Deux scandales emblématiques du quinquennat Sarkozy, des affaires qui ont révélé l’une et l’autre un impensable mélange des genres entre intérêts privés et bien public, sont actuellement traités à un rythme d’escargot asthmatique par la justice, et rien n’indique que cela changera.
La première, l’affaire des terrains forestiers et de l’hippodrome de Compiègne (Oise), cédés dans des conditions plus que douteuses par le ministre du budget Éric Woerth en 2010, fait l’objet d’une double enquête depuis janvier 2011. Une information judiciaire, confiée depuis lors aux juges d’instruction du pôle financier de Paris, René Grouman et Roger Le Loire, n’a donné lieu jusqu’ici à aucune mise en examen, et à bien peu d’actes d’instruction. Les juges ne seraient pas passionnés par ce dossier, et sont pris par d'autres tâches.
Eric et Florence Woerth |
Quant au volet ministériel du dossier, instruit par la Cour de justice de la République (CJR, la seule juridiction habilitée à poursuivre et à juger les ministres pour des délits commis dans l’exercice de leurs fonctions), il a débouché sur l’audition, le 4 mai 2011, d’Éric Woerth en tant que témoin assisté. Un statut hybride, qui indique qu’il existe des indices contre l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy (par ailleurs mis en examen dans l’affaire Bettencourt), mais que les juges se réservent encore la possibilité de choisir entre une mise en examen ou un non-lieu.
Cette situation ne laisse pas d’étonner les spécialistes du dossier. D’abord parce que l’acte de saisine de la CJR, rédigé en novembre 2010 par l’ancien procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, était extrêmement sévère avec Éric Woerth.
Par la suite, en janvier 2012, trois experts ont remis à la CJR un rapport en tout point accablant, qui établit que les parcelles et l’hippodrome ont été bradés (comme l’a révélé Mediapart). Contre toute attente la remise de cette expertise n'a pas encore débouché sur une mise en examen d'Éric Woerth, qui apparaît pourtant inéluctable à ces mêmes spécialistes.
D’autre part, les liens entre Éric Woerth, député-maire (UMP) de Chantilly (Oise), et son influent voisin Philippe Marini, sénateur-maire (UMP) de Compiègne, ainsi qu’avec le directeur de la société des courses locales, Antoine Gilibert, ainsi que plus généralement avec France Galop et les milieux hippiques, n’ont pas été explorés de façon approfondie par les juges Grouman et Le Loire, selon des sources proches du dossier.
En marge de cette affaire, Jérôme Cahuzac, le successeur d’Éric Woerth au ministère du budget, a créé la surprise voire la stupéfaction en commandant une consultation à un professeur de droit de ses relations, qui a conclu que la vente était licite. Un point de vue opposé à celui du rapport sénatorial de Nicole Bricq, et à celui des élus de l’Oise qui ont saisi la justice. Faute de voir l’État engager une annulation de la cession de l’hippodrome, c’est finalement un petit syndicat de fonctionnaires de l’Office national des forêts (ONF), le Snesup, qui s’en est chargé, et a saisi récemment le tribunal administratif.
Cette situation ne laisse pas d’étonner les spécialistes du dossier. D’abord parce que l’acte de saisine de la CJR, rédigé en novembre 2010 par l’ancien procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, était extrêmement sévère avec Éric Woerth.
Par la suite, en janvier 2012, trois experts ont remis à la CJR un rapport en tout point accablant, qui établit que les parcelles et l’hippodrome ont été bradés (comme l’a révélé Mediapart). Contre toute attente la remise de cette expertise n'a pas encore débouché sur une mise en examen d'Éric Woerth, qui apparaît pourtant inéluctable à ces mêmes spécialistes.
D’autre part, les liens entre Éric Woerth, député-maire (UMP) de Chantilly (Oise), et son influent voisin Philippe Marini, sénateur-maire (UMP) de Compiègne, ainsi qu’avec le directeur de la société des courses locales, Antoine Gilibert, ainsi que plus généralement avec France Galop et les milieux hippiques, n’ont pas été explorés de façon approfondie par les juges Grouman et Le Loire, selon des sources proches du dossier.
En marge de cette affaire, Jérôme Cahuzac, le successeur d’Éric Woerth au ministère du budget, a créé la surprise voire la stupéfaction en commandant une consultation à un professeur de droit de ses relations, qui a conclu que la vente était licite. Un point de vue opposé à celui du rapport sénatorial de Nicole Bricq, et à celui des élus de l’Oise qui ont saisi la justice. Faute de voir l’État engager une annulation de la cession de l’hippodrome, c’est finalement un petit syndicat de fonctionnaires de l’Office national des forêts (ONF), le Snesup, qui s’en est chargé, et a saisi récemment le tribunal administratif.
Christine Lagarde toujours pas convoquée
L’autre affaire d’État qui ne se règle toujours pas est encore plus importante, d'un point de vue financier. Il s’agit de l’arbitrage très controversé, initié par la ministre de l’économie Christine Lagarde, qui avait, en 2008, permis à Bernard Tapie d’encaisser 403 millions d’euros, dont 45 millions de préjudice moral, dans l’affaire Crédit lyonnais/Adidas.
Bernard Tapie |
Après avoir temporisé, la Cour de justice de la République a ouvert une instruction le 4 août 2011. Mais elle n’a procédé qu’à de maigres investigations depuis lors, et Christine Lagarde n’a toujours pas été entendue, ni même convoquée par la CJR.
Jusqu’ici, Stéphane Richard, son ancien directeur de cabinet, a été interrogé en décembre 2011. En revanche, les trois juges du sulfureux tribunal arbitral désigné pour l'affaire Crédit lyonnais/Adidas (Jean-Denis Bredin, Pierre Mazeaud et Pierre Estoup) n’ont toujours pas été convoqués par la CJR, selon des sources proches du dossier.
Autre anomalie : une enquête préliminaire a été ouverte voilà plus d’un an par le parquet de Paris, sur le volet non ministériel de l’affaire Lagarde/Tapie, mais elle n’a toujours pas débouché sur la saisine d’un juge d’instruction. Sollicités par Mediapart, les services du procureur de Paris, François Molins, font savoir qu’une décision sera prise prochainement dans ce dossier.
Parallèlement, la Commission de discipline budgétaire et financière (CDBF) procède, depuis mai 2011, à des auditions minutieuses des deux hauts fonctionnaires impliqués dans la décision de recourir à l’arbitrage, qui risquent d’être déclarés responsables sur leurs biens propres. Il s'agit de Jean-François Rocchi, l'ancien président du Consortium de réalisation (CDR), et Bernard Scemama, l'ancien président de l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR). La CDBF pourrait rendre sa décision à la fin de l'année.
Ni célérité, ni sévérité
L’État, là non plus, ne semble pas pressé de revenir sur une décision pourtant coûteuse et certainement entachée d'illégalité. À Bercy, en tout cas, rien n'est entrepris, à ce stade, pour revenir sur cet arbitrage et chercher à récupérer le magot miraculeusement attribué à Bernard Tapie. Bercy attend-il une décision de la CJR ? Cela risque d'être long.
La grande lenteur de la CJR est diversement interprétée dans les milieux judiciaires et politiques. D’abord, plusieurs changements de postes ont eu lieu ces derniers mois au sein de la juridiction, et peuvent expliquer quelques retards. Ainsi, Yves Charpenel, l’avocat général qui avait été nommé par Jean-Louis Nadal pour représenter le procureur général de la Cour de cassation à la CJR, a été promu par Jean-Claude Marin, le successeur de Jean-Louis Nadal, que l'on dit d'une prudence de Sioux dans ces deux affaires.
Le remplaçant d'Yves Charpenel, Christian Raysséguier, vient à peine de prendre ses fonctions. Quant au président de la commission d’instruction de la CJR, Michel Arnould, il a lui aussi été nommé récemment, après le départ en retraite de Daniel Farge.
Jean-Claude Marin |
Mais selon des spécialistes, tout se passe – en fait – comme si les magistrats de la CJR avaient sciemment engagé une course de lenteur sur les dossiers Woerth et Lagarde. D’abord par prudence, la commission d’instruction préférant s'abriter derrière des réquisitions du parquet général – qui ne viennent pas –, avant de procéder à d'éventuelles mises en examen qui seraient nécessairement retentissantes.
Autre explication complémentaire avancée par un homme du sérail : la CJR fait peut-être traîner les dossiers pour justifier son existence le plus longtemps possible. Le candidat François Hollande avait en effet annoncé la suppression de la CJR pendant la campagne présidentielle, avant de confier, une fois élu, le sort de cette juridiction d'exception à la sagacité de la commission Jospin.
Il reste à savoir si l’extrême prudence, voire l’inertie apparente, de cette juridiction déjà très critiquée pour son manque de célérité et son absence de sévérité, ne risque pas de lui attirer encore plus de détracteurs. Ce, alors que la France est régulièrement pointée du doigt par les experts internationaux pour les faibles moyens qu’elle accorde à la lutte contre la délinquance économique et financière, et que la crise n'incite pas forcément l'opinion à faire preuve de mansuétude vis-à-vis de la fraude en col blanc.
Autre explication complémentaire avancée par un homme du sérail : la CJR fait peut-être traîner les dossiers pour justifier son existence le plus longtemps possible. Le candidat François Hollande avait en effet annoncé la suppression de la CJR pendant la campagne présidentielle, avant de confier, une fois élu, le sort de cette juridiction d'exception à la sagacité de la commission Jospin.
Il reste à savoir si l’extrême prudence, voire l’inertie apparente, de cette juridiction déjà très critiquée pour son manque de célérité et son absence de sévérité, ne risque pas de lui attirer encore plus de détracteurs. Ce, alors que la France est régulièrement pointée du doigt par les experts internationaux pour les faibles moyens qu’elle accorde à la lutte contre la délinquance économique et financière, et que la crise n'incite pas forcément l'opinion à faire preuve de mansuétude vis-à-vis de la fraude en col blanc.
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