mercredi 12 septembre 2012

Du néolibéralisme en démocratie châtelaine : la roture est sur les rotules.



Je suis actuellement à vingt mille lieues de l'Hexagone, mais l'effluve nauséabond des fabricants de l'opinion m'a piqué le nez. Il m'a fallu cracher mes glaires sur ce billet afin d'éviter de gober cet ignoble parfum qu'on nous vend pour pas cher.

1. Quand au château, un roi chasse l'autre...

Un jour où le muguet se mit à fleurir, un serviteur du royaume bancaire fit irruption dans l'escalier qui mène au donjon du château. Affublé d'une toge rose pâle avec un macaron "Parti Socialiste" sur le torse, il s'en alla afficher de bonnes intentions à la Cour, desseins qu'il ne respecterait évidemment pas. Comme la province avait été vendue par les rois précédents à de lointains royaumes nommés Goldman Sachs et Troïka (FMI, BCE, Commission Européenne), il dit un jour à sa roture que le "changement c'est maintenant". Beau label commercial, il n'y eût pas mieux comme arme de poing pour faire un bon marketing politique que de se faire passer pour le messie, l'homme bienveillant de la situation qui fera mieux que tout le monde. Il poussa même l'affabulation jusqu'à affirmer que pour une fois, un rendez-vous aux urnes serait bénéfique pour le destin du "Tiers-Etat". C'était cacher l'idée que de leur pauvre destin, une meute de charognards en feraient un abondant festin.

Car ce que les rois nomment "élections" n'est qu'un plébiscite pour protéger la tyrannie de l'argent plutôt que de s'occuper des peuples.

Puis d'autres vassaux au chevet du roi, anoblis en tant que journalistes, experts ou intellectuels, profitèrent de cette mascarade électorale pour faire du crime économique un prosélytisme obscène. Une foule de gens, ouvriers et employés de base se cassaient les reins à la tâche pour grossir la rente de la Cour, ou bien ils coulaient une "misère tranquille" à cause d'un chômage volontairement tenu élevé. D'un côté des douves, on se gave, on ripaille, on se gausse et de l'autre, un grand nombre pourrissent, jetés en pâture par les fabricants de misère.

C'était la coutume désormais au royaume : on affamait les gens non-nobles sous couvert d'une fausse crise, une rupture des stocks d'écus au trésor alors qu'il n'y avait jamais eu autant d'argent qu'auparavant. Vociférant dans les micros du château que la croissance des patates devait être au cœur des priorités, le bon roi gentilhomme qui ne faisait de mal à personne dans le meilleur des mondes, répétait la messe économique aux esclaves modernes : "Produisez plus de patates et l'Europe ira mieux si l'on maîtrise les dépenses publiques (si l'on n'augmente pas vos salaires, si on laisse crever les pauvres), si vous appliquez les réformes d'austérité préconisées (par mes prophètes de la Troïka)". Le Pouvoir cherchant à trouver du soutien et à se renforcer, il s'évertuait à se faire passer pour une victime d'une situation incontrôlable, en tant que candide solidaire du "bas peuple" affamé. Et comme les communicants de la province matraquaient à l'écran que la liberté s'acquière par l'esclavage, la plupart des roturiers finirent par se penser libres et libres de choisir leurs propres seigneurs. Ils étaient surtout libres de se taire, dociles, enhardis à la tâche et fiers de consommer, de mourir à crédit. Bienvenue au Temps de la monarchie absolue repeinte, une société néo-féodale uniformisée où les gens se sentent évoluer librement là où les hiérarchies sociales restent et demeureront toujours figées.

2. Mais pourquoi élire des rois s'ils sont nos ennemis ?


La réponse est simple : pour que vive ce putain de système monétaire criminel. Petit saut dans le passé :

Tout le monde se souvient qu'il fut un temps, nos ancêtres de la populace avaient tenté de faire une révolution pour en finir avec la monarchie absolue de droit divin. Mais une bande de bourgeois venus de la capitale vinrent pour usurper l'insurrection du peuple, couper la tête du roi et imposer un nouveau régime tout en gardant la même idéologie totalitaire du profit et du commerce. Les élites de 1789 prirent conscience que leur modèle monarchique ne put durer plus longtemps car le peuple avait eu l'outrecuidance d'ouvrir les yeux et avait su inverser le rapport de force entre les forces sociales de l'époque. Alors ces élites eurent une fabuleuse idée : quoi de mieux que de profiter d'un putsch populaire ? Ils ressortirent les écrits des intellectuels aristocratiques qui avaient théorisé sur la propriété privée, la liberté individuelle, la loi de la jungle dans un monde de brutes. Les théocrates du libéralisme politique avaient écrit pour la survie de leur rang social, l'aristocratie, on les appela les philosophes "Lumières"...Il y eût bien des progrès à leur reconnaître, tels l'effort de rationalisation des choses, le primat de la raison sur l’obscurantisme et la religion chrétienne, la nécessité d'en finir avec la monarchie absolue, etc. Mais écartée fut l'idée qu'un jour le peuple puisse être souverain. Car au château, la roture a toujours été assimilée à un troupeau de moutons déroutés, impulsifs et stupides, incapables de gouverner une nation. A tort, bien entendu car la population sait mieux que quiconque ce qui est bien pour elle.

Alors la nouvelle classe dominante inventa une nouvelle doxa, créa un système où les dominés réclameraient eux-mêmes leur soumission, qu'ils nommèrent "démocratie représentative". Un nouveau livre d'or fut rédigé et imposé, rempli de lois et de règlements que le peuple n'avait pas le droit de voter. Il ne put seulement voter lors des élections à partir de 1871. Le Tiers-Etat, vu comme dangereux était considéré comme trop stupide pour créer la loi. Raison peu convaincante, la vérité est que le vote fut décidé car il permettait de faire taire des ardeurs des faubourgs et la vindicte populaire. Le coup d'Etat des bourgeois de 1789 parlait de liberté, de vote et de souveraineté populaire lorsqu'ils pensaient fructifier, exploiter, et profiter sans efforts du labeur d'autrui. C'était une fabuleuse invention : avant, le roi décidait par décret royal si oui ou non une entreprise pouvait prospérer et profiter. Bien souvent, le dogme chrétien interdisait même l'usure, le fait de produire de l'argent avec de l'argent. En coupant la tête du roi, les marchands et les banquiers avaient cartes et mains libres pour modeler la loi comme bon leur semblait, le tout en trompant tout un peuple qui pensait avoir révolutionné la société et trouvé la liberté. Ils dépossédaient une fois de plus les gens de leurs droits et de leur argent, pour la sécurité du peuple, bien entendu...

La nouvelle religion du Capital prêchée par les journalistes, les banquiers et les dirigeants d'entreprises parvenait à convertir de plus en plus de fidèles grâce à une messe bien tenue. Et pour tenir cette messe, une salle fut bâtie dans chaque forteresse avec tables, craies et tableaux dans laquelle les seigneurs entassaient les petits enfants de la campagne. Cette salle eu vocation à formater les petits cerveaux à l'idéologie de l'entreprise pour qu'ils se sentent évoluer dans un gigantesque marché à la conjoncture précaire. La puissance du système ne reposait plus que sur une chose : la peur de l'avenir, la méfiance des autres, la trouille de se briser ses œillères.

Le problème qui fâcha le Capital, c'est que plus le temps passait, moins les gens du royaume eurent peur. En libéralisant l'action de l'Etat pour augmenter la liberté des échanges, les élites ont aussi augmenté la force d'action des dominés, qu'on appelait désormais prolétaires. Nombre de petits écuyers, vassaux et autres serviteurs se mirent à faire de la désobéissance civile leur leitmotiv, mot d'ordre principal de résistance. Quelle ignominie ! Quelle félonie ! Ils se mirent à faire grève, à demander plus de droits, à résister contre l'arbitraire en avançant dans la rue les poings serrés vers le haut avec des banderoles rouges et noires. Des choses assez inhabituelles sortirent du bas-fond des mines et des ruelles, comme syndicats, partis politiques ouvriers, barricades, envies de résistance, d'insurrection populaire et de rébellion contre des classes possédantes, contre tous représentants du pouvoir. On entendit même des intellectuels et des travailleurs parler d'autogestion, d'anarchisme, de société libertaire affranchie de toute autorité et des hiérarchies horizontales.

A travers les siècles, ces idéaux libertaires et socialistes furent d'abord réprimés : les seigneurs du monde se mirent à vendre plus d'armes afin de contenir les pulsions populaires, par peur de perdre le poker mais aussi par cupidité. Les chevaliers armés jusqu'aux dents prêts à bondir et décervelés, autrement nommés "CRS", furent déployés dans les bidonvilles à chaque mouvement trop brusque de la classe moyenne. Comme les lois de la république seigneuriale étaient désormais rédigées par la noblesse de l'Empire capitaliste, le vote n'avait absolument aucune influence sur le pouvoir, mais servait juste d'écran de fumée. Que l'on dessine des fleurs de lys, des roses ou du bleu sur les drapeaux n'avaient aucune importance aux yeux des maîtres du monde, puisque de toute façon, les hommes d'affaires affublés en gouvernants républicains mettaient leur château fort à vendre.

Pire, les charognards élus à la tête des institutions politiques durent à présent se justifier auprès des marchands du Temple pour valider leur politique. Tout gouvernement dût demander une permission préalable aux rentiers avant de décréter une loi. Des multinationales de la finance s'arrogèrent le droit de décider quel fief fut bien géré ou non. Quel fief pourrait faire un emprunt à un autre fief ou non. Chaque individu ne fut pas un humain, mais un client dont ses écus lui seront dépossédés sur un énorme marché. Avec toujours pour toile de fond la fameuse croissance, il fallut, même avec une rose sur le torse, que chaque individu soit un mini-chef d'entreprise.

Car pour les exploiteurs des deux hémisphères, la croissance (des dividendes nets d'imposition) dépend des travailleurs. Mais dans les fêtes mondaines à la Cour, on affiche des idées de solidarité on déplore les inégalités en oubliant la question de la répartition intelligente des patates produites en une année. Chaque loi, chaque gouvernement n'eût pas pour rôle de protéger le peuple, mais de protéger la loi, la propriété privée, l'argent et l'idéologie dominante. En quelques années de gangrène néolibérale, les nouveaux rois parvinrent à bâtir un véritable Empire totalitaire à l'intérieur même des seigneuries républicaines et démocratiques. De sorte que chaque politique publique ne finisse par être le reflet d'un lobbying privé permanent pour le compte des marchands de tapis qui arnaquent leurs clients dans la basse-cour.

3. Au nom du progrès, ils s'engraissent et on régresse...


Au nom du progrès, la nouvelle société postmédiévale uniformisait les Êtres dans le même moule afin de contenir les dissidences. Puis les rois ouvrirent la herse d'entrée du château, par foi en l'idéologie des privatisations, soit disant pour être plus libres. Mais une meute de fauves actionnaires s'installa dans les douves pour assiéger le château. Ces pauvres cupides promirent une myriade de billevesées pour s'installer dans la basse-cour, promesses comme quoi un Nouvel Ordre Mondial, la dérèglementation des échanges, supprimeraient la pauvreté, l'inflation et le chômage.

C'est ainsi qu'une terrifiante armée de cols blancs armés de chiffons agités et de titres de transactions, nommés General Motors, Unilever, Monsanto, Coca-Cola, Mc Donald’s, Nestlé, Total ou bien encore Veolia, Areva, etc. (ils étaient nombreux) purent ainsi rentrer librement dans l'édifice. Ils exploitèrent désormais les terres du domaine, et rapatriaient les capitaux dans des paradis fiscaux. Des fonds de pension étrangers mirent les gens sur la paille et des seigneuries telles que Goldman Sachs, S&P's ou autres mécréants des fonds d'investissements spéculèrent sur le Trésor du roi, ses créances, et déclarèrent la forteresse insolvable. En trente ans de siège, les ponctions dans les caisses du Trésor amenèrent la famine. La pagaille était semée, les pauvres se firent la guerre entre eux, se trompèrent d'ennemis en refusant de voir que le tourment provenait du cheval de Troie. Le seigneur se fit passer pour une victime d'une situation incontrôlable alors qu'il avait lui-même brisé toutes les protections de l'édifice.

En réalité, au nom du progrès encore, toute la populace avait été spoliée et pillée depuis des dizaines de siècles. Car le progrès n'avait de sens que s'il profitait aux puissants et tout le reste du commun des mortels était enrôlé de force dans une sorte de camp de concentration planétaire. Les maîtres du monde avaient réussi à imposer une société pathologique où les seules valeurs reconnues comme vertus étaient le travail et l'argent. Nul travaux pour faire avancer la société, aider les gens, nuls travaux pour l’art ni pour la création. Tout pour le pognon, il faut vendre et revendre à bons prix. Ce schéma menait l'individu à courir de manière névrotique après la monnaie sans qu'elle ne lui appartienne, car vouée à être consommée et transférée sur les comptes bancaires des mêmes prédateurs financiers. Cette frénésie poussa l'Humanité dans une grande régression que l'Histoire et ses livres scolaires appelaient progrès. La vérité devait être détournée pour que les héritiers du passé croient aux mythes fondateurs de la démocratie châtelaine et aux bienfaits du marché libéré de toutes ses contraintes. Ainsi pour anecdote, l'on retint au royaume un fameux slogan "jouir sans entraves", issu de 1968, des petits étudiants bourgeois de gauche devenus vingt ans plus tard des bons petits patrons ou managers au tournant crucial du néolibéralisme.

4. François Hollande, roi socialiste ?

Il fut plus aisé d'usurper la vérité une fois que le peuple asservi eût consenti à sa soumission et qu'il soit drogué au dollar pour libérer ses pulsions consuméristes. Médias, technologies, gadgets superflus, publicités, gavage à outrance des ventres avec de l'agroalimentaire OGM, la société du spectacle atteignait son paroxysme. Le Pouvoir et sa foi pour le Dieu Capital purent alors matraquer la roture avec d'innombrables informations caduques, apeurer les esprits pour épurer l'esprit critique. Mais la foule désordonnée des âmes apeurées put s'arrêter d'obéir à tout moment, et les puissants de cet Empire si fragile savaient bien que si les téléviseurs s'éteignaient un jour, leur domination tomberait comme un château de cartes. Mais tant que vivait l'effroyable sinistrose dans la tête des gens, alors l'Empire des marchands se portait bien.

Aujourd'hui, le roi François Hollande et ses intendants dans d'autres provinces acceptent de se soumettre à la finance et au comme de vulgaires filles de joie. Ils se sentent obligés de rendre des comptes parce que le Pouvoir français a de longue date agi de connivence devant les prédateurs capitalistes des institutions financières internationales. La nouvelle présidence pourrait décréter que la dette publique est illégitime et qu'elle doit être répudiée pour grande partie. L'Etat aurait la pleine légitimité pour nationaliser les banques, pour l'intérêt général. Mais la réalité est toute autre, les classes exploitées et classes moyennes restent en bas de l'escalier lorsque les seigneurs du château reçoivent les émoluments et dividendes gouleyants des prédateurs qui ont assiégé la forteresse. Tout le monde est content, sauf le peuple évidemment.

Combien d'années encore, brave peuple roturier, croiras-tu toujours au changement par les urnes? Et quand prendras-tu les pavés dans ta main gauche ? Quand reprendras-tu, brave peuple roturier, les armes de l'intelligence et quand lanceras-tu l'insurrection contre le Capital, l'autorité du pouvoir, la propriété et l'ordre au lieu de se tromper d'ennemi et d'injecter de la peste rose, brune ou bleue marine dans les urnes ?

Samuel Moleaud

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire