1977 : selon elle, la notice consultable doit simplement indiquer aux citoyens « si l’institut a procédé ou non au redressement des résultats bruts recueillis lors de l’enquête de terrain ». Mais en aucune façon détailler les critères de redressement, qu’elle considère « couverts par le secret industriel ». Pas question de livrer les recettes de fabrication d’Harris interactive, ni de n’importe quel sondeur.
Sur ce point, le rapporteur du conseil d’Etat a donné raison mercredi à la commission, sans hésiter : « La technique de redressement des résultats bruts est l’une des principales composantes du savoir-faire de l’institut », couvert par « le secret industriel et commercial », a-t-il confirmé.
Les petites opérations des sondeurs ne sont pourtant pas irréprochables, loin de là, puisqu’il arrive à la commission d’infliger une « mise au point » aux instituts pour des redressements jugés folkloriques – par exemple à CSA en septembre dernier, après une enquête vendue à BFM TV, RMC et 20 minutes. « Les résultats de ce sondage sont dépourvus de caractère significatif », avait jugéla commission, sans toutefois rendre publics ses griefs. Même quand ils sont indéfendables, les redressements ne sont pas rendus publics ! La seule sanction pour les médias concernés ? L’obligation de diffuser la mise au point – huit lignes, en tout. Si la commission a le pouvoir de saisir la justice, jamais elle n’a provoqué la condamnation d’un institut ou d’un journal…
Pour maintenir cette opacité, les sondeurs ont effectué un lobbying intense l’an passé, afin que l’Assemblée nationale enterre une proposition de loi adoptée à l’unanimité par le Sénat, qui imposait la transparence sur les méthodes de redressement. Le texte visait aussi à renforcer l’expertise et les pouvoirs de la commission, jugée par les auteurs « trop timide », « souffrant d’un déficit de légitimité »et « insuffisamment efficace ». Votée en février 2011 au Palais du Luxembourg, la proposition de loi n'a plus aucune chance d'être inscrite à l’ordre du jour des députés d'ici la fin de la législature.
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