samedi 15 septembre 2012

Des gendarmes varois racontent les pratiques illégales contre les Roms




Des Roms, souvent mineurs, interpellés, puis, à l'issue de leur vérification d'identité ou garde à vue, transportés dans un véhicule de gendarmerie et relâchés, parfois dépouillés de leurs chaussures, à des dizaines de kilomètres de leur lieu d'interpellation. Selon plusieurs gendarmes du Var, ces pratiques illégales auraient eu cours au moins en 2010 et 2011 dans leur brigade, à Brignoles, qui compte une vingtaine de fonctionnaires.

Deux gendarmes brignolais, rencontrés par Mediapart, affirment, sous couvert d'anonymat, avoir été témoins ou avoir participé à ces « raccompagnements » de Roms de nationalité étrangère en 2010 et 2011. En plus de ce qui s'apparente à des séquestrations arbitraires avec vol de chaussures, ils évoquent également des interpellations et des prises d'empreintes digitales en dehors de tout cadre légal, ainsi que des violences légères. D'après ces deux gradés, ces dérives seraient connues par leur hiérarchie directe et remonteraient à plusieurs années.

Selon nos informations, certaines de ces pratiques ont été également confirmées par plusieurs autres gendarmes de la brigade de Brignoles. À la suite de notre appel le 13 septembre, le colonel Choutet, qui a pris le commandement du groupement de gendarmerie du Var début septembre, nous a répondu vendredi soir que les premières vérifications menées « ne permettent pas d'accréditer la moindre dénonciation ».

Le premier gendarme, F., affirme avoir été témoin de ces faits pour la première fois à l'été 2011. Selon son récit, plusieurs« Roumains » avaient été interpellés par les gendarmes de Brignoles, après un vol dans une grande surface. « J'ai vu un collègue faire une clé de bras inutile à un jeune Roumain, puis le gifler alors qu'il était menotté dans le véhicule », explique F. À l'issue de leur garde à vue, tous auraient été déférés, sauf un qui« n'avait pas été vu sur les caméras de vidéosurveillance ».

« Nous l'avons relâché, affirme le gendarme. Deux gradés m'ont dit : “C'est bon, on s'en occupe”. Comme je ne comprenais pas, ils m'ont dit : “On le prend dans le fourgon et on le met plus loin”. Le lendemain, j'ai retrouvé des chaussures dans le couloir devant les cellules. Un des gradés m'a dit qu'ils lui avaient enlevé ses chaussures et chaussettes. J'ai protesté qu'il s'agissait techniquement d'une séquestration, mais on m'a répondu que c'était habituel. »

Le même jour, appelé pour une agression à Brignoles, F. affirme voir retrouvé le Roumain « raccompagné » la veille, par terre et sans chaussures. « Il était entouré de jeunes qui nous ont expliqué qu'il avait déclaré avoir été victime d'une agression par quatre personnes, poursuit F. Je ne pouvais pas faire de procédure, mais j'en ai rendu compte à mon supérieur. »

J. se souvient avoir, en 2010, déposé un Roumain « en limite de circonscription au Luc », à une vingtaine de kilomètres de Brignoles, à l'issue d'une garde à vue. « Le deuxième Roumain en garde à vue, c'est un autre collègue qui s'en était chargé », dit-il. À l'automne 2011, il aurait également vu un collègue « faire transférer un mineur roumain, en fin de garde à vue ».

« Il a été “pris en charge” par l'unité et transféré dans un Trafic à Saint-Maximin (une brigade voisine d'une vingtaine de kilomètres), qui l'a ensuite envoyé dans le 13 (les Bouches-du-Rhône) », raconte-t-il. Un gendarme lui aurait ensuite reproché de ne pas avoir fait de même avec le mineur dont il avait suivi la garde à vue. « Il m'a dit “Non mais tu te rends compte, tu le relâches dans Brignoles, il va voler une voiture” », relate J.


« Des prises d'empreintes illégales »


D'après J., ces pratiques seraient habituelles dans la brigade,« fortement impactée par la proximité des campements de Roumains de Marseille ». « Il ne faut pas se voiler la face, les Roumains viennent très souvent sur Brignoles pour cambrioler, remarque F. Les évacuer, ça permet d'éviter une augmentation de la délinquance sur le secteur, mais au niveau national ça n'a aucun sens. »

Selon J., la procédure habituelle consisterait à contrôler et ramener les Roms signalés à l'unité, qu'une infraction ou tentative d'infraction puisse leur être imputée ou non. « Systématiquement, ils sont contrôlés, même s'il n'y a pas forcément de cadre légal, car il n' y a pas d'infraction, reconnaît J. On les contrôle sous l'étiquette “gens de l'Est”, c'est un moyen détourné de prévenir les vols. Ce sont souvent les riverains de lotissement qui nous préviennent (de leur présence). »

Pour rappel, même s'il laisse un large pouvoir discrétionnaire aux forces de l'ordre, le code de procédure pénal prévoit tout de même certaines conditions pour les contrôles d'identité. Les policiers ou gendarmes doivent avoir « une ou plusieurs raisons plausibles »de soupçonner, du fait de son comportement, qu’une personne a commis, tenté, ou se prépare à commettre une infraction, pour pouvoir la contrôler.

J. poursuit : « Donc, on les ramène à l'unité pour vérifier leur identité, s'ils ont des papiers, on les passe au FPR (fichier des personnes recherchées). Mais souvent, ils n'en ont pas, car ils sont débarqués sur le terrain sans papiers. » Qui dit vérification d'identité (les forces de l'ordre peuvent retenir une personne 4 heures au poste pour vérifier son identité), dit normalement procédure.

J. secoue la tête : « Je doute qu'à chaque fois, il y ait une procédure de contrôle et de vérification d'identité. Systématiquement aussi, on prend les empreintes (digitales) et les photos, là encore en dehors du cadre légal. » Seules les personnes mises en cause dans une procédure pénale ou condamnées à une peine privative de liberté sont censées être inscrites dans le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED). Selon le gendarme, « les empreintes ne peuvent pas rejoindre la base nationale (FAED), donc ça n'a aucun intérêt », à moins de « constituer notre petit fichier perso, ce qui n'est pas le cas ».

J. affirme également être au courant de « l'exploitation de puces de téléphones », ainsi que de la pause d'une « balise par la brigade de recherche sur un véhicule pour remonter jusqu'au camp, voir d'où ils venaient, et où ils allaient ». Là encore, si ces faits sont vérifiés, en dehors de tout cadre légal... Selon un autre gendarme, les téléphones portables de deux mineures roumaines en garde à vue auraient également été écrasés.

Aux fins de vérification d'identité ou de garde à vue, lorsque le parquet a demandé une remise en liberté, « on les met ailleurs, chez le voisin », conclut J. Pour lui, ces pratiques sont un « aveu d'impuissance » des pouvoirs publics face aux vols commis par des ressortissants roumains. « Par période, on peut avoir trois ou quatre cambriolages par jour, explique-t-il. Mais c'est très difficile de les interpeller sur le fait et la justice répond de façon aléatoire, car ce sont souvent des mineurs qui vont ressortir avec une simple convocation. Les gendarmes sont assez démunis face à cette communauté. »


« Rien de fondé »


Selon les deux gendarmes qui pointent un problème de « management », leur hiérarchie directe (le commandant de la brigade, muté début août 2012, ainsi que celui de la compagnie, qui avait pris ses fonctions en septembre 2010 et qui est toujours en poste) connaît ces pratiques. « J'ai alerté (oralement) le commandant de brigade en 2011, ainsi que le commandant de compagnie de violences envers les Roms à deux reprises, mais ils n'en n'ont pas tenu compte, assure F. On m'a dit au sein de la brigade que ces pratiques étaient habituelles et que quand un autre gendarme avait cherché à s'opposer au transfert d'un Roumain, la seule réaction du commandant de compagnie avait été d'engueuler son collègue car il n'avait pas amené le Roumain assez loin. »

« Pour moi, ce sont des faits d'arrestation illégale, de séquestration et de violences, explique F. Ce sont des pratiques datant d'il y a vingt ans. Il faut que les gendarmes prennent conscience de leur gravité. »

Contactée le 13 septembre, la région de gendarmerie Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont dépend la brigade de Brignoles, nous a alors répondu que des vérifications seraient menées. « Les personnels qui font partie de l'encadrement, ainsi que plusieurs gradés de la brigade, ont réfuté les faits reprochés », nous a expliqué vendredi 14 septembre le colonel Choutet, qui avait dans l'après-midi pris officiellement le commandement du groupement de gendarmerie du Var.

Ce dernier estime également que la création début 2011, au sein de la brigade de Brignoles, d'une cellule d'analyse des cambriolages, « en recrudescence », ainsi que la mise en place, début 2012, par le procureur de Draguignan d'un groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) visant spécifiquement « la problématique des mineurs roumains », rendaient improbables de tels agissements.

« Depuis début 2011, le parquet a délivré 53 réquisitions sur la seule brigade de Brignoles, et 120 sur l'ensemble de la compagnie (pour lutter contre les cambriolages où sont mis en cause des mineurs roumains), donc les gendarmes avaient les moyens juridiques pour bien travailler, indique-t-il. De plus, ils étaient sous contrôle étroit et les procédures examinées par les magistrats n'ont jamais mis en évidence un problème de mauvais traitement. »

Il ajoute enfin qu'une équipe de journalistes de Direct 8 a travaillé en immersion dans la compagnie de janvier à mars 2012 (soit après les faits dénoncés) sans qu'aucune dérive soit jamais évoquée concernant le traitement des Roms (le documentaire en question, intitulé « Cambriolage, cagoule et et cocaïne » et réalisé pour la nouvelle émission Au cœur de l'enquête, est visible ici). « S'il y avait eu un malaise, à un moment donné ce serait sorti », estime le colonel Choutet.

Il se dit surtout très surpris par la démarche des gendarmes et n'exclut pas une « manœuvre de déstabilisation ». « S'ils avaient un tel problème avec leur conscience, pourquoi n'ont-ils pas fait de compte-rendu circonstancié à leur hiérarchie ?, s'étonne-t-il.Pourquoi n'ont-ils pas saisi les autorités judiciaires ? »

Une enquête de commandement (enquête administrative interne) pourrait être ouverte en début de semaine prochaine. Le cabinet du ministre de l'intérieur, également joint le 13 septembre, s'est montré très prudent, en attendant d'avoir pu vérifier plus avant les assertions de ces gendarmes. « Au premier abord, il n'y a rien de fondé », a cependant indiqué jeudi l'attachée de presse du cabinet.

Le commandant de la compagnie de Brignoles n'était pour sa part pas joignable ce 14 septembre. Quant aux associations qui suivent les populations Roms dans la région, contactées ce vendredi, elles n'avaient pas eu écho de ces pratiques.

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