vendredi 30 septembre 2011

La crise économique et le fascisme en France


A la faveur de la crise économique capitaliste, la bourgeoisie et l’Etat mettent en place des dispositifs pour parer les révoltes populaires et un éventuel risque révolutionnaire. Ce contexte est propice au développement de mouvements fascistes authentiques, qui tout en se vivant et présentant comme « révolutionnaires », « anticapitalistes », « rebelles », « antisystème », servent de chien de garde à l’ordre capitaliste. Ces mouvements surfent sur les ambiguités et les faiblesses des mouvements révolutionnaires se réclamant de l’anticapitalisme. Retour sur leur stratégie et leur rôle dans la crise capitaliste.


Sommaire

Bourgeoisie, crise économique et contes­ta­tion
la fabri­ca­tion d’un ennemi inté­rieur
les cou­rants fas­cis­tes et leur uti­lité pour la bour­geoi­sie et l’Etat
Réalité de la menace fas­ciste
Quels ensei­gne­ments en tirer ?

________________________


Texte de Berckman, tiré du blog « théo­rie anar­chiste-com­mu­niste »

Bourgeoisie, crise économique et contes­ta­tion

La bour­geoi­sie a anti­cipé la crisé économique capi­ta­liste. Pour pré­ser­ver son taux de profit et conti­nuer à s’enri­chir sur notre dos, en exploi­tant notre tra­vail, elle a mis en place un cer­tain nombre de dis­po­si­tifs :

Elle a d’abord menée une poli­ti­que visant à s’appro­prier une plus grande part des riches­ses créées aux détri­ment des tra­vailleu­ses et des tra­vailleurs :

Gel des salai­res, exo­né­ra­tions de coti­sa­tions patro­na­les créant arti­fi­ciel­le­ment le trou de la sécu, et par­ral­lè­le­ment dérem­bour­se­ment, et baisse des allo­ca­tions chô­ma­ges et des pen­sions retrai­tes...

Gains de pro­duc­ti­vité obte­nus par des licen­cie­ments et l’aug­men­ta­tion des can­den­ces pour ceux qui res­tent.

Hausse des prix, et notam­ment des loyers, liée à la spé­cu­la­tion immo­bi­lière, mais aussi à des enten­tes visant à créer des situa­tions de mono­pole per­met­tant d’aug­men­ter les prix (on garde des loge­ments vides pour faire aug­men­ter les loyers, on se met d’accord entre entre­prise pour pro­po­ser des prix élevés pour les den­rées d’usage)

pri­va­ti­sa­tion mas­sive des ser­vi­ces publics, visant à condi­tion­ner l’accès à la santé, à l’ins­truc­tion, aux trans­ports, à la poste, à l’énergie... à la pos­si­bi­lité de payer, et à créer ainsi la source de nou­veaux pro­fits, en créant de nou­veaux mar­chés. Cela achève une ten­dance qui consis­tait, aupa­ra­vant, à intro­duire dans ces ser­vi­ces publics les logi­ques de ren­ta­bi­lité, et cela aggrave le carac­tère iné­ga­li­taire de ces ser­vi­ces publics qui n’ont jamais été réel­le­ment égalitaires...

Faire payer les tra­vailleu­ses et tra­vailleurs à la fois comme contri­bua­bles (TVA, impôts directs), comme sala­riés (coti­sa­tions socia­les) et comme usa­gers (fran­chi­ses, dérem­bour­se­ment, mutuel­les...) la part qu’elle était aupa­ra­vant obli­gée de payer du fait du rap­port de force de classe dans l’après guerre...

Tout cela à permis de faire passer la part des riches­ses créées appro­priées par le capi­tal de 30 % à 40 % en 30 ans... Cette ten­dance s’accroit.

Cette poli­ti­que a pour consé­quence un appau­vris­se­ment de l’ensem­ble des tra­vailleu­ses et des tra­vailleurs, et plus par­ti­cu­liè­re­ment les frac­tions les plus exploité-e-s des clas­ses popu­lai­res : pro­lé­ta­riat ouvrier et employé-e-s, et parmi celui-ci, les femmes, les tra­vailleurs immi­grés et plus par­ti­cu­liè­re­ment les tra­vailleu­ses et tra­vailleurs sans papier.

Cet appau­vris­se­ment a pro­vo­qué des révol­tes popu­lai­res, qui se sont tra­duit autant par une reprise des luttes popu­lai­res de masses et des luttes ouvriè­res (contre la casse de la sécu, des retrai­tes, contre le licen­cie­ments, contre la casse des ser­vi­ces publics, pré­ca­ri­sa­tion/CPE), mais aussi par les émeutes de 2005, et plus lar­ge­ment les émeutes suite à des exac­tions poli­ciè­res.

Ces dif­fé­rents mou­ve­ments n’ont pour l’ins­tant que très peu convergé, du fait des situa­tions très diver­ses que connais­sent les clas­ses popu­lai­res, liées aux sys­tè­mes de domi­na­tion raciste et patriar­cal, mais aussi au poids de l’idéo­lo­gie domi­nante qui entre­tient une oeuvre de divi­sion visant à sépa­rer les dif­fé­ren­tes frac­tions des clas­ses popu­lai­res afin de pré­ve­nir toute remise en cause de l’ordre capi­ta­liste et étatique, et donc de la pour­suite de l’exploi­ta­tion et de la domi­na­tion...

Cependant le CPE, en réa­li­sant sur le ter­rain de la lutte une conver­gence des dif­fé­rents sec­teurs de la jeu­nesse popu­laire, ainsi que des sec­teurs très divers du sala­riat, a résonné pour les capi­ta­lis­tes et l’Etat comme une lourde menace. En effet, si une telle conver­gence ten­dait à se déve­lop­per, un retour à l’offen­sive des exploité-e-s dans la lutte des clas­ses deve­nait pos­si­ble, car cela per­met­tait le retour d’une iden­ti­fi­ca­tion du réel anta­go­nisme social, celui qui oppose exploi­teur et exploité, c’est à dire l’anta­go­nisme de classe. En effet, sur le ter­rain de la lutte économique se réa­lise la cons­cience d’appar­te­nir à des clas­ses ayant une com­mu­nauté d’inté­rêt, car subis­sant une com­mu­nauté d’exploi­ta­tion, par oppo­si­tion à des clas­ses ayant en commun l’appro­pria­tion de la force col­lec­tive sociale, sous la forme d’une appro­pria­tion des riches­ses pro­dui­tes par le tra­vail des exploité-e-s, et d’une appro­pria­tion du pou­voir de déci­sion par les clas­ses diri­gean­tes.

Ceci repré­sen­tait la pre­mière étape pou­vant ouvrir la voie à un pro­ces­sus révo­lu­tion­naire, pou­vant remet­tre en cause l’ordre capi­ta­liste et étatique.

Au moment de la grève géné­rale en Guadeloupe, un tel risque a refait sur­face, l’expé­rience gua­de­lou­péenne ayant for­te­ment ins­piré le mou­ve­ment social en métro­pole, ren­dant cré­di­ble plus que jamais la pers­pec­tive d’une grève géné­rale.

Cette menace a été très net­te­ment perçue par une partie de la bour­geoi­sie : comme le montre, par exem­ple, les propos de Dominique de Villepin le 19 avril 2009 sur Europe 1, affir­mant qu’il « exis­tait un risque révo­lu­tion­naire en France » (Emission le grand Rendez vous, Europe 1, Le Parisien/aujourd’hui en France »).

La lutte des clas­ses dans un contexte de crise du sys­tème capi­ta­liste se fait de manière de plus en plus aigue. Pour l’ins­tant, l’avan­tage de la bour­geoi­sie repose sur plu­sieurs aspects :

Principalement un affai­blis­se­ment de la cons­cience de classe, qui rend plus dif­fi­cile toute pers­pec­tive de remise en cause du sys­tème poli­ti­que économique et social capi­ta­liste et étatique.

C’est jus­te­ment un « rebond » de cette cons­cience de classe qu’ont repré­senté les deux pério­des fin 2005/2006 (emeu­tes et CPE) et début 2009 (gua­de­loupe/ mou­ve­ment de grève privé/public asso­cié au mou­ve­ment étudiant/lycéen jusqu’en mars 2009)

L’accrois­se­ment de l’appa­reil de contrôle de l’Etat. La ten­dance au dur­cis­se­ment de l’appa­reil répres­sif, ins­pi­rée par la doc­trine de la guerre révo­lu­tion­naire, s’est accé­léré depuis 2001, : loi sur la sécu­rité quo­ti­dienne, LOPSSI 1 et 2 : la gauche comme la droite au pou­voir ont brandi la peur de l’insé­cu­rité et du ter­ro­risme pour accen­tuer les dis­po­si­tifs répres­sifs et ren­for­cer les forces de répres­sion. Plus de 400 unités de l’armée sont ainsi entrai­nées à faire face à la gué­rilla urbaine, avec la créa­tion d’un centre de for­ma­tion dédié, le Cenzub, à Sissonne, dans l’Aisne, en 2006 [1]).

Les ser­vi­ces de ren­sei­gne­ment sont fusion­nés au sein de la DCRI, alliant « ren­sei­gne­ment inté­rieur » et « exté­rieur » : C’est le retour assumé de l’asso­cia­tion entre « ennemi inté­rieur et exté­rieur » tel qu’iden­ti­fié durant la guerre d’Algérie [2].

A ces aspects s’ajoute une stra­té­gie qui s’ins­crit comme le qua­drillage poli­cier des popu­la­tions dans la doc­trine « contre-insur­rec­tion­nelle » (Doctrine de la guerre révo­lu­tion­naire), telle qu’elle a été déve­lop­pée lors des guer­res colo­nia­les :

la fabri­ca­tion d’un ennemi inté­rieur

la créa­tion d’un ennemi inté­rieur autour de plu­sieurs figu­res sté­réo­ty­pi­ques :

*

Celle du « jeune de ban­lieue », qui voit la sys­té­ma­ti­sa­tion d’un dis­cours de type raciste doublé d’un mépris de classe. L’uti­li­sa­tion du terme « ban­lieue » pour dési­gner les quar­tiers popu­lai­res (en majo­rité habité d’ouvrier-es ou employé-e en acti­vité ou au chô­mage) est éminement poli­ti­que : il vise à mas­quer la ques­tion sociale, en uti­li­sant un géo­gra­phisme qui sug­gère que les iné­ga­li­tés socia­les sont une ques­tion géo­gra­phi­que et non la pro­duc­tion du sys­tème capi­ta­liste et ce qui lui est indis­so­cia­ble, la divi­sion de la société en classe. Cela a également pour objet de divi­ser les clas­ses popu­lai­res en sub­sti­tuant à l’appar­te­nance de classe l’assi­gna­tion ter­ri­to­riale. La figure du « jeune de ban­lieue » est alors ensuite dési­gnée dans les médias bour­geois et le sys­tème raciste comme celle d’un indi­vidu racisé, essen­tia­lisé (c’est à dire réduit à des sté­réo­ty­pes, des pré­ju­gés de type raciste) c’est à dire défini comme appar­te­nant à une « race » : cela vise à sub­sti­tuer une lec­ture racia­liste -et raciste- de la société à une lec­ture en terme de classe sociale. Ceux que les médias, le gou­ver­ne­ment et les natio­na­lis­tes appel­lent des « jeunes de ban­lieues », ce sont des jeunes pro­lé­tai­res, dont une partie impor­tante est vic­time du racisme ins­ti­tu­tion­nel de l’Etat.

*Celle des musul­mans, racia­li­sés (on assi­gne à une caté­go­rie de popu­la­tion une reli­gion, que les per­son­nes assi­gnés soient ou non réel­le­ment croyant, reli­gion qu’on essen­tia­lise par ailleurs autour de ses inter­pré­ta­tions les plus réac­tion­nai­res). Cela se tra­duit par le déve­lop­pe­ment d’un dis­cours raciste spé­ci­fi­que, qui atta­que l’islam non comme reli­gion parmi d’autre, mais comme figure de « l’anti-france », « l »anti-europe« ou »l’anti-occi­dent« , dans le cadre géné­ral de la théo­rie du »choc des civi­li­sa­tions« cher à S. Huntington mais aussi aux théo­ri­ciens fran­çais de l’ethno-dif­fé­ren­cia­lisme, qu’on retrouve notam­ment dans les réseaux poli­tico-mili­tai­res actifs lors de la guerre d’Algérie. Ce qui est atta­qué, ce n’est pas la reli­gion musul­mane en temps que telle, dans son essence reli­gieuse, mais une partie de la popu­la­tion asso­ciée et assi­gnée à l’islam (un islam »ima­gi­naire« , fan­tasmé et cari­ca­turé) dans l’ima­gi­naire raciste (arabes, turcs, pakis­ta­nais, noirs, qu’ils soient effec­ti­ve­ment musul­mans ou non). L’ »isla­mo­pho­bie« est ainsi l’une des formes que prend le dis­cours raciste contem­po­rain, comme l’anti­sé­mi­tisme (qui pro­cède également par la racia­li­sa­tion d’une reli­gion, assi­gnant les indi­vi­dus à une reli­gion aux contours défor­més), en est une autre. Si l’anti­sé­mi­tisme d’Etat (la dis­cri­mi­na­tion ins­ti­tu­tion­nelle des juifs ou la prise en charge d’un dis­cours anti­sé­mite par l’Etat ou les hommes poli­ti­que) à dis­paru en France (ce qui est loin d’être le cas pour l’anti­sé­mi­tisme comme idéo­lo­gie au sein de la popu­la­tion) , il existe bien aujourd’hui un racisme d’Etat qui prend notam­ment la forme d’une isla­mo­pho­bie d’Etat, qui s’arti­cule autour de la figure du »ter­ro­riste isla­miste« et plus lar­ge­ment du »péril isla­mi­que« [3]. L’inté­rêt pour l’Etat et les pro­pa­ga­teurs d’une telle rhé­to­ri­que est mul­ti­ple : il permet de contour­ner sa propre légis­la­tion de répres­sion du racisme en entre­te­nant l’ambi­guité entre cri­ti­que d’une reli­gion, l’islam, et atta­que contre une caté­go­rie de popu­la­tion asso­ciée, assi­gnée à l’islam (l’ensem­ble des tra­vailleurs et tra­vailleu­ses non blancs rési­dant en france, dési­gné lorsqu’ils ont la natio­na­lité fran­çaise comme »fran­çais d’ori­gine« par oppo­si­tion aux »fran­çais de souche« , sous entendu »blancs« de peau), que les indi­vi­dus qui la com­po­sent se reven­di­que de cette croyance ou non : le pou­voir joue sur les sté­réo­ty­pes racia­lis­tes : »musul­man= arabe = turcs = une partie des noirs = pakis­ta­nais = jeunes de ban­lieue« . Comme en témoi­gnent les propos de Nadine Morano, dépu­tée UMP, qui lors du »débat sur l’iden­tité natio­nale« , affirme : » Moi, ce que je veux du jeune musul­man, quand il est fran­çais, c’est qu’il aime son pays, c’est qu’il trouve un tra­vail, c’est qu’il ne parle pas le verlan, qu’il ne mette pas sa cas­quette à l’envers" [4]

*Celle des sub­ver­sifs rangés dans une caté­go­rie fourre tout « anar­cho-auto­nome » et ultra­gau­che, comme en témoi­gne notam­ment les dif­fé­ren­tes vagues d’arres­ta­tion et de cri­mi­na­li­sa­tion des per­son­nes et des grou­pes que le pou­voir dési­gne par cette étiquette, qu’ils soient mili­tants révo­lu­tion­nai­res « auto­no­mes », anar­chis­tes, orga­ni­sés for­mel­le­ment ou non. Le dis­cours de Michèle Alliot Marie et sa cir­cu­laire concer­nant la « résur­gence du ter­ro­risme anar­cho-auto­nome », ainsi que le mon­tage de l’affaire de Tarnac repré­sen­tent cer­tai­nes des pièces de ce dis­po­si­tif visant à exer­cer la répres­sion de manière ciblée, afin de tracer les lignes entre la « contes­ta­tion tolé­rée » et les « formes de contes­ta­tions accep­ta­bles » d’une part, et celles qui, parce qu’elles remet­tent en cause l’ordre capi­ta­liste par le dis­cours ou la pra­ti­que, sont atta­quées et qua­li­fiées de « ter­ro­riste ». Il s’agit de signi­fier à l’ensem­ble des mou­ve­ment sociaux les limi­tes dans lequel doit s’enfer­mer la contes­ta­tion, mais aussi de réduire l’affron­te­ment social à un groupe, une cou­rant ou une « nébu­leuse » dési­gné-e, auquel on demande à la popu­la­tion de se dis­so­cier.

La réac­ti­va­tion du dis­cours natio­na­liste et ce qui lui est indis­so­cia­ble­ment lié, racisme et anti­sé­mi­tisme [5] , ainsi que le sou­tien idéo­lo­gi­que ou pra­ti­que à des mou­ve­ments de type fas­ciste. Nationalisme, racisme et anti­sé­mi­tisme sont pré­sents dans la quasi tota­lité du spec­tre poli­ti­que à l’état plus ou moins diffus, mais leur dif­fu­sion est assu­rée à la fois par les médias bour­geois, le racisme d’Etat, et par le dis­cours d’un cer­tain nombre de poli­ti­ciens et d’intel­lec­tuels, mais aussi par les cou­rants idéo­lo­gi­ques et les offi­ci­nes fas­cis­tes.

*La créa­tion d’un minis­tère « de l’immi­gra­tion et de l’iden­tité natio­nale », ainsi que le débat sur l’iden­tité natio­nale réac­tive le dis­cours natio­na­liste et dans le même temps, comme consé­quence, la xéno­pho­bie, c’est à dire l’hos­ti­lité à l’égard des étrangers. Ce dis­cours vise à pro­té­ger la bour­geoi­sie en divi­sant les tra­vailleu­ses et tra­vailleurs sur la base de la natio­na­lité : en trans­fé­rant la res­pon­sa­bi­lité des dif­fi­cultés socia­les sur les tra­vailleurs immi­grés, la bour­geoi­sie dévie ainsi la colère popu­laire en mon­tant les tra­vailleu­ses et tra­vailleurs les un-e-s contre les autres. Dans le même temps, la poli­ti­que anti-immi­gré a pour effet d’accen­tuer la pré­ca­ri­sa­tion des tra­vailleu­ses et tra­vailleurs immi­grés, et ainsi de tirer vers le bas les salai­res, les condi­tions de tra­vail de l’ensem­ble des pro­lé­tai­res. C’est à ce titre que la reven­di­ca­tion de régu­la­ri­sa­tion des tou-te-s les tra­vailleurs et tra­vailleu­ses sans papiers prend son sens, car elle permet de briser cette dyna­mi­que de pré­ca­ri­sa­tion, et créer le condi­tions d’une lutte com­mune et offen­sive entre tra­vailleu­ses et tra­vailleurs, face à la bour­geoi­sie. Le débat sur l’iden­tité natio­nale permet de mas­quer les vrais pro­blè­mes qui se posent à l’ensem­ble des clas­ses popu­lai­res, quelle que soit leur natio­na­lité : dif­fi­cultés à se loger, loyers en hausse, licen­cie­ment, appau­vris­se­ment, pro­blè­mes d’accès à la santé, et d’évacuer les vraies ques­tions : le par­tage des riches­ses, l’orga­ni­sa­tion économique, poli­ti­que non pas au ser­vice d’une mino­rité exploi­tant la majo­rité, mais au ser­vice de la col­lec­ti­vité. [6]

*La dif­fu­sion d’un dis­cours raciste masqué der­rière un dis­cours pseudo-laique dévoyé, qui s’atta­que non pas à l’influence reli­gieuse en géné­ral sur la société et la vie poli­ti­que, mais à une seule reli­gion mino­ri­taire, per­met­tant ainsi de faire passer un dis­cours raciste masqué der­rière la cri­ti­que d’une reli­gion. C’est le cas avec l’islam, comme cela avait été le cas avec le judaisme à une autre époque, ou nombre de cri­ti­ques de la reli­gion juive ne s’atta­quaient pas à son carac­tère d’idéo­lo­gie reli­gieuse mais à une reli­gion fan­tas­mée et auquelle étaient assi­gnés des sté­réo­ty­pes racis­tes de type anti­sé­mite. Ce dis­cours est tenu par le gou­ver­ne­ment (il trouve cepen­dant des relais dans l’ensem­ble de la classe poli­ti­que, y com­pris à l’extrême gauche ou dans le cou­rant liber­taire), pour mobi­li­ser la popu­la­tion en fai­sant passer un dis­cours raciste sous une forme « pré­sen­ta­ble ». Cela n’empê­che ni l’Etat par ailleurs de finan­cer acti­ve­ment divers cultes de maniè­res indi­recte, à tra­vers notam­ment l’ensei­gne­ment confes­sion­nel privé, mais aussi les orga­nis­mes reli­gieux « repré­sen­ta­tifs », ni pour celui-ci de se créer une clien­tèle au sein des ins­ti­tu­tions reli­gieu­ses des dif­fé­ren­tes reli­gions afin d’assu­mer un tra­vail de contrôle social. L’hypo­cri­sie de ce dis­cours (décal­lage entre stig­ma­ti­sa­tion publi­que d’une reli­gion et pra­ti­ques en contra­dic­tion avec la lai­cité)en sou­li­gne toute la dimen­sion raciste.

les cou­rants fas­cis­tes et leur uti­lité pour la bour­geoi­sie et l’Etat

Le sou­tien aux cou­rants fas­cis­tes, comme pro­lon­ge­ment du natio­na­lisme, visant à la fois à dévier la révolte popu­laire, et à créer des mou­ve­ment pou­vant sup­pléer l’Etat dans la répres­sion des révol­tes popu­laire, s’affran­chis­sant au besoin des contrain­tes de la léga­lité bour­geoise. du natio­na­lisme fran­çais clas­si­que, qui joue un rôle de divi­sion des clas­ses popu­lai­res fondé sur la natio­na­lité ou la cou­leur de peau, se déve­lop­pent des mou­ve­ments de type authen­ti­que­ment fas­cis­tes, qui adop­tent des stra­té­gies d’alliance dif­fé­ren­ciées. *

Ainsi en est il des dif­fé­ren­tes cou­rants, ten­dan­ces et grou­pes se récla­mant du natio­na­lisme révo­lu­tion­naire : *

Les iden­ti­tai­res affir­ment ainsi un « anti­ca­pi­ta­lisme » de façade, roman­ti­que, dans la droite ligne du cou­rant « natio­nal et social » du natio­na­lisme fran­çais, tout en s’ancrant dans une concep­tion eth­no­dif­fé­ren­tia­liste et raciste qui fait la pro­mo­tion d’un natio­na­lisme et d’un supré­ma­cisme blanc euro­péen. Ce mou­ve­ment tente de fédé­rer la petite bour­geoi­sie et les pro­lé­tai­res « blancs » autour d’un dis­cours fondé sur l’affir­ma­tion d’une iden­tité « blan­che » et « euro­péenne », face aux « musul­mans » et à « l’islam » conçus comme un bloc mena­çant l’inté­grité cultu­relle, raciale des « euro­péens » « de souche », c’est à dire « blancs et chré­tiens ou païens ». Dans ce contexte de crise, ce pseudo anti­ca­pi­ta­lisme, qui se pré­sente comme « révo­lu­tion­naire », a pour fonc­tion la défense de la bour­geoi­sie, puisqu’il divise les tra­vailleu­ses et les tra­vailleurs sur une base natio­nale, cultu­relle et racia­liste. Les pro­lé­tai­res immi­grés ou dési­gnés comme « allo­gè­nes » du fait de leur cou­leur de peau ou une orien­ta­tion reli­gieuse musul­mane assi­gnée par les natio­na­liste, sont dési­gnés comme res­pon­sa­bles (ou cores­pon­sa­bles) de la dégra­da­tion des condi­tions de vies des tra­vailleu­ses et tra­vailleurs et de la petite bour­geoi­sie. Cette rhé­to­ri­que permet de mas­quer les res­pon­sa­bi­li­tés de la bour­geoi­sie, et plus lar­ge­ment, des rap­ports sociaux quo­ti­diens du capi­ta­lisme et de l’Etat (exploi­ta­tion - appro­pria­tion de la plus value par le biais du sala­riat, divi­sion de la société en classe, hié­rar­chie,...) dans cette dégra­da­tion. Cette ten­dance poli­ti­que, bien qu’anti­sé­mite, essaie par­fois de ral­lier des frac­tions de la mino­rité natio­nale juive [7] à sa poli­ti­que, au nom de la lutte contre « l’isla­mi­sa­tion ». Il s’agit ici de dres­ser les mino­ri­tés natio­na­les juives, arabes et noires les unes contre les autres, au nom d’une pré­ten­due « menace isla­mi­que », qui est la forme que prend une partie du dis­cours raciste contem­po­rain pour contour­ner la loi Gayssot et éviter les accu­sa­tions de racisme. Cette ten­dance assume, de la même manière que l’aile « natio­nale et sociale » du front natio­nal réunie autour de Marine Le Pen, la fonc­tion de divi­sion des clas­ses popu­lai­res sur une base raciste et autour de la fic­tion qu’est la natio­na­lité, en dési­gnant comme ennemi prio­ri­taire et bouc émissaire les étrangers, les arabes, les noires et les musul­mans comme res­pon­sa­bles de la dégra­da­tion des condi­tions de vie des pro­lé­tai­res et de la petite bour­geoi­sie blan­che, ce qui permet d’éviter toute remise en cause réelle du capi­ta­lisme et de la domi­na­tion de la bour­geoi­sie et de l’Etat, en ten­tant de dévier les révol­tes popu­lai­res dans le sens d’un affron­te­ment au sein des clas­ses popu­lai­res.
Ainsi en est il de la mou­vance ethno-dif­fé­ren­cia­liste autour de Kemi Seba (Stelio Capochini du « mou­ve­ment des damnés de l’impé­ria­lisme ») et de Thomas Verlet (du Parti soli­daire fran­çais) qui vise à dévier la révolte popu­laire qui monte dans un sens raciste de type anti­sé­mite afin de pré­ser­ver la bour­geoi­sie de la colère popu­laire, et d’éviter que se déve­loppe une mise en cause du capi­ta­lisme. Kemi Séba se situe dans le pro­lon­ge­ment du natio­na­lisme « social » fran­çais [8] le plus clas­si­que, celui qui a forgé les bases de la doc­trine fas­ciste, puis nazie, à la fin du XIXe siècle. Ce qui expli­que sa proxi­mité avec les natio­naux-socia­lis­tes affi­chés du Parti soli­daire fran­çais. Ce fas­cisme d’ori­gine bien fran­çaise, se fonde d’abord sur un dis­cours raciste : on retrouve chez Kemi Séba l’influence d’un Vacher de Lapouge, mais aussi d’un Gobineau et des théo­ri­ciens du racisme qui ont été aux pre­miè­res loges pour jus­ti­fier la colo­ni­sa­tion, le statut de l’indi­gé­nat, les mas­sa­cres et l’oppres­sion colo­niale.« L’anti-impé­ria­lisme » de paco­tille de Séba appa­rait pré­ci­sé­ment pour ce qu’il est : une défense de l’impé­ria­lisme fran­çais, puisqu’il se base sur l’idéo­lo­gie racia­liste que celui-ci à forger pour jus­ti­fier sa poli­ti­que de conquête. Dans le même temps, celui-ci évite soi­gneu­se­ment de parler des exac­tions et du pillage de la bour­geoi­sie fran­çaise (néo)colo­nia­liste et impé­ria­liste. Quand il évoque des situa­tion où est impli­qué l’impé­ria­lisme fran­çais, il n’y fait pas réfé­rence, et fait porter la res­pon­sa­bi­lité à un « gou­ver­ne­ment sio­niste » asso­cié aux juifs (la fré­quence des allu­sions anti­sé­mi­tes qu’il fait sur le mode « humo­ris­ti­que » ne laisse peu de doute à ce sujet), ré-uti­li­sant là les clas­si­que de l’anti­sé­mi­tisme poli­ti­que, qui vise à pro­té­ger la bour­geoi­sie contre la révolte popu­laire en attri­buant les méfaits du capi­ta­lisme et de l’impé­ria­lisme aux juifs. L’Etat s’est démené pour donner crédit à son dis­cours, en assu­rant sa média­ti­sa­tion, et en le fai­sant passer à peu de frais comme un sub­ver­sif « anti­sys­tème », alors qu’il n’est que le porte-voie de l’idéo­lo­gie natio­na­liste forgée comme sys­tème de défense par une frac­tion de la bour­geoi­sie fran­çaise. Kémi Séba se situe ainsi dans la tra­di­tion d’un natio­na­lisme révo­lu­tion­naire fran­çais qui est le rem­part ultime de la bour­geoi­sie en période de crise.

Ainsi en est il également de la mou­vance « anti­sio­niste » cons­ti­tuée autour du trio Soral- Gouasmi-Dieudonné, dont le dis­cours se struc­ture également sur la base du natio­na­lisme fran­çais, axé sur l’anti­sé­mi­tisme poli­ti­que, même s’il mobi­lise également le fond anti­sé­mite reli­gieux lié à la culture catho­li­que fran­çaise. Cette mou­vance se situe dans la filia­tion reven­di­quée de la « droite révo­lu­tion­naire » fran­çaise, et donc du « cercle Proudhon » qui réu­nis­sait des syn­di­ca­lis­tes révo­lu­tion­nai­res regrou­pés autour de Sorel, mais également des socia­lis­tes comme Lagardelle, avec des mili­tants « natio­na­lis­tes inté­graux » de l’Action fran­çaise . C’est ce cou­rant, qui a tenté la syn­thèse entre d’une part un socia­lisme anti­ra­tio­na­liste, ayant renoncé à une rup­ture avec l’ordre capi­ta­liste et la pro­priété privé, et d’autre part un natio­na­lisme s’étant déta­ché de l’aris­to­cra­tisme, qui va être à l’ori­gine de l’idéo­lo­gie fas­ciste de la « droite révo­lu­tion­naire ». « Gauche du tra­vail et droite des valeurs », ce slogan d’Egalité et Réconciliation, l’orga­ni­sa­tion d’Alain Soral, résume bien la syn­thèse socia­liste natio­nale, qui vise à la « natio­na­li­sa­tion du pro­lé­ta­riat ». Cela cor­res­pond à une concep­tion dar­wi­niste sociale, qui consi­dère que les nations, comme mythe, sont le moteur de l’his­toire, et qui sub­sti­tue la lutte des nations entre elle pour leur survie, à la lutte des clas­ses. Substituer l’oppo­si­tion entre grou­pes humains assi­gnés à une nations ou entre grou­pes humains assi­gnés à une race à la lutte des clas­ses, c’est sub­sti­tuer à la lutte des pro­lé­tai­res pour leurs inté­rêts concrets la lutte pour des mythes. Ces mythes per­met­tent ainsi de mobi­li­ser les clas­ses popu­lai­res en défense des inté­rêts de l’impé­ria­lisme fran­çais, dans une période ou celui-ci redou­ble d’agres­si­vité sur le plan inter­na­tio­nal du fait de la crise. En cela ce cou­rant sert l’inté­rêt de la bour­geoi­sie fran­çaise. [9] Cette mou­vance ins­tru­men­ta­lise l’oppo­si­tion au colo­nia­lisme israé­lien et au sio­nisme pour réha­bi­li­ter le dis­cours anti­sé­mite clas­si­que du natio­na­lisme fran­çais. Cela lui permet de contour­ner la loi Gayssot, tout en dif­fu­sant un anti­sé­mi­tisme de masse au moyen d’amal­ga­mes à partir de la situa­tion pales­ti­nienne. Les sté­réo­ty­pes anti­sé­mi­tes visant les juifs (pré­ten­due mai­trise de la finance, des médias...) étant attri­bués à des « sio­nis­tes » accu­sés de contrô­ler le monde, l’ins­tru­men­ta­li­sa­tion de la ques­tion pales­ti­nienne appa­rait de manière évidente :il ne s’agit pas pour ce cou­rant de s’oppo­ser à une poli­ti­que colo­niale, mais avant tout de dif­fu­ser un dis­cours anti­sé­mite visant à exo­né­rer la bour­geoi­sie fran­çaise de toute res­pon­sa­bi­lité dans l’appau­vris­se­ment et l’exploi­ta­tion des clas­ses popu­lai­res, mais aussi de mas­quer la poli­ti­que impé­ria­liste de l’Etat fran­çais. Comme pour Kémi Séba, il s’agit ici de dévier la révolte popu­laire pour pro­té­ger la bour­geoi­sie fran­çaise, en dési­gnant un bouc émissaire, les juifs, dans la droite ligne de l’anti­sé­mi­tisme his­to­ri­que. Les deux cou­rants essaient de mobi­li­ser une partie des mino­ri­tés natio­na­les (arabes, noires...) contre une autre mino­rité natio­nale (la mino­rité natio­nale juive), dans un « front uni contre le sio­nisme » qui est en fait un « front uni anti­sé­mite », visant à dévier la révolte popu­laire contre le racisme et l’appau­vris­se­ment géné­ra­lisé pro­vo­qué par le sys­tème capi­ta­liste et l’Etat, afin de pro­té­ger ces der­niers contre la colère popu­laire. Cela n’est pas nou­veau : les pogroms ont his­to­ri­que­ment été uti­li­sés pour dévier la vio­lence popu­laire contre des bouc émissaires, les juifs, afin de pro­té­ger les clas­ses diri­geante d’une explo­sion sociale ou d’un risque révo­lu­tion­naire. Ainsi, les pogroms qui ont eu lieu dans les années 1880 sur le ter­ri­toire polo­nais, orches­trés en partie par l’okrhana, les ser­vi­ces secrets de la russie tsa­riste, qui avaient pour objet de pro­té­ger la bour­geoi­sie et l’aris­to­cra­tie russe, en déviant la vio­lence popu­laire contre les pro­lé­tai­res juifs polo­nais. Cette tac­ti­que a été également uti­li­sée en Algérie, à l’époque colo­niale fran­çaise, ou les pro­pa­gan­dis­tes de la ligue anti­sé­mite allaient inci­ter les algé­riens musul­mans à s’en pren­dre aux juifs qu’ils ren­daient res­pon­sa­ble de leur mal­heur : cela per­met­tait de pré­ser­ver le pou­voir colo­nial de toute pers­pec­tive de révolte ouverte contre l’oppres­sion qu’il exer­çait, en créant un écran que les juifs algé­rien ont payé de leur sang. Le béné­fice était double pour le pou­voir colo­nial et la bour­geoi­sie fran­çaise : dres­ser les arabes musul­mans contre les juifs, et réci­pro­que­ment : cela per­met­tait de pré­ser­ver le sys­tème colo­nial, et les colons, d’une révolte popu­laire. La bour­geoi­sie fran­çaise et l’Etat fran­çais ont acquis une longue expé­rience en matière contre-insur­rec­tion­nelle et contre-révo­lu­tion­naire, au point qu’ils l’expor­tent. Les vieilles recet­tes qui se sont écrites dans le sang des mino­ri­tés natio­na­les et des clas­ses popu­lai­res revien­nent au goût du jour à la faveur de la crise. Il n’est d’ailleurs guère étonnant de voir qu’Egalité et réconci­la­tion et Dieudonné et consort font preuve d’un silence ou d’une com­plai­sance cer­taine envers l’impé­ria­lisme fran­çais et les res­pon­sa­bi­li­tés de la bour­geoi­sie fran­çaise dans la bou­che­rie colo­niale, en la pré­sen­tant comme une « erreur de par­cours », lais­sant soi­gneu­se­ment de côté la poli­ti­que impé­ria­liste fran­çaise actuelle.

Ces 3 ten­dan­ces se reven­di­quent du même patri­moine idéo­lo­gi­que natio­na­liste révo­lu­tion­naire ou « socia­liste natio­nale » (pseudo-anti­ca­pi­ta­lisme, racisme « ethno dif­fé­ren­cia­liste » [10]), anti­ra­tio­na­lisme, uti­li­sa­tion des mythes et de la « psy­cho­lo­gie des foules » ins­pi­rée du fas­ciste Gustave Le bon comme moteur de l’his­toire [11], sexisme, homo­pho­bie.

L’homo­pho­bie de ces cou­rants les a d’ailleurs amené, malgré leurs dif­fé­ren­ces idéo­lo­gi­ques et stra­té­gi­ques, à se retrou­ver sur une ligne com­mune d’agres­sion envers les homo­sexuels, comme en témoi­gne la pré­sence com­mune des iden­ti­tai­res et d’Egalité et réconci­lia­tion au ras­sem­ble­ment contre le Kiss-in à Saint Jean. C’est également pour la même raison qu’ils se retrou­vent dans les mou­ve­ments d’oppo­si­tion à l’IVG. Dans les 2 cas, il s’agit de défen­dre une vision essen­tia­li­sée des femmes, assi­gnée au rôle de repro­duc­tri­ces sou­mi­ses, afin d’assu­rer la « repro­duc­tion des forces vives de la nation, les hommes étant quant à eux assi­gné au viri­lisme guer­rier. Pour celles et ceux qui sor­tent de cette norme sociale c’est la répres­sion sous forme de vio­lence phy­si­que, et le fas­cisme his­to­ri­que a montré que la dimen­sion géno­ci­daire n’est jamais loin dans cette logi­que sexiste et eugé­niste (auquel s’ajoute par ailleurs l’eugé­nisme vis à vis des per­son­nes non vali­des).

De même, ces 3 cou­rants ont en commun une révolte carac­té­ris­ti­que du fas­cisme contre le ratio­na­lisme des « lumiè­res », le mépris de « la foule » conçue comme menée essen­tiel­le­ment par ses émotions, le rejet de la démo­cra­tie (non pas de la pseudo-démo­cra­tie bour­geoise, mais de la démo­cra­tie comme prin­cipe) liée au rejet de l’égalité comme valeur, à la pro­mo­tion de la hié­rar­chie comme prin­cipe d’orga­ni­sa­tion sociale. « Révolte « contre la culture de la société bour­geoise et le libé­ra­lisme, ils n’en défen­dent pas moins ses fon­da­men­taux économiques (capi­ta­lisme, pro­priété privée) et donc jouent dans un contexte de crise le rôle de chien de garde de l’ordre capi­ta­liste, quand bien même ils se vivent et se voient comme « révo­lu­tion­nai­res », « révol­tés contre le sys­tème ».

Ces 3 cou­rants au patri­moine idéo­lo­gi­que commun ne se dif­fé­ren­cient que par des axes tac­ti­ques et par des appré­cia­tions idéo­lo­gi­ques secondai­res :

Les iden­ti­tai­res (et la ten­dance « sociale et natio­nale » du FN) s’adres­sent en prio­rité à la petite bour­geoi­sie et aux tra­vailleu­ses et tra­vailleurs « blancs »,’ pour pré­ve­nir leur révolte. De manière secondaire, ils ten­tent de mobi­li­ser la mino­rité natio­nale juive pour la dres­ser contre les autres mino­ri­tés au nom d’une lutte contre « l’isla­mi­sa­tion », au nom de « l’occi­dent judéo-chré­tien ». Les iden­ti­tai­res sont racis­tes et anti­sé­mi­tes, mais il dési­gnent comme « ennemi prin­ci­pal » les arabes, les noirs et toutes les popu­la­tions qu’ils dési­gnent comme « non blan­ches » « allo­gè­nes », ce qui les amè­nent à mettre en avant prin­ci­pa­le­ment le racisme contre les noirs, les arabes, les turcs (dési­gnés comme « musul­mans »), en lais­sant leur anti­sé­mi­tisme au second plan pour atti­rer la frac­tion de la mino­rité natio­nale juive natio­na­liste fran­çaise assi­mi­la­tio­niste, et les sio­nis­tes (natio­na­lis­tes juifs) dans un « front uni contre l’isla­mi­sa­tion ».

_ La mou­vance eth­no­dif­fé­ren­tia­liste autour de Kemi Séba et le « Parti soli­daire fran­çais » et la mou­vance « anti­sio­niste » autour de Soral-Dieudonné-Gouasmi visent à mobi­li­ser, dans un front uni anti­sé­mite, les clas­ses popu­lai­res et la peti­tes bour­geoi­sie blan­che, ainsi que les mino­ri­tés natio­na­les noires et arabes, contre les juifs. Il s’agit ici également de dres­ser les mino­ri­tés natio­na­les les unes contre les autres. Le racisme colo­nial, par­tagé par la com­po­sante natio­na­liste « de souche » passe ici au second plan au profit de l’anti­sé­mi­tisme, afin de dres­ser les mino­ri­tés natio­na­les noires et arabes contre la mino­rité juive, et ainsi divi­ser les clas­ses popu­lai­res, tout en pro­té­geant la bour­geoi­sie, en dési­gnant un bouc émissaire fai­sant figure de « pseudo-bour­geoi­sie » grâce aux sté­réo­ty­pes anti­sé­mi­tes tra­di­tion­nels.C’est cette tac­ti­que qui sous-tend la sépa­ra­tion arti­fi­cielle faite entre « capi­ta­lisme indus­triel » (le bon capi­ta­lisme enra­ciné, selon cette rhé­to­ri­que) et « capi­ta­lisme finan­cier », dans la droite ligne du fas­cisme his­to­ri­que, qui du fait de la per­ma­nence de l’idéo­lo­gie anti­sé­mi­tes et des sté­réo­ty­pes qu’elle véhi­cule (asso­cia­tion entre les juifs et la banque, la finance), permet de pro­té­ger le capi­ta­lisme et la bour­geoi­sie d’une remise en cause, en dési­gnant des boucs émissaires.

La dif­fé­rence tac­ti­que entre ces deux mou­van­ces, c’est que Séba et le PSF affir­ment une concep­tion ouver­te­ment racia­liste du natio­na­lisme, alors que la mou­vance Soral-Dieudonné mixe la concep­tion natio­na­liste fran­çaise racia­liste avec celle de la « com­mu­nauté de destin » telle que défi­nie par Ernest Renan (théo­ri­cien de la concep­tion fran­çaise de la nation).

Mais les deux par­tent d’un cons­tat par­tiel de la réa­lité des clas­ses popu­lai­res aujourd’hui, c’est à dire de l’exis­tence de mino­ri­tés natio­na­les noires et arabes, et cher­chent à pré­ve­nir leur révolte contre le sys­tème raciste et le capi­ta­lisme et l’Etat, en s’adres­sant à elle, en les mobi­li­sant de manière à pré­ser­ver la bour­geoi­sie fran­çaise et l’Etat de la révolte popu­laire et d’une éventuelle uni­fi­ca­tion des dif­fé­ren­tes frac­tions des clas­ses popu­lai­res (la frac­tion des clas­ses popu­lai­res « blan­che » et les frac­tions des clas­ses popu­lai­res appar­te­nant aux mino­ri­tés natio­na­les), affir­mant une unité de classe face à la bour­geoi­sie. Une telle uni­fi­ca­tion revien­drait à repla­cer l’affron­te­ment sur le ter­rain de l’affron­te­ment entre les clas­ses et com­porte un risque révo­lu­tion­naire évident pour la bour­geoi­sie.

C’est en cons­cience de cela qu’elle s’efforce de mas­quer les anta­go­nisme de classe et d’y sub­sti­tuer les anta­go­nis­mes racis­tes. Les natio­na­lis­tes révo­lu­tion­nai­res repré­sen­tent le groupe le plus expli­cite et déter­miné por­tant cette idéo­lo­gie natio­na­liste et raciste qui influence l’ensem­ble de la classe poli­ti­que fran­çaise. Dans un contexte de crise, leur « radi­ca­lité d’appa­rence » permet de cana­li­ser la révolte popu­laire, pour conser­ver le carac­tère « hori­zon­tal » de la vio­lence, au sein des clas­ses popu­lai­res et entre ses dif­fé­ren­tes frac­tions, pour éviter que cette vio­lence ne devienne « ver­ti­cale », c’est à dire diri­gée contre les clas­ses domi­nan­tes, la bour­geoi­sie, le capi­ta­lisme et l’Etat.

Les natio­na­lis­tes révo­lu­tion­nai­res, supré­ma­cis­tes blancs fran­çais trou­vent des alliés natu­rels au sein des cou­rants natio­na­lis­tes spé­ci­fi­ques aux mino­ri­tés natio­na­les, ou avec des mou­ve­ments natio­na­lis­tes et réac­tion­nai­res alliés de l’impé­ria­lisme fran­çais, comme le montre l’alliance ou entre le PSF et Kémi Séba, le rap­pro­che­ment entre les iden­ti­tai­res et les sio­nis­tes fas­cis­tes de la LDJ, entre Soral, UOIF et Gouasmi du centre Zahra France.

Les natio­na­lis­mes se ren­for­cent mutuel­le­ment, même s’il parais­sent s’oppo­ser en appa­rence (tout en par­ta­geant le même fond idéo­lo­gi­que, et la même fonc­tion de défense de la bour­geoi­sie) puis­que la montée de la vio­lence au sein des clas­ses popu­laire liée à la dif­fu­sion des dis­cours racis­tes et natio­na­lis­tes ali­mente dans le même temps le replis natio­na­liste, les dif­fé­rents natio­na­lis­tes s’appuyant sur les natio­na­lis­mes pré­ten­du­ment anta­go­nis­tes pour jus­ti­fier leur théo­ries.

Réalité de la menace fas­ciste

La période récente a vu se déve­lop­per à une vitesse rapide, en France comme en Europe, des mou­ve­ments de type fas­ciste, notam­ment ceux pré­cé­dem­ment évoqués asso­ciant une acti­vité d’implan­ta­tion sociale, une forte acti­vité de dif­fu­sion idéo­lo­gi­que à tra­vers notam­ment la culture (musi­que, inter­net,...), se basant sur une relec­ture fas­ciste de Gramsci, qui insiste sur l’impor­tance du méta­po­li­ti­que, c’est à dire de l’hégé­mo­nie cultu­relle, dans la stra­té­gie poli­ti­que, ainsi qu’une acti­vité de rue agres­sive. Dans un cer­tain nombre de pays d’Europe, cela s’est tra­duit par une aug­men­ta­tion des atta­ques racis­tes, homo­pho­bes, xéno­pho­bes mais aussi des agres­sions de mili­tant-e-s révo­lu­tion­nai­res, des atta­ques contre les luttes popu­lai­res. En cela on peut cons­ta­ter le rôle de sup­plé­tif de l’Etat que jouent ces grou­pes fas­cis­tes, comme en témoi­gne par exem­ple l’agres­sion à coup de barre de fer d’un ras­sem­ble­ment contre la venue de Besson à Lyon.

En France cette ten­dance est donc de plus en plus per­cep­ti­ble, comme en témoi­gnent les exem­ples de Lyon, Tours, Arras, Lille et bien d’autres lieux... Cette ten­dance a une voie royale pour se déve­lop­per dans un contexte de crise capi­ta­liste, et la bour­geoi­sie, qui pour l’ins­tant can­tonne les fas­cis­tes dans un rôle de sup­plé­tif, (parce que le masque de la démo­cra­tie lui est pour le moment moins cou­teux comme mode de gou­ver­nance et de ges­tion des clas­ses popu­lai­res),peut tout à fait leur accor­der un sou­tien poli­ti­que et finan­cier le jour où elle se sent mena­cée.

Pour l’ins­tant nous sommes au stade du déve­lop­pe­ment d’une influence cultu­relle et idéo­lo­gi­que de masse, et la vio­lence de rue des fas­cis­tes, si elle aug­mente, reste mesu­rée, parce que la bour­geoi­sie et l’Etat lui fixent des limi­tes, mais nous ris­quons de nous retrou­ver rapi­de­ment face à une une dyna­mi­que pogro­miste, si la bour­geoi­sie et l’Etat lâchent la bride au fas­cisme. Si le fas­cisme se déve­loppe plus encore, l’his­toire nous a montré qu’il pos­sé­dait une dyna­mi­que géno­ci­daire intrin­sè­que.

On cons­tate également que les grou­pes fas­cis­tes s’appuient sur une stra­té­gie de pas­se­rel­les, notam­ment sur inter­net, ou ils mobi­li­sent des « idiots utiles » pour dif­fu­ser une partie de leur dis­cours, pren­dre leur défense voire relayer leur dis­cours au nom de la « liberté d’expres­sion », faire la pro­mo­tion de leur site au moyen d’un sys­tème de liens inter­net.

C’est le cas par exem­ple d’intel­lec­tuels comme Michel Collon ou comme Jean Bricmont : le site du pre­mier sert de Passerelle vers des sites fas­cis­tes (Alterinfo tenu par un mili­tant de Vox NR, struc­ture natio­na­liste révo­lu­tion­naire, clap36 tenu par des pro­ches de Dieudonné, etc...) et son der­nier livre « Israel Parlons-en » accré­dite Paul-Eric Blanrue, anti­sé­mite auteur d’un livre « Israel, Sarkozy et le juifs ». Il a par ailleurs par­ti­cipé au réseau cons­pi­ra­tio­niste « Axis for peace » au côté des fas­cis­tes que sont Dieudonné et Jacques Cheminade.

Le second, Jean Bricmont, se fait le porte de voix de la « liberté d’expres­sion » pour les néga­tio­nis­tes et les anti­sé­mi­tes sous cou­vert « d’ouvrir le débat » sur le sio­nisme, en leur don­nant ainsi une caisse de réso­nance au delà des sphè­res de l’extrême droite clas­si­que.

Certains sites se pré­sen­tant comme « pro-pales­ti­niens », tels « Palestine Solidarité », « infos Palestine » ou le site de l’ISM relaient de manière com­plai­sante les dis­cours de Dieudonné ou d’un anti­sé­mite comme Gilad Atzmon (qui a fait la pro­mo­tion du livre néga­tio­niste de Paul Eisen).

Ils s’appuient pour cela sur un cer­tain nombre de brè­ches, que sont notam­ment la fai­blesse de l’ana­lyse et de la réflexion poli­ti­que en France y com­pris dans les milieux révo­lu­tion­nai­res. La stra­té­gie consiste par exem­ple à surfer sur les ambi­gui­tés d’un dis­cours « anti-impé­ria­liste » et « anti-libé­ral » ou « anti-capi­ta­liste » a-clas­siste, pour déve­lop­per un pseudo anti-capi­ta­lisme qui insiste sur l’oppo­si­tion au « capi­ta­lisme finan­cier » pour mieux pré­ser­ver le capi­ta­lisme comme sys­tème d’exploi­ta­tion économique et social, et pour mieux pré­ser­ver l’impé­ria­lisme fran­çais (en insis­tant sur la dénon­cia­tion de l’impé­ria­lisme amé­ri­cain ou israé­lien pour mas­quer la vio­lence de l’impé­ria­lisme fran­çais).

L’oppor­tu­nisme d’un cer­tain nombre d’orga­ni­sa­tions d’extrême gauche qui par pater­na­lisme et parce qu’elles essen­tia­li­sent les pro­lé­tai­res raci­sés des mino­ri­tés natio­na­les cau­tion­nent des orga­ni­sa­tions réac­tion­nai­res se récla­mant de l’islam poli­ti­que, ou des orga­ni­sa­tions qui ser­vent de pas­se­relle telles qu’Europalestine, cet oppor­tu­nisme ouvre aussi la voie au déve­lop­pe­ment de ces ten­dan­ces fas­cis­tes.

Enfin, cette stra­té­gie est rendue pos­si­ble par la fai­blesse de la réflexion sur le racisme et l’anti­sé­mi­tisme à l’extrême gauche et au sein d’une partie du mou­ve­ment liber­taire. Voir, dans le cas de l’anti­sé­mi­tisme, à sa néga­tion ou à sa mini­mi­sa­tion sous pré­texte que le dis­cours anti­sé­mite est offi­ciel­le­ment condamné par l’Etat. Le fait que les sio­nis­tes aient ins­tru­men­ta­lisé l’anti­sé­mi­tisme est uti­lisé pour dis­qua­li­fier sys­té­ma­ti­que­ment toute mise à jour de la réa­lité de l’anti­sé­mi­tisme, des dis­cours et pra­ti­ques qui s’y rat­ta­chent. L’anti­sé­mi­tisme est consi­déré comme l’apa­nage de quel­ques grou­pes nazis folk­lo­ri­que ou, dans une pers­pec­tive raciste, de la mino­rité natio­nale arabe en France, alors qu’il irri­gue la société fran­çaise dans toutes les cou­ches socia­les, remon­tant à la sur­face à la faveur de la crise qui remet au goût du jour les grands thèmes de l’anti­sé­mi­tisme poli­ti­que (fan­tas­mes sur les juifs et les médias, ou les juifs et les ban­ques et le com­mu­nau­ta­risme juif). L’anti­sé­mi­tisme est pour­tant une cons­tante de la vie poli­ti­que fran­çaise, de l’extrême droite à l’extrême gauche [12], depuis long­temps. La crise est l’occa­sion pour celui-ci de remon­ter à la sur­face, plan­qué der­rière des « cri­ti­ques » du sio­nisme qui quit­tent rapi­de­ment le ter­rain de l’anti­co­lo­nia­lisme pour recy­cler les vieux thèmes anti­sé­mi­tes, ou der­rière des pseudo-cri­ti­ques de la reli­gion juive qui mèlent cli­chés anti­sé­mi­tes à la cri­ti­que anti­re­li­gieuse. [13]

L’autre ten­dance consiste également pour les fas­cis­tes à s’appuyer sur des dis­cours cons­pi­ra­tion­nis­tes [14] qui repré­sen­tent la pre­mière porte d’entrée vers les dis­cours fas­cis­tes, puisqu’ils exo­nè­rent la classe capi­ta­liste, et les rap­ports sociaux capi­ta­lis­tes et hié­rar­chi­ques, ainsi que le sys­tème étatique de tout dis­cours cri­ti­que et de toute res­pon­sa­bi­lité dans l’appau­vris­se­ment et l’exploi­ta­tion des clas­ses popu­lai­res, ainsi que dans la logi­que de ter­ro­risme d’Etat à l’oeuvre à l’échelle inter­na­tio­nale. Au nom d’un « anti-impé­ria­lisme » de façade, au nom d’un « anti­sio­nisme » qui n’a rien à voir avec l’oppo­si­tion au colo­nia­lisme israe­lien (qui sert seu­le­ment éventuellement de pré­texte) mais tout à voir avec l’anti­sé­mi­tisme, au nom d’un dis­cours pseudo-laique voire pseudo-fémi­niste, ils intro­dui­sent le venin idéo­lo­gi­que natio­na­liste et raciste, et déve­lop­pent leur influence cultu­relle, idéo­lo­gi­que et sociale.

Cette stra­té­gie a du succès parce qu’il n’existe pas d’alter­na­tive poli­ti­que à l’appau­vris­se­ment géné­ra­lisé, au ter­ro­risme d’Etat, qui soit envi­sa­gea­ble pour la majo­rité de la popu­la­tion, et qui lui appa­raisse comme cré­di­ble. Cela tient notam­ment à la fai­blesse des orga­ni­sa­tions anti­hié­rar­chi­ques, mais aussi au fait que le projet de société et les idées por­tées par les anar­chis­tes révo­lu­tion­nai­res appa­rais­sent sou­vent comme déconnec­tées des préoc­cu­pa­tions concrè­tes des clas­ses popu­lai­res. C’est lors­que notre mou­ve­ment répon­dait à ces préoc­cu­pa­tions qu’il avait une influence popu­laire de masse, et qu’il cons­ti­tuait une force révo­lu­tion­naire. C’est lors­que la popu­la­tion par­ta­geait l’idée qu’une alter­na­tive à l’Etat et au capi­ta­lisme était pos­si­ble, tout en envi­sa­geant des répon­ses concrè­tes et auto­no­mes à ses préoc­cu­pa­tions que la rup­ture avec le natio­na­lisme appa­rais­sait comme une néces­sité émancipatrice, que la révo­lu­tion, seule alter­na­tive réelle au fas­cisme, deve­nait pos­si­ble.

Quels ensei­gne­ments en tirer ?

C’est ce cons­tat qui pose la ques­tion d’une stra­té­gie effi­cace face au fas­cisme de la part des anar­chis­tes révo­lu­tion­nai­res.

Cela signi­fie à mon sens rompre avec un cer­tain « folk­lore » qui réduit l’anti­fas­cisme au mieux à la lutte contre les fas­cis­tes, au pire à une lutte bande/groupe contre bande.

Cela passe également par la mise en avant d’une appro­che de classe, qui visi­bi­lise l’anta­go­nisme réel, celui qui oppose la bour­geoi­sie et l’Etat d’un côté, les clas­ses popu­lai­res de l’autre, et qui pose la ques­tion de la néces­sité révo­lu­tion­naire d’une rup­ture avec le capi­ta­lisme et l’Etat. Cela passe par une lutte idéo­lo­gi­que contre le fas­cisme, asso­cié au déve­lop­pe­ment de luttes auto­no­mes par­tant des néces­si­tés concrè­tes des clas­ses popu­lai­res, qui met­tent à jour cet anta­go­nisme réel et démas­quent les fas­cis­tes pour ce qu’ils sont : les ins­tru­ments de la bour­geoi­sie en période de crise.

Cela passe par la pro­mo­tion d’un projet de société et de la néces­sité d’une rup­ture révo­lu­tion­naire avec le capi­ta­lisme et l’Etat, comme alter­na­tive au replis natio­na­liste.

Cela passe enfin par la com­pré­hen­sion du fait que ce phé­no­mène n’est pas réduc­ti­ble à « l’effet de l’affai­blis­se­ment du front natio­nal » libé­rant la place à des grou­pes radi­ca­lisé, mais à une ten­dance à l’auto­dé­fense idéo­lo­gi­que de la part de la bour­geoi­sie pour pré­ve­nir toute menace en période de crise.

Cela passe enfin par la pro­mo­tion et l’orga­ni­sa­tion d’une auto­dé­fense anti­fas­ciste qui passe par la cons­truc­tion d’une résis­tance popu­laire à ces ten­dan­ces, contre les atta­ques phy­si­ques mais aussi contre l’idéo­lo­gie fas­ciste, c’est à dire d’une vigi­lance face à la dif­fu­sion de dis­cours racis­tes et anti­sé­mi­tes, y com­pris dans les milieux « pro­gres­sis­tes », ainsi que la dif­fu­sion d’un contre-dis­cours bri­sant l’idéo­lo­gie fas­ciste. Cette appro­che est la condi­tion du déve­lop­pe­ment d’un anti­fas­cisme popu­laire, qui élargisse le champs de la lutte contre le fas­cisme, et qui ouvre des pers­pec­tive de rup­ture avec l’ordre capi­ta­liste et étatique qui nour­rit le fas­cisme.

Un grand merci aux cama­ra­des de l’Action Antifasciste pour leurs remar­ques qui ont contri­bué à enri­chir ce texte.

Berckman

Notes

[1] voir l’article du monde diplomatique « Comment les armées se préparent au combat urbain »
[2] Voir L’ennemi intérieur, La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Mathieu Rigouste
[3] Le terme »islamophobie« étant l’objet de nombreuses polémiques (voir notammentlink), une précision s’impose : Il ne s’agit pas ici de défendre l’islam comme religion (il est clair que toutes les religions sont des idéologies qui justifient la hiérarchie et servent de justificatif aux rapports de domination) mais de refuser le discours du »deux poids deux mesure« dans la critique des religion qui masque en général un discours raciste. Si il faut rejeter le discours de certains religieux musulmans tentent d’assimiler toute critique de la religion musulmane à de l’islamophobie (comme stratégie de défense de l’idéologie religieuse), il n’en reste pas moins qu’un certains nombre de critiques de l’islam se situent sur le terrain du fantasme raciste et non celui de la critique rationaliste et matérialiste de la religion.
[4] voir article du monde
[5] le racisme et l’antisémitisme sont ici utilisés dans leur sens politique et historique. Le racisme consistant dans l’affirmation simultanée d’une division de l’humanité en races (le plus souvent, à l’exception de l’antisémitisme, sur la base d’un critère sélectionné arbitrairement, la couleur de peau), et la hiérarchisation des groupes auxquels on assigne une race, ce qui se traduit par un rapport d’oppression, d’exploitation et d’humiliation pour les personnes auxquelles on a assigné une race considérée comme inférieure. L’antisémitisme quant à lui est un racisme spécifique, qui n’est pas fondé sur la couleur de peau mais sur la racialisation d’une culture et d’une religion, définie comme figure négative de la nation, comme « antination ». Le racisme classique se base sur la couleur de peau (un critère arbitraire et absurde mais« visible ») , alors que l’antisémitisme est un racisme qui lui se développe justement à partir de l’idée de l’impossibilité de distinguer les juifs alors qu’ils constitueraient une « race à part » (sur la base d’un critère tout aussi absurde et arbitraire, mais « invisible »), ce qui entraine les préjugés racistes spécifiques sur « l’omniprésence », la « richesse » et le « pouvoir occulte » prétendu des juifs.
Dans le système capitaliste, la théorie raciste classique et l’antisémitisme, même si elles ont été forgé par les mêmes théoriciens, (du nationalisme, du colonialisme du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme), au même moment, donc avec la même matrice idéologique, dans l’europe du XIXe siècle, n’ont pas exactement la même fonction : le racisme classique visait à diviser les classes populaires mais aussi à justifier une politique impérialiste et coloniale (indigénat et esclavagisme), alors que l’antisémitisme visait à protéger la bourgeoisie en créant un bouc émissaire, tout en renforçant l’idée de nation par opposition à un « symbole » « antinational », forgé de toute pièce par la rhétorique nationaliste.Dans les deux cas, ce qu’ils ont de commun c’est d’être un outil au service de la domination.
[6] Voir sur ce point « A quoi sert l’identité nationale », de Gérard Noiriel, édition Agone.
[7] On peut distinguer 2 principales fractions :
Les assimilationistes, qui à l’instar d’Eric Zemmour, se fondent dans le nationalisme français et européen, par volonté d’assimilation.On peut faire le parallèle entre cette tendance et celle d’une fraction de la population juive algérienne, qui naturalisé par le pouvoir colonial français, s’est solidarisé avec le parti colonial contre les algériens, assimilant le racisme colonial français anti-arabe.En Algérie, le pouvoir colonial avait ainsi déjà utilisé la stratégie qui consiste à dresser 2 minorités nationales l’une contre l’autre, pour perpétuer le système coloniale et le système raciste de l’indigénat (voir point 3).
Les sionistes fascistes de la « Ligue de Défense Juive » qui affichent une sympathie de plus en plus marquée pour les identitaires, au nom d’un « front commun » contre « l’islamisation ».
[8] Sur ce point, voir « La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme », Zeev Sternhell
[9] Voir également « la naissance de l’idéologie fasciste » de Zeev Sternhell, Mario Sznajder, Maia Ashéri.
[10] Que certains de ces courants se revendiquent d’un prétendu « antiracisme » ethnodifférencialiste ne doit tromper personne : en acceptant l’assignation à une « race » ou une « ethnie » des personnes, il valident à la fois l’opposition au sein des classes populaires sur la base de critères biologiques ou culturels sélectionnés arbitrairement, mais aussi l’ensemble des stéréotypes qui sont liés à cette assignation ethnique et qui servent précisément de base à l’oppression raciste. Ils ne voient pas -refusent de voir ou font semblant de ne pas voir _que c’est aussi la classification racialiste qui reproduit dans le même mouvement la hiérarchisation raciste.
[11] Les travaux de Gustave Le Bon affirment « l’irrationalité de la foule », c’est à dire que les individus lorsqu’ils sont regroupés cessent de ce comporter de manière rationnelle. Ces travaux ont inspiré Georges Sorel, qui forge sa théorie des mythes comme outils de « mobilisation de la foule » dans l’histoire, une histoire conçue comme rapport de force, affrontement permanent dans une lecture darwiniste sociale (c’est à dire qui considère que les groupes humains s’affrontent pour la survie, les « meilleurs » dans la lutte survivant. C’est notamment cette approche antirationelle, associée au refus de remettre en cause la propriété privée, qui fera de Sorel l’un des contributeur principaux à la synthèse qu’est l’idéologie fasciste. En effet, il voit la lutte des classes non pas comme un phénomène existant du fait des intérêts contradictoire entre les classes sociales, mais comme un mythe qui permet de mobiliser, à l’instar de la grève générale, le prolétariat dans la lutte contre la société bourgeoise. Ce qu’il critique dans la société bourgeoise, ce n’est pas le capitalisme et la propriété privée qu’il considère comme indépassable, mais l’idéologie libérale, la démocratie, l’idée de l’égalité et du droit issu des lumières. L’antisémitisme joue un rôle dans son évolution puisqu’il considère que l’affaire Dreyfus, la mobilisation d’une partie du mouvement ouvrier contre le racisme antisémite au côté de la bourgeoisie libérale a amené à une atténuation de l’antagonisme de classe, et donc émoussé les capacités révolutionnaire du prolétariat, en rupture avec sa perception darwiniste sociale.
Cette approche associée au reflux des luttes du prolétariat, et la puissance mobilisatrice de l’idée de nation à la veille de la première guerre mondiale, l’amène à considérer que la nation est un mythe mobilisateur beaucoup plus efficace contre la « société bourgeoise » que l’approche classiste internationaliste. Il va dès lors se rapprocher des nationalistes de l’Action française à la recherche d’une « synthèse nationale » qui englobe le prolétariat, et qui transpose la lutte de l’affrontement entre les classes à l’affrontement, la guerre entre nations. C’est cette évolution à partir d’un socialisme « antirationaliste », anti-intellectualiste qui va conduire les partisans italiens de Sorel à le rejoindre dans la synthèse d’un socialisme idéaliste, mystique et du nationalisme, et à former le mouvement fasciste. Mussolini se réferera ainsi à Sorel comme l’un de ses maître à penser.
[12] Voir sur ce point « l’antisémitisme à gauche », de Michel Dréyfus, qui recense les expressions de l’antisémitisme à gauche, depuis l’émergence du mouvement socialiste. Si son approche est criticable pour certains amalgames sur la période récente, il n’en constitue pas moins une source très documentée qui relève la constance d’un discours antisémite au sein de la gauche (qui n’englobe pas toute la gauche mais qui existe de manière constante, plus ou moins fortement selon les époques) ,qui selon lui ne provient pas de la gauche mais qui reflète l’influence persistante de l’idéologie dominante à gauche.
[13] La stratégie de défense des racistes antisémites, dans ce cas, est d’amalgamer tous ceux et toutes celles qui soulignent le fait que tout ou partie de leur discours ne fait que recycler des thèmes antisémites récurrent avec des sionistes tentant de faire taire toute critique vis à vis d’Israel, ou avec des religieux ou des communautaristes visant à faire taire toute critique de la religion. On notera la proximité avec les tactiques des racistes islamophobes visant à faire passer toute critique soulignant le fait qu’ils recyclent des thèmes racistes à travers une prétendue critique de la religion musulmane pour des « islamogauchistes » ou des partisans des régimes réactionnaires religieux et théocratiques et des courants qui s’y rattachent.
C’est un fait que les sionistes amalgament toute critique du sionisme et d’Israel à de l’antisémitisme, et que les réactionnaires religieux amalgament toute critique de l’islam à de l’islamophobie.Il faut s’opposer à cette double tentative de faire taire les critiques antiracistes, anti-antisémistes, antireligieuse et anticolonialiste, d’un point de vue émancipateur. Cela ne doit pas conduire ni à cautionner des discours antisémites ou racistes, ni des discours réactionnaires religieux ou pro-colonialistes. L’anarchisme conséquent critique la religion comme idéologie, mais ne rentre pas dans une logique de hiérarchie entre religions et pour cela la critique de la religion comme idéologie de pouvoir peut et doit se tenir à l’écart des préjugés racistes et antisémites. De même, l’anticolonialisme anarchiste conséquent n’amalgame pas critique du sionisme, opposition au colonialisme israelien et antisémitisme, et refuse et dénonce toutes les tentatives de recycler un discours raciste antisémite sous prétexte « d’antisionisme ».
[14] Rappelons que la plupart des théories conspirationnistes actuelles qui circulent sont principalement diffusées par les fascistes américains, même si elles s’inspirent de théories identiques forgées notamment par les services secrets de la russie tsariste (L’okhrana, auteur notamment du faux antisémite, le « protocole des sages de sion », repris tout ou partie par une partie des conspirationnistes aujourdhui), ou par les nazis. Cela fait apparaître les prétendus « anti-impérialistes » qui les diffusent pour ce qu’ils sont : des alliés objectifs des capitalistes et des Etats.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire