mercredi 28 septembre 2011

La conquête coloniale de l’Algérie par les Français


Le coup d’éventail du dey d’Alger a servi de prétexte à la conquête coloniale de l’Algérie. Voyons avec ce texte de Robert Louzon disponible aux éditions Acratie et sur le site noir du colonialisme, ce qui a suivi.


Voir aussi l’article : Le 24 janvier 1845 en Algérie : « Je brûlerai vos villages et vos moissons » (Bugeaud)
Ainsi que la loi scandaleuse de falsification du 23 février 2005.


Quarante années de massacres



Donc, le 14 juin 1830, les trou­pes fran­çai­ses débar­què­rent à Sidi Ferruch, plage de sable située à une ving­taine de kilo­mè­tres d’Alger, et quel­ques jours après, Alger atta­qué à revers, tom­bait ; le 5 juillet, le dey capi­tu­lait. Le « coup d’éventail » était donc « vengé » ; le blé que le dey avait fourni à la France n’aurait plus à lui être payé, ni les for­ti­fi­ca­tions de la Calle à être démo­lies.

Il res­tait à conqué­rir l’Algérie.

Cela allait deman­der qua­rante ans, près d’un demi siècle.



De 1830 à 1871, sous cinq régi­mes dif­fé­rents, depuis la res­tau­ra­tion jusqu’à la Troisième République, en pas­sant par Louis-Philippe, la République et l’Empire, la bour­geoi­sie fran­çaise va pour­sui­vre la conquête de ce ter­ri­toire à peine peuplé de cinq mil­lions d’habi­tants.

Quarante ans de com­bats, de meur­tres et de pilla­ges, qua­rante ans pen­dant les­quels, à chaque moment, telle région qu’on avait hier « paci­fiée » se sou­le­vait à nou­veau et devait être « paci­fiée » à nou­veau, à coup de « razzia » et de mas­sa­cres. Quarante ans pour cinq mil­lions d’habi­tants ! Quarante ans de guerre entre, d’un côté, un peuple dépourvu de toute orga­ni­sa­tion maté­rielle moderne, et, de l’autre côté, l’armée fran­çaise, alors, sans conteste, la pre­mière armée d’Europe, l’armée qui était, hier, celle de Napoléon et qui sera encore celle de Sébastopol et de Magenta.

La conquête de l’Algérie ne s’est pas effec­tuée, comme on pour­rait le croire, pro­gres­si­ve­ment du Nord au Sud, par tran­ches suc­ces­si­ves par­tant du lit­to­ral et finis­sant aux confins saha­riens. Tout au contraire, les régions méri­dio­na­les, Hauts-Plateaux et zone saha­rienne, on été plus faci­le­ment conqui­ses et les pre­miè­res « paci­fiées » ; c’est la région la plus proche du lit­to­ral, le Tell, cet ensem­ble mon­ta­gneux qui sépare la mer des Hauts-Plateaux, qui a offert le plus de résis­tance et n’a été occupé, réel­le­ment qu’en der­nier lieu.

Le centre de la pre­mière grande résis­tance à laquelle se heurte la conquête fran­çaise, celle que va per­son­ni­fier pen­dant onze ans le mara­bout Abd el Kader, c’est le Tell du centre et de l’ouest. Les villes d’Abd-el-Kader, Mascara, Boghar, etc., sont en plein Atlas tel­lien, et le der­nier massif d’où Abd el Kader conduira ses der­niè­res gran­des luttes sera celui de l’Ouarsenis, qui com­mence à 50 kilo­mè­tres de la mer. Après la chute d’Abd el Kader, le der­nier bas­tion de la résis­tance sera la Kabylie, Tell de l’est. La grande Kabylie, qui borde la mer, et qui est à moins de cent kilo­mè­tres d’Alger, ne sera occu­pée pour la pre­mière fois en 1857, et défi­ni­ti­ve­ment qu’après 71, alors que les oasis de biskra et de Laghouat, en bor­dure du Sahara, à 400 kilo­mè­tres de la mer, seront conqui­ses, la pre­mière dès 1844, et la seconde défi­ni­ti­ve­ment, en 1852.

La raison en est que les Hauts-Plateaux, le Sahara, et même , l’Atlas saha­rien, vieille mon­ta­gne qui n’est plus guère cons­ti­tuée que de légè­res ondu­la­tions cou­pées de larges cou­loirs, ne sont que des plai­nes. Le Tell, au contraire, c’est la mon­ta­gne. La plaine, assez peu peu­plée d’ailleurs, et peu­plée pres­que exclu­si­ve­ment d’Arabes plus ou moins noma­des, n’a pas pu résis­ter ; c’est la mon­ta­gne qui a résisté, la mon­ta­gne qui, en Algérie, est plus peu­plée que la plaine, peu­plée de pay­sans culti­va­teurs, la plu­part de langue ber­bère. Cela est conforme à la règle de tou­jours et de par­tout : c’est tou­jours la mon­ta­gne qui résiste au conqué­rant ; la mon­ta­gne est par­tout le der­nier asile de l’indé­pen­dance. Ce massif kabyle qui résista le der­nier à la conquête fran­çaise, est celui qui avait aussi le mieux résisté à la conquête arabe, puis­que si il a accepté la reli­gion de l’Islam, il a gardé sa langue et son Droit.



Ce que fut cette guerre ? Une guerre atroce qui n’eut de la guerre que le nom, j’entend de la véri­ta­ble guerre, celle que jus­ti­fie Proudhon dans La Guerre et la Paix, c’est-à-dire un combat loyal entre adver­sai­res de force équivalente. Ce ne fut pas une guerre, ce fut une « expé­di­tion colo­niale », une expé­di­tion colo­niale de qua­rante années. Une expé­di­tion colo­niale ça ne se raconte pas, et on n’ose la décrire ; on laisse MM. les assas­sins la décrire eux-mêmes.« La flamme à la main ! »

Saint-Arnaud, qui devait finir maré­chal de France, fit, jusqu’au 2 décem­bre », à peu près toute sa car­rière en Algérie. Il y était arrivé lieu­te­nant en 1837 ; il en partit géné­ral de divi­sion en 1851 ; durant ces quinze années il ne cessa d’être en colonne, tantôt à l’ouest, tantôt à l’est ; pen­dant tout ce temps il écrivit régu­liè­re­ment à son frère, le tenant pres­que jour par jour au cou­rant de ses faits et gestes. Ces let­tres ont été publiées. Nous en don­nons ci-des­sous des extraits, sans autre com­men­taire que l’indi­ca­tion de la date et du lieu .

( On trou­vera les let­tres dont sont extrai­tes ces cita­tions dans Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome I, pages 141, 313, 325, 379,381, 390, 392, 1472, 474, 549, 556, tome II, pages 83, 331, 340.)

« Le pillage exercé d’abord par les sol­dats, s’étendit ensuite aux offi­ciers, et quand on évacua Constantine, il s’est trouvé comme tou­jours, que la part la plus riche et la plus abon­dante était échouée à la tète de l’armée et aux offi­ciers de l’état-major. » (Prise de Constantine, octo­bre 1837.)

« Nous res­te­rons jusqu’à la fin de juin à nous battre dans la pro­vince d’Oran, et à y ruiner toutes les villes, toutes les pos­ses­sions de l’émir. Partout, il trou­vera l’armée fran­çaise, la flamme à la main. » (Mai 1841.)

« Mascara, ainsi que je l’ai déjà dit, a dû être une ville belle et impor­tante. Brulée en partie et sac­ca­gée par le mare­chal Clauzel en 1855. »

« Nous sommes dans le centre des mon­ta­gnes entre Miliana et Cherchell. Nous tirons peu de coup de fusil, nous brû­lons tous les douars, tous les vil­la­ges, toutes les cahu­tes. L’ennemi fuit par­tout en emme­nant ses trou­peaux » (avril 1842)

« Le pays des Beni-Menasser est superbe et l’un des plus riches que j’ai vu en Afrique. Les vil­la­ges et les habi­tants sont très rap­pro­chés. Nous avons tout brûlé, tout détruit. Oh la guerre, la guerre ! Que de femmes et d’enfants, réfu­giés dans les neiges de l’Atlas, y sont morts de froid et de misère !... Il n’y a pas dans l’armée cinq tués et qua­rante bles­sés. » (Région de Cherchell, avril 1842)

« Deux belles armées... se don­nant la main fra­ter­nel­le­ment au milieu de l’Afrique, l’une partie de Mostaganem le 14, l’autre de Blidah le 22 mai, rasant, brû­lant, chas­sant tout devant elles. » (mai 1842 ; de Mostaganem à Blidah il y a 250 kilo­mè­tres.)

« On ravage, on brûle, on pille, on détruit les mai­sons et les arbres. Des com­bats : peu ou pas. » ( Région de Miliana, juin 1842)

« ... Entouré d’ un hori­zon de flam­mes et de fumées qui me rap­pel­lent un petit Palatinat en minia­ture, je pense à vous tous et je t’écris. Tu m’a laissé chez les Brazes, je les ai brûlés et dévas­tés. Me voici chez les Sindgad, même répé­ti­tion en grand, c’est un vrai gre­nier d’abon­dance... Quelques-uns sont venus pour m’amener le cheval de sou­mis­sion. Je l’ai refusé parce que je vou­lais une sou­mis­sion géné­rale, et j’ai com­mencé à brûler. » (Ouarsenis, Octobre 1842)

« Le len­de­main 4, je des­cen­dais à Haimda, je brû­lais tout sur mon pas­sage et détrui­sais ce beau vil­lage...Il était deux heures, le gou­ver­neur (Bugeaud) était parti. Les feux qui brû­laient encore dans la mon­ta­gne, m’indi­quaient la marche de la colonne. » (Région de Miliana, février 1843.)

« Des tas de cada­vres pres­sés les uns contre les autres et morts gelés pen­dant la nuit ! C’était la mal­heu­reuse popu­la­tion des Beni-Naâsseur, c’étaient ceux dont je brû­lais les vil­la­ges, les gour­bis et que je chas­sais devant moi. » (Région de Miliana, février 1843.)

« Les beaux oran­gers que mon van­da­lisme va abat­tre !... je brûle aujourd’hui les pro­prié­tés et les vil­la­ges de Ben-Salem et de Bel-Cassem-ou-Kassi. » (Région de Bougie, 2 octo­bre 1844.)

« J’ai brûlé plus de dix vil­la­ges magni­fi­ques. » (Kabylie, 28 octo­bre 1844.)

« II y avait encore des grou­pes nom­breux d’enne­mis sur les pitons, j’espé­rais un second combat. Ils ne sont pas des­cen­dus et j’ai com­mencé à couper de beaux ver­gers et à brûler de super­bes vil­la­ges sous les yeux de l’ennemi. » (Dahra, mars 1846.)

« J’ai laissé sur mon pas­sage un vaste incen­die. Tous les vil­la­ges, envi­ron deux cents, ont été brûlés, tous les jar­dins sac­ca­gés, les oli­viers coupés. » (Petite Kabylie, mai 1851.)

« Nous leur avons fait bien du mal, brûlé plus de cent mai­sons cou­ver­tes en tuile, coupé plus de mille oli­viers. » (Petite Kabylie, juin 1851.)

Tel est le témoi­gnage de Saint-Arnaud. Témoignage déci­sif, mais qui est loin d’être unique. Tous les offi­ciers d’Afrique, qui ont écrit ce qu’ils ont vu, disent la même chose.



La vente des femmes et le massacre des enfants

Officier d’Afrique non moins typi­que que Saint-Arnaud, ce colo­nel Pein, issu du rang qui resta vingt-trois ans en Algérie (de 1840 à 1863), et qui occupa les loi­sirs de sa retraite à com­po­ser un petit ouvrage sur l’Afrique. A la dif­fé­rence de Saint-Arnaud, ce fut sur­tout dans le Sud qu’il eut à opérer.

Voici com­ment il décrit la prise de Laghouat, à laquelle il assista (2 décem­bre 1852.) :

« Le car­nage fut affreux ; les habi­ta­tions, les tentes des étrangers dres­sées sur les places, les rues, les cours furent jon­chées de cada­vres. Une sta­tis­ti­que faite à tête repo­sée et d’après les meilleurs ren­sei­gne­ments, après la prise, cons­tate le chif­fre de 2 300 hommes, femmes ou enfants tués ; mais le chif­fre de bles­sés fut insi­gni­fiant, cela se conçoit. Les sol­dats, furieux d’être canar­dés par une lucarne, une porte entre­bâillée, un trou de la ter­rasse, se ruaient dans l’inté­rieur et y lar­daient impi­toya­ble­ment tout ce qui s’y trou­vait ; vous com­pre­nez que, dans le désor­dre, sou­vent dans l’ombre, ils ne s’attar­daient pas à établir de dis­tinc­tion d’âge ni de sexe : ils frap­paient par­tout et sans crier gare ! » ( Pein, Lettres fami­liè­res sur l’Algérie, 2e édit, p. 393)

C’est tel­le­ment l’habi­tude de mas­sa­crer femmes et enfants qu’une fois que le colo­nel Pein ne put le faire, il éprouva le besoin de s’en excu­ser dans une lettre :

« Les Ouled Saad avaient aban­donné femmes et enfants dans les buis­sons, j’aurais pu en faire un mas­sa­cre, mais nous n’étions pas assez nom­breux pour nous amuser aux baga­tel­les de la porte : il fal­lait garder une posi­tion avan­ta­geuse et décro­cher ceux qui tiraient sur nous. »

(Pein. Lettres fami­liè­res sur l’Algérie, 2e édit., p. 26.)

Ainsi, si les femmes et les enfants des Ouled Saad n’ont pas été « mas­sa­crés », c’est uni­que­ment pour raison stra­té­gi­que ! Si on avait été plus nom­breux, toutes et tous y auraient passé, on se serait « amusé aux baga­tel­les de la porte ! »

Certains géné­raux cepen­dant pré­fé­raient qu’on ne mas­sa­cre pas les femmes, mais qu’on s’en empare... et qu’on les ven­dent. Telle était la méthode pré­fé­rée de Lamoricière. Dans les let­tres qu’il écrivait à sa famille, l’un des subor­don­nés de Lamoricière, le colo­nel de Montagnac, décrit ainsi le sys­tème

( De Montagnac, Lettres d’un soldat, p. 141,142,195,203,311, 225. )

« Vive Lamoricière ! Voilà ce qui s’appelle mener la chasse avec intel­li­gence et bon­heur !... Ce jeune géné­ral qu’aucune dif­fi­culté n’arrête, qui fran­chit les espa­ces en un rien de temps, va déni­cher les Arabes dans leurs repai­res, à vingt-cinq lieues à la ronde, leur prend tout ce qu’ils pos­sè­dent : femmes, enfants, trou­peaux, bes­tiaux, etc. » (1er février 1841).

Dans la région de Mascara, le 17 jan­vier 1842 :

« Nous pour­sui­vons l’ennemi, nous lui enle­vons femmes, enfants, bes­tiaux, blé, orge, etc. »

Le 11 février 1842 :

« Pendant que nous rasons de ce côté, le géné­ral Bedeau, autre per­ru­quier de pre­mière qua­lité, châtie une tribu des bords du Chélif... leurs enlève force femmes, enfants et bes­tiaux... »

Plus tard, étant cette fois en Petite-Kabylie, de Montagnac appli­quera à nou­veau le sys­tème Lamoricière :

« Nous nous sommes établis au centre du pays...brû­lant, tuant, sac­ca­geant tout... Quelques tribus pour­tant résis­tent encore, mais nous les tra­quons de tous côtés, pour leur pren­dre leurs femmes, leurs enfants, leurs bes­tiaux. » (2 mai 1843).

Pourquoi pre­nait-on ces femmes ? Qu’en fai­sait-on ?

« Vous me deman­dez, dans un para­gra­phe de votre lettre, ce que nous fai­sons des femmes que nous pre­nons. On en garde quel­ques-unes comme otages, les autres sont échangées contre des che­vaux, et le reste est vendu à l’enchère comme bêtes de somme. » (Lettre datée de Mascara, 31 mars 1842.)« Apportez des têtes, des têtes ! Bouchez les conduits crevés avec la tête du pre­mier Bédouin que vous ren­contre­rez. »

(Harangue citée par le baron Pichon : Alger sous la domi­na­tion fran­çaise, p.109.)

Voici main­te­nant que le témoi­gnage d’un qua­trième offi­cier de l’armée d’Afrique, parti en Algérie, tout frais émoulu de Saint-Cyr, le comte d’Hérisson ; bien que très patriote, celui-ci, à la dif­fé­rence des pré­cé­dents, semble avoir été quel­que peu écœuré par ce qu’il vit ; son témoi­gnage est iden­ti­que.

Voici com­ment il décrit une colonne à laquelle il par­ti­cipa : (D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 133 et sui­van­tes.)

« II est vrai que nous rap­por­tons un plein baril d’oreilles récol­tées paires à paires sur les pri­son­niers, amis ou enne­mis. » « ... Des cruau­tés inouïes, des exé­cu­tions froi­de­ment ordon­nées, froi­de­ment exé­cu­tées à coups de fusil, à coups de sabre, sur des mal­heu­reux dont le plus grand crime était quel­que­fois de nous avoir indi­qué des silos vides. »

« Les vil­la­ges que nous avons ren­contrés, aban­don­nés par leurs habi­tants, ont été brûlés et sac­ca­gés ; ... on a coupé leurs pal­miers, leurs abri­co­tiers parce que les pro­prié­tai­res n’avaient pas eu la force néces­saire pour résis­ter à leurs émirs et lui fermer un pas­sage ouvert à tout le monde chez ces tribus noma­des. Toutes ces bar­ba­ries ont été com­mi­ses sans tirer un coup de fusil, car les popu­la­tions s’enfuyaient devant nous, chas­sant leurs trou­peaux et leurs femmes, délais­sant leurs vil­la­ges. »

Cette colonne était com­man­dée par le géné­ral Yusuf. Sur ce même géné­ral, le même auteur rap­pelle le fait sui­vant, si mili­taire (D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 349.)

« En 1857, le maré­chal Randon, que les lau­riers de Saint-Arnaud empê­chaient de dormir, monte à l’assaut de la Kabylie pour exer­cer ses 25 000 hommes et y recom­men­cer les incen­dies de ses pré­dé­ces­seurs. C’est dans cette expé­di­tion qu’on vient dire au géné­ral Yussuf : « Encore une tribu, mon géné­ral, qui en a assez et qui demande l’aman (le pardon). » - Non, répon­dit Yussuf, il y a là, sur notre gauche, ce brave colo­nel qui n’a encore rien eu. Laissons-lui cette tribu à éreinter ; cela lui fera un bul­le­tin ; on don­nera ensuite l’aman »

( Cela n’a, il est vrai, rien de spé­ci­fi­que­ment algé­rien. Voir dans « Comment j’ai nommé Foch et Pétain » com­ment Painlevé l’« huma­ni­taire » laissa se pro­duire, quinze jours durant, après le 17 avril 1917, des atta­ques ter­ri­ble­ment meur­triè­res et com­plè­te­ment inu­ti­les, à seule fin de sauver l’« amour propre » du géné­ral Nivelle.)

A cette époque, Napoléons III avait eu beau venir en Algérie assu­rer les Arabes de sa sym­pa­thie : « les oreilles indi­gè­nes valu­rent long­temps encore 10 francs la paire, et leurs femmes demeu­rè­rent, comme aux, d’ailleurs, un gibier par­fait » (D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 349.)

Si le géné­ral Yusuf fai­sait couper les oreilles, le colo­nel de Montagnac, déjà cité, qui, lui, est un Français, fils, petit-fils, arrière petit-fils de soldat, et qui devait deve­nir le « héros » de Sidi-Brahim, pré­fère la méthode qui consiste à faire couper les têtes ( De Montagnac : Lettres d’un soldat, p. 297 et 299.)

« Je lui fis couper la tête et le poi­gnet gauche (il s’agit d’un mara­bout de la pro­vince de Constantine) et j’arri­vai au camp avec sa tête piquée au bout d’une baïon­nette et son poi­gnet accro­ché à la baguette d’un fusil. On les envoya au géné­ral Baraguay d’Hilliers qui cam­pait près de là, et qui fut enchanté, comme tu le penses... »

« On ne se fait pas l’idée de l’effet que pro­duit sur les Arabes une décol­la­tion de la main des chré­tiens... Il y a déjà pas mal de temps que j’ai com­pris cela, et je t’assure qu’il ne m’en sort guère d’entre les grif­fes qui n’aient subi la douce opé­ra­tion. Qui veut la fin veut les moyens, quoiqu’en disent nos phi­lan­thro­pes. Tous les bons mili­tai­res que j’ai l’hon­neur de com­man­der sont pré­ve­nus par moi-même que s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils rece­vront une volée de coups de plat de sabre... Quant à l’opé­ra­tion de la décol­la­tion, cela se passe coram populo. »


Le massacre par « erreur »

« Frappez, frap­pez tou­jours ! Dieu reconnaî­tra les siens ! » Vieux pré­cepte que les repré­sen­tants de la bour­geoi­sie fran­çaise en Algérie ne man­què­rent pas d’appli­quer. L’impor­tant était de tuer ; qu’on tue amis ou enne­mis, inno­cents ou cou­pa­bles, cela n’avait guère d’impor­tance. Péra a déjà raconté aux lec­teurs de la Révolution pro­lé­ta­rienne ( R.P. du 1er mars 1928 : L’insur­rec­tion algé­rienne de 1871.) com­ment, en 1871, un déta­che­ment fran­çais ren­contrant un groupe d’indi­gène, s’en empara et mit tout le monde à mort sans autre forme de procès, sur la simple sup­po­si­tion que ces indi­gè­nes avaient par­ti­cipé à l’affaire de Palestre, ce qui fut reconnu entiè­re­ment faux, dès qu’on eut fait le moin­dre brin d’enquête.

Voici deux autres faits du même ordre, mais d’une enver­gure plus grande encore, et dont la res­pon­sa­bi­lité remonte beau­coup plus haut.

Au prin­temps de 1832, des envoyés d’une tribu du Sud avaient été dépouillés par des marau­deurs, à quel­que dis­tance d’Alger ; le fait s’était passé sur le ter­ri­toire où était campée la tribu des El-Ouffia ; alors :

« En vertu des ins­truc­tions du géné­ral en chef de Rovigo, un corps de troupe sorti d’Alger, pen­dant la nuit du 6 avril 1832, sur­prit au point du jours la tribu endor­mie sous ses tentes, et égorgea tous les mal­heu­reux El-Ouffia sans qu’un seul cher­cha même à se défen­dre. Tout ce qui vivait fut voué à la mort ; on ne fit aucune dis­tinc­tion d’âge ni de sexe. Au retour de cette hon­teuse expé­di­tion, nos cava­liers por­taient des têtes au bout des lances. » (Christian : L’Afrique fran­çaise, p. 143.)

« Tout le bétail fut vendu à l’agent consu­laire du Danemark. Le reste du butin fut exposé au marché de la porte Bab-Azoun (à Alger). On y voyait des bra­ce­lets de femme qui entou­raient encore des poi­gnets coupés, et des bou­cles d’oreilles pen­dant à des lam­beaux de chair. Le pro­duit des ventes fut par­tagé entre les égorgeurs. Dans l’ordre du jour du 8 avril, qui attei­gnit les der­niè­res limi­tes de l’infa­mie, le géné­ral en chef eut l’impu­dence de féli­ci­ter les trou­pes de l’ardeur et de l’intel­li­gence qu’elles avaient déployées. Le soir de cette jour­née à jamais néfaste, la police ordonna aux Maures d’Alger d’illu­mi­ner leurs bou­ti­ques, en signe de réjouis­sance. » ( Dieuzalde : Histoire de l’Algérie, tome I, p. 289.)

« Or, quel­ques jours après, ont sut que cette tribu n’avait été pour rien dans la mésa­ven­ture arri­vée aux envoyés du Sud, ceux-ci ayant été vic­ti­mes d’hommes appar­te­nant à la tribu toute dif­fé­rente des Krechnas. Ce qui n’empê­cha pas, bien que l’inno­cence des El-Ouffia fût déjà connue, de condam­ner à mort le cheik des El-Ouffia, qu’on avait soi­gneu­se­ment épargné lors du mas­sa­cre et de l’exé­cu­ter, ainsi qu’un autre nota­ble aussi inno­cent que lui. » ( Baron Pichon : Alger sous la domi­na­tion fran­çaise, p. 186.)

L’auteur de ces assas­si­nats, le géné­ral en chef duc de Rovigo, a main­te­nant son vil­lage, un vil­lage de colo­ni­sa­tion por­tant son nom, à quel­ques kilo­mè­tres du lieu où furent assas­si­nés les El-Ouffia ! A Bône, le futur géné­ral Yusuf, alors capi­taine, opé­rait pareille­ment. Voici ce qu’en disent les notes du baron Pichon, alors inten­dant civil de l’Algérie :

« Le 7 mai 1832, des Arabes d’une tribu inconnue vin­rent, sous les murs de la ville, s’empa­rer de quel­ques bœufs. Le capi­taine Yusuf décida que les marau­deurs appar­te­naient à la tribu des Kharejas ; le même soir il partit avec les Turcs, fut s’embus­quer de nuit dans les envi­rons, et lors­que le jour com­men­çait à paraî­tre, il mas­sa­cra femmes, enfants et vieillards. Une réflexion bien triste suivit cette vic­toire, lorsqu’on apprit que cette même tribu était la seule qui, depuis notre occu­pa­tion de Bône, appro­vi­sion­nait notre marché. » ( Christian : L’Afrique fran­çaise, pp. 148 et 149.)

« Meurtre consommé avec pré­mé­di­ta­tion sur un ennemi vaincu, sur un ennemi sans défense »

Prince de la Moskova. (Discours à la Chambre des Pairs)


Le massacre est toujours le massacre, mais certaines circonstances ajoutent encore à son horreur.
La région du Dahra, à mi-chemin entre Alger et Oran, pré­sente la par­ti­cu­la­rité de pos­sé­der, en plu­sieurs points, d’immen­ses grot­tes pou­vant conte­nir plu­sieurs cen­tai­nes de per­son­nes. De temps immé­mo­riaux, ces grot­tes ser­vaient de refuge aux tribus de la contrée, refuge qui avait tou­jours été res­pecté ;

les hommes réfu­giés là n’étaient plus à crain­dre ; de ce fait là ils s’avouaient vain­cus ; jamais tribu « bar­bare », jamais « sec­ta­teurs de Mahomet » n’avaient eut l’idée d’y mas­sa­crer. L’armée de la bour­geoi­sie fran­çaise allait rompre avec cette tra­di­tion.

En un an, sur trois points dif­fé­rents, trois colo­nels fran­çais, Cavaignac, Pélissier, Saint-Arnaud, firent périr trois tribus réfu­giées dans des grot­tes en les brû­lant et les asphyxiant vives. Trois tribus com­plè­tes : hommes, femmes, enfants.

De ces trois « enfu­ma­des », la plus connue, long­temps la seule connue, est la seconde, celle com­mise par Pélissier, parce qu’elle donna lieu à une inter­pel­la­tion du prince de la Moskowa, le fils de Ney, à la Chambre des Pairs.

Le 19 juin 1845, la tribu des Oued-Riah, chas­sée de ses vil­la­ges par l’une de ces colon­nes incen­diai­res dont nous avons vu la des­crip­tion chez Saint-Arnaud, se réfu­gie dans les grot­tes, toute la tribu, trou­peaux com­pris. La colonne com­man­dée par Pélissier l’y pour­suit et la somme de sortir. Celle-ci accepte : elle est même prête à verser comme rançon une impor­tante somme d’argent, mais elle ne veut pas, lorsqu’elle sor­tira, être mas­sa­crée ; elle pose donc une seule condi­tion : que les trou­pes fran­çai­ses se reti­rent.

Pélissier refuse. Puis, à trois heures de l’après-midi, il fait allu­mer, à chaque entrée des grot­tes, de vastes feux, qu’on ali­men­tera et atti­sera sans répit tout le res­tant de la jour­née et toute la nuit, jusqu’à une heure avant le lever du jour.

Au matin, on entre.

Un soldat a donné, dans une lettre, le récit de ce qu’il vit la nuit et le matin.

« Quelle plume sau­rait rendre ce tableau ? Voir au milieu de la nuit, à la faveur de la lune, un corps de trou­pes fran­çais occupé à entre­te­nir un feu infer­nal ! Entendre les sourds gémis­se­ments des hommes, des femmes, des enfants et des ani­maux ; le cra­que­ment des rochers cal­ci­nés s’écroulant, et les conti­nuel­les déto­na­tions des armes ! Dans cette nuit, il y eut une ter­ri­ble lutte d’hommes et d’ani­maux !

« Le matin, quand on cher­cha à déga­ger l’entrée des caver­nes, un hideux spec­ta­cle frappa des yeux les assaillants.

« J’ai visité les trois grot­tes, voici ce que j’y ai vu :

« A l’entrée, gisaient des bœufs, des ânes, des mou­tons ; leur ins­tinct les avait conduits à l’ouver­ture de la grotte pour res­pi­rer l’air qui man­quait à l’inté­rieur. Parmi ces ani­maux, et entas­sés sous eux, on trou­vait des hommes, des femmes et des enfants. J’ai vu un homme mort, le genou à terre, la main cris­pée sur la corne d’un bœuf. Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras. Cet homme, il était facile de le reconnaî­tre, avait été asphyxié, ainsi que la femme, l’enfant et le bœuf, au moment où il cher­chait à pré­ser­ver sa famille de la rage de cet animal.

« Les grot­tes sont immen­ses ; on a compté 760 cada­vres ; une soixan­taine d’indi­vi­dus seu­le­ment sont sortis, aux trois quart morts ; qua­rante n’ont pu sur­vi­vre ; dix sont à l’ambu­lance, dan­ge­reu­se­ment mala­des ; les dix der­niers, qui peu­vent se traî­ner encore, ont été mis en liberté pour retour­ner dans leurs tribus ; ils n’ont plus qu’à pleu­rer sur des ruines. » ( Christian, L’Afrique fran­çaise, p. 142.)

Crime de soudard subalterne ?

Bugeaud

Non ! Pélissier, qui en a porté jusqu’ici la res­pon­sa­bi­lité devant l’his­toire, n’a été qu’un exé­cu­tant. La res­pon­sa­bi­lité remon­tait plus haut ; elle remonte direc­te­ment au plus haut repré­sen­tant de la France en Algérie, à celui qui, pen­dant sept années, fut, au nom de « la France », le maître à peu près absolu de l’Algérie, le gou­ver­neur géné­ral Bugeaud, duc d’Isly ; celui-ci avait en effet envoyé à Pélissier l’ordre sui­vant ( Revue heb­do­ma­daire, juillet 1911, arti­cle du géné­ral Derrécagaix.)

« Orléansville, 11 juin 1845

« Si ces gre­dins se reti­rent dans leurs caver­nes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Fumez-les à outrance comme des renards.

« Duc d’Isly »

« Imitez Cavaignac » ordon­nait Bugeaud.

En effet, l’année pré­cé­dente, Cavaignac, futur gou­ver­neur géné­ral de la République en Algérie, futur empri­sonné du 2 décem­bre, avait, lui aussi, le pre­mier, enfumé « comme des renards » des Sbéhas réfu­giés dans des grot­tes, « tribu vaincu », « tribu sans défense ».

Et deux mois après Pélissier, le 12 août 1845, Saint-Arnaud à son tour, près de Ténès, trans­for­mait d’autres grot­tes en « un vaste cime­tière » ; « 500 bri­gands » y furent enter­rés. Le seul résul­tat de l’inter­pel­la­tion à la Chambre des Pairs fut que Saint-Arnaud tint, à la dif­fé­rence de Pélissier, soi­gneu­se­ment caché son exploit : « per­sonne n’est des­cendu dans les caver­nes ; per­sonne... que moi... Un rap­port confi­den­tiel a tout dit au maré­chal (Bugeaud), sim­ple­ment, sans poésie ter­ri­ble ni images. » ( Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome II, p. 37.)

Ainsi, depuis le répu­bli­cain Cavaignac, jusqu’aux futurs bona­par­tis­tes Pélissier et Saint-Arnaud, en pas­sant par le monar­chiste Bugeaud, les hommes les plus repré­sen­ta­tifs de tous les clans de la bour­geoi­sie fran­çaise ont trempé direc­te­ment dans ces actes où culmi­nent les deux carac­tè­res domi­nants de la conquête de l’Algérie : la lâcheté et la féro­cité.

Aucune des caté­go­ries de la bour­geoi­sie ne peut en reje­ter la res­pon­sa­bi­lité sur les autres. Le colo­nia­lisme étant un pro­duit spé­ci­fi­que du capi­ta­lisme, tout le capi­ta­lisme avait à se vau­trer dans ses hor­reurs.


L’Honneur kabyle

Devant cette bar­ba­rie, on se sent poussé à recher­cher quel­ques gestes qui fas­sent excep­tion, quel­ques gestes de géné­ro­sité, quel­ques gestes d’hon­neur.

On les trouve.

Mais on les trouve de l’autre côté de la bar­ri­cade ; on les trouve chez les « bar­ba­res », chez ceux qui étaient en état de légi­time défense, chez ceux qui étaient à la fois les plus fai­bles et les moins « civi­li­sés ».

Un seul acte de cruauté a pu être repro­ché à Abd el Kader, commis non pas par lui, mais par un de ses lieu­te­nants.

Le 24 avril 1846, un an à peine avant la red­di­tion d’Abd el Kader, alors que celui-ci était aux abois, qu’il n’avait plus rien à donner à manger aux pri­son­niers, ni même suf­fi­sam­ment d’hommes pour les garder, alors qu’Abd el Kader avait écrit let­tres sur let­tres pour négo­cier l’échange des pri­son­niers et qu’on ne lui avait répondu qu’en jetant en prison celui qu’il avait envoyé pour trai­ter de cet échange, et alors qu’il était per­son­nel­le­ment à plu­sieurs cen­tai­nes de kilo­mè­tres du lieu où étaient gardés les pri­son­niers, l’un des deux kha­li­fas chargé de leur garde, Mustapha ben Thamin, ne pou­vant plus nour­rir les pri­son­niers (l’autre vou­lant, au contraire, les relâ­cher), les fit tuer (Colonel Paul Azan : L’Emir Abd el Kader, p. 221 et sui­van­tes, et aussi p.295..)

C’était la répli­que aux enfu­ma­des du Dahra. Mais, jusque-là, durant quinze années pen­dant les­quel­les il s’opposa à la France, la manière dont Abd el Kader avait traité les pri­son­niers avait tou­jours été empreinte de la plus grande géné­ro­sité ; il les échangeait quand il le pou­vait ; sinon, il les libé­rait sans condi­tion le jour où il ne pou­vait plus les nour­rir. Nos sou­dards en étaient tout éberlués :

« Abd el Kader, écrit Saint-Arnaud, le 14 mai 1842, nous a ren­voyé sans condi­tion, sans échange, tous nos pri­son­niers. Il leur a dit : « Je n’ai plus de quoi vous nour­rir, je ne veux pas vous tuer, je vous ren­voie ». Le trait est beau pour un bar­bare » (Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome I, p. 385.)

Saint-Arnaud, évidemment, n’en aurait point fait autant. La « civi­li­sa­tion » bour­geoise est, par défi­ni­tion, exclu­sive de toute géné­ro­sité.

Quant à la manière dont les pri­son­niers étaient trai­tés pen­dant leur déten­tion, rien n’en témoi­gne mieux que ce trait de l’un des pri­son­niers faits à Sidi-Brahim. Celui-ci ter­mine ses mémoi­res en rap­pe­lant que lorsqu’ Abd el, quel­ques années après sa red­di­tion, vint à Paris, il offrit, lui, pen­dant trois jours, dans sa propre famille, l’hos­pi­ta­lité à trois domes­ti­ques d’Abd el, qui avaient été ses geô­liers, puis, ses fonc­tions de sur­veillant aux Tuileries l’ayant mis, quel­que temps plus tard, en pré­sence d’Abd el et de deux de ses prin­ci­paux lieu­te­nants, le kha­lifa Sidi Kadour ben Allel et l’inten­dant Kara Mohammed, ces deux hommes et leur ancien pri­son­nier se ser­rè­rent affec­tueu­se­ment les mains, car, dit Testard, « l’un et l’autre avaient été bons pour moi et j’eus du plai­sir à les revoir. » ( Hippolyte Langlois : Souvenirs d’un pri­son­nier d’Abd el Kader, p. 350.)

Combien d’Arabes pri­son­niers des Français en auraient pu dire autant ?

Mais ceux dont l’atti­tude marqua l’anti­thèse la plus frap­pante avec la manière dont la bour­geoi­sie com­prend la guerre, furent les Kabyles.

Les Kabyles sont des guer­riers. Ils sont tra­di­tion­nel­le­ment habi­tués à se battre pour l’hon­neur, non pour le butin ou la conquête. Lorsqu’un dom­mage avait été causé à un habi­tant d’un vil­lage par un habi­tant d’un autre vil­lage, on ven­geait l’hon­neur par un combat, mais combat qui ne se ter­mi­nait jamais par l’expro­pria­tion des vain­cus. De telles guer­res étaient donc aussi dif­fé­ren­tes d’une expé­di­tion colo­niale que d’un duel l’est d’un assas­si­nat.

Ces guer­res, dès lors, étaient sou­mi­ses, tout comme l’est le duel, à des règles, à un véri­ta­ble Code d’hon­neur. Ce code, les Kabyles conti­nuè­rent à l’appli­quer, même contre leurs enva­his­seurs.

C’est ainsi que lors du sou­lè­ve­ment de 1871, les Kabyles pré­vin­rent les colons avant de les atta­quer ( Rinn : L’insur­rec­tion de 1871 en Algérie, p. 203.). Et ceux des colons qui, au lieu de partir ou de résis­ter, se mirent sous la pro­tec­tion d’un kabyle, sous son « anaia », purent vivre en pleine sécu­rité durant toute l’insur­rec­tion, en plein pays insurgé.

Ce fut notam­ment le cas de 39 habi­tants de Bordj Menaïel, aux­quels le mara­bout Si Moussa ben Ahmed avait pro­posé lui-même de se mettre sous son « anaia » ; ce fut également le cas du maire de Bordj Menaïel qui alla se mettre sous la pro­tec­tion des habi­tants du douar Rouaffa ; et aussi le cas de 30 voya­geurs de la dili­gence de Dellys qui, sur le conseil de l’amine Omar Benzaman allè­rent se réfu­gier dans le cara­van­sé­rail, et sous la pro­tec­tion d’Azib Zamoun

(Rinn : L’insur­rec­tion de 1871 en Algérie, pp. 243 et 245.)

Or, ce qui est remar­qua­ble, c’est que ces Kabyles, sous la pro­tec­tion des­quels vécu­rent les Français, n’étaient nul­le­ment traî­tres à leurs com­pa­trio­tes, ni même des par­ti­sans tièdes de la cause kabyle, ils étaient au contraire au pre­mier rang des com­bat­tants, s’oppo­sant avec l’extra­or­di­naire cou­rage de leur race, à l’avance des trou­pes fran­çai­ses.

Ce qui n’empê­cha pas le gou­ver­ne­ment de la République de com­met­tre à l’égard des insur­gés kaby­les la même mons­truo­sité que celle qu’il com­met­tait, au même moment, à l’égard des insur­gés pari­siens : faire pour­sui­vre, condam­ner et exé­cu­ter les chefs de l’insur­rec­tion comme cou­pa­bles de crimes de droit commun ! Comme Ferré, Boumezrag, frère de Mokrani et suc­ces­seur de celui-ci à la tête de l’insur­rec­tion, fut condamné à mort pour pillage et assas­si­nat ! Thiers ne se conten­tait pas de tuer ; en Afrique comme à Paris, il lui fal­lait désho­no­rer.


L’expropriation

« La liberté des habi­tants de toutes les clas­ses, leur reli­gion, leurs pro­prié­tés, leur indus­trie ne rece­vront aucune atteinte... Le géné­ral en chef en prend l’enga­ge­ment sur l’hon­neur. »

Général de Bourmont (5 juillet 1830)

La bour­geoi­sie tue, mais il faut lui rendre cette jus­tice qu’elle ne tue pas pour le plai­sir ; elle tue pour que ça lui rap­porte.

Le fer de Lorraine et le coke de la Ruhr furent l’enjeu de la guerre aux mil­lions de cada­vres ; l’expro­pria­tion des indi­gè­nes, la réduc­tion des indi­gè­nes à l’état de pro­lé­tai­res, de pro­duc­teurs tra­vaillant pour la plus-value sur les terres que jusque-là ils culti­vaient libre­ment, tel est le but de toute conquête colo­niale ; tel fut le but de la conquête de l’Algérie.

« Les pro­prié­tés des habi­tants ne rece­vront aucune atteinte... » Tel était l’enga­ge­ment solen­nel qu’avait pris la France, le 5 juillet 1830, en entrant à Alger.

Voyons com­ment cette pro­messe fut res­pec­tée.


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