mardi 20 septembre 2011

Origines et vicissitudes du « droit d’ingérence »


 cet article donne une idée de ce que de "grandes" organisations ont le "droit" de faire au nom de la sacro-sainte  "raison humanitaire"...moi je veux bien, mais...


En moins d’un mois, l’Organisation des Nations unies (ONU) a autorisé par deux fois le recours à la force, en Libye et en Côte d’Ivoire. Exceptionnelles, puisque la Charte de l’ONU prône le règlement pacifique des différends, ces décisions sont fondées sur la récente reconnaissance du « devoir des Etats de protéger les populations civiles ». L’ONU serait-elle en passe de valider un « droit d’ingérence » à géométrie variable ?

« J’ai donné l’ordre de prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’usage d’armes lourdes contre la population civile », déclare le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), M. Ban Ki-moon, le 4 avril 2011. Quelques heures plus tard, à Abidjan, les hélicoptères de combat de l’ONU et la force française Licorne se joignent à l’offensive des troupes de M. Alassane Dramane Ouattara contre celles du président sortant Laurent Gbagbo.

Dans les couloirs de l’organisation, à New York, cette décision suscite un certain malaise. Si la résolution (n° 1975) du Conseil de sécurité qui la fonde a été adoptée à l’unanimité, le 30 mars 2011, des fonctionnaires expriment des doutes quant au pouvoir du secrétaire général de donner un tel « ordre » (qui reviendrait au seul Conseil de sécurité) et soulignent l’ambiguïté de l’expression « mesures nécessaires ». La grande liberté que laisse celle-ci aux acteurs engagés au nom de l’organisation fait craindre des dérives. « Ce n’est pas dans la culture des Nations unies de mener des actions militaires fortes ou de prendre parti dans une guerre civile. La Libye, puis la Côte d’Ivoire : cela commence à faire beaucoup », confie un fonctionnaire qui souhaite garder l’anonymat (1). Un autre ajoute : « Il ne faudrait pas que le recours à la guerre se banalise. »

Dans les ruines encore fumantes de la seconde guerre mondiale, en 1945, les fondateurs de l’ONU ont conféré à la paix une valeur suprême. C’est pourquoi la Charte de l’organisation prohibe, par principe,« l’emploi ou la menace » de la force dans les relations internationales (article 2 § 4) (2). Elle confirme par ailleurs la règle de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats souverains (article 7 § 1).

Souvent décriée aujourd’hui, cette règle visait initialement la préservation de la stabilité internationale. En effet, les grandes puissances n’hésitaient pas autrefois à intervenir militairement dans des pays étrangers sous les prétextes les plus divers (protection de nationaux, recouvrement de dettes, lutte contre l’hégémonie réelle ou supposée d’un pays voisin, intérêts commerciaux...), commettant au passage toutes sortes de crimes.

Comme le rappelle le juriste belge Olivier Corten, « le principe de non-intervention est le fruit d’un combat historique remporté par les Etats les plus faibles. Tout au long du XIXe siècle, ils ont subi un colonialisme et un impérialisme qui aimaient eux aussi à se parer de la défense des valeurs de la “civilisation”. Plus spécifiquement, l’argument humanitaire a très souvent été invoqué pour justifier des actions militaires des Etats occidentaux, à l’encontre de l’Empire ottoman, en Afrique ou en Extrême-Orient… (3) ».

Seules deux exceptions sont admises à l’interdiction générale posée par le paragraphe 4 de l’article 2 : la légitime défense (article 51) et les mesures adoptées par le Conseil de sécurité « en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’actes d’agression » (chapitre VII).

Dans tous les cas, le droit de l’ONU impose de rechercher un« règlement pacifique des différends » avant tout recours à la force (chapitre VI) afin d’éviter le fléau de la guerre : médiation, mission de bons offices, commission d’enquête, groupe de contact, saisine de la Cour internationale de justice (CIJ)... La guerre du Golfe, en 1990, fut ainsi précédée d’un ballet diplomatique intense. Ce fut aussi le cas en 2011 pour la Côte d’Ivoire, mais pas pour la Libye. Des sanctions non militaires peuvent également être décidées par le Conseil de sécurité, mais pas par un Etat sans autorisation internationale : embargo (Irak), gel des avoirs et interdiction de voyager des dirigeants (Libye, Côte d’Ivoire), etc. Le pays contrevenant peut aussi faire l’objet d’une exclusion temporaire par une organisation internationale (la Libye par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la Côte d’Ivoire par l’Union africaine en 2010).

En outre, la Cour pénale internationale (CPI), instaurée en 2002, peut, pour la première fois, poursuivre des chefs d’Etat en exercice, en écartant leur immunité diplomatique pour les infractions les plus graves (crimes de guerre, contre l’humanité et d’agression). Députée puis commissaire européenne, Mme Emma Bonino estime que la CPI peut jouer un rôle dissuasif en faisant s’évanouir les rêves d’impunité des criminels de guerre (4). Si trois membres permanents (Etats-Unis, Chine, Russie) sur cinq n’ont pas reconnu la CPI, cela n’a pas empêché le Conseil de sécurité de saisir la Cour contre le président soudanais Omar Al-Bachir. « Il est rare, remarque le philosophe Tzvetan Todorov,que la vie politique soit réduite à des options tellement cruelles, et ce n’est pas vrai qu’il faille nécessairement choisir entre la lâcheté de l’indifférence et le chaos des bombardements. Une telle issue s’impose uniquement si l’on décide au départ qu’agir signifie “agir militairement”. Il existe des formes d’intervention autres que les attaques militaires (5). »



Précipitation française

Les principes consacrés en 1945 n’ont pas, comme par enchantement, répandu la paix dans le monde, et la seconde moitié du XXe siècle fut traversée de nombreux conflits meurtriers. Ils manifestent néanmoins la conscience des dangers inhérents à tout recours à la force. Pour Corten, « si la Charte des Nations unies n’a pas fait disparaître ces pratiques [impérialistes], elle a au moins donné la possibilité aux Etats attaqués d’invoquer le droit pour s’opposer à la force ». Pour justifier malgré tout la guerre, les puissances ont souvent su faire preuve de créativité : Israël argua d’une prétendue « légitime défense préventive » contre l’Egypte en 1967, tout comme le firent les Etats-Unis contre l’Irak en 2003.

Depuis leur création, les Nations unies ont autorisé l’usage de moyens de coercition armée — en vertu du chapitre VII — vingt et une fois, l’intervention en Corée en 1950 constituant une opération emblématique (lire « Soixante ans d’opérations »). Il s’agit alors de remédier à la mise en échec d’un objectif cardinal, le maintien de la paix, par d’autres moyens. Les raisons de recourir à la force doivent donc être impérieuses, et seul le Conseil de sécurité peut l’autoriser. En 1990, l’annexion du Koweït par l’Irak constituait une violation caractérisée dudroit international, qui prohibe les extensions de territoire par la force, et une agression évidente contre un Etat membre de l’ONU, même si les puissances désireuses d’intervenir n’étaient pas exemptes de motivations géopolitiques.

Depuis la fin de la guerre froide, les possibilités légales d’utiliser des moyens armés semblent s’étendre. Si le principe d’un « droitd’ingérence », voulu par le juriste italien Mario Bettati ou par l’homme politique français Bernard Kouchner, n’est pas reconnu en tant que tel par le droit international (6), l’action humanitaire fait partie des motivations pouvant autoriser le recours à des moyens militaires. En particulier, la nécessité de secourir des populations victimes de leur propre Etat (en raison de ses carences, comme en Somalie en 1993 et en Côte d’Ivoire en 2011, ou de son action violente, comme en Libye en 2011) est explicitement entrée dans l’arsenal juridique de l’instance onusienne. En 1988, l’Assemblée générale de l’ONU avait ouvert la voie pour les organisations non gouvernementales (ONG) (7). En 2005, l’Assemblée générale a reconnu le « devoir des Etats de protéger les populations civiles » ; puis, en 2006, le Conseil de sécurité a renforcé les obligations des gouvernements envers les civils en période de conflit armé, y compris lorsque ce dernier ne revêt pas, de prime abord, une dimension internationale (8). Ecartant la reconnaissance d’un devoir général d’ingérence aussi flou que dangereux — le bilan pour le moins mitigé des opérations en Bosnie (1992) et en Somalie (1993) incite à la prudence —, les Nations unies tentent ainsi de clarifier les critères encore assez vagues autorisant une action armée.

En apparence simple, logique et justifiée, l’intervention militaire pour la défense des droits fondamentaux comporte en effet des zones d’ombre et suscite toujours la polémique. La Russie, la Chine et l’Inde se sont abstenues lors du vote sur l’intervention en Libye, tandis que l’Allemagne s’y opposait. Les Etats-Unis s’y sont ralliés à contrecœur. La tension est perceptible au sein même de l’Alliance atlantique, dorénavant chargée de piloter les opérations. La précipitation du président français Nicolas Sarkozy lui a d’ailleurs valu des comparaisons peu flatteuses avec M. George W. Bush, notamment dans la presse britannique et américaine. Les représentants de l’Inde à l’ONU ont demandé à « disposer de plus de temps pour examiner les projets de résolution [autorisant le recours à la force], ce qui permettrait aux pays fournisseurs de contingents de donner leur point de vue en ce qui concerne l’usage de leurs soldats (9) ».

S’agissant d’opérations armées qui, par définition, peuvent provoquer la mort, les perturbations internationales paraissent inévitables. Recourir à des engins meurtriers, quel que soit le motif invoqué, constitue toujours un échec pour les droits fondamentaux : pour défendre certains civils, on met en danger d’autres civils. C’est pourquoi de nombreux juristes rejettent l’expression de « guerre juste » (passée des écrits de saint Augustin (10) aux discours de M. Bush) ou celle de « guerre humanitaire ». La Commission internationale ad hoc, mise en place en 2000, lui préfère celle d’« intervention militaire avec pour objectif la protection humanitaire (11) ».

Cette formule un peu longue présente l’avantage de ne pas masquer la réalité en confondant deux registres de discours (libertés fondamentales et violence armée) dans un manichéisme commode. Vice-président du Comité international de la Croix-Rouge, M. Jacques Forster fait part de ses craintes : « L’expérience démontre que, lorsque l’humanitaire est confondu avec une action politique ou militaire, il contribue bien plus à alimenter les confits qu’à y mettre un terme (12). » Signe peut-être d’un certain malaise, les politiques et les médias abusent des euphémismes : on ne bombarde pas, on effectue des « frappes » ; on ne fait pas la guerre, on « lance des opérations militaires ». Les images des combats en Libye et en Côte d’Ivoire demeurent étrangement peu nombreuses dans un monde qui en déglutit pourtant en permanence.

Les opérations militaires comportant toujours une part d’incertitude, le périmètre de l’action autorisée par le Conseil de sécurité suscite lui aussi la controverse. La crainte d’un engrenage (Côte d’Ivoire) ou d’un enlisement (Libye) le confirme. « A quel moment cette guerre sera-t-elle considérée comme gagnée ? », s’interroge, dubitatif, le fondateur de Médecins sans frontières, M. Rony Brauman, à propos du conflit qui oppose les insurgés au régime de Tripoli (13). Moscou et Pékin estiment dorénavant que les actions menées outrepassent le mandat attribué par l’ONU, auquel ils ne se sont pas opposés comme ils l’auraient pu.

De l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne on serait passé à une intervention visant à abattre le régime libyen. Les présidents Barack Obama et Sarkozy, ainsi que le premier ministre britannique David Cameron, ne s’en cachent d’ailleurs plus (14). Or un tel objectif est incompatible avec la Charte des Nations unies, qui, en vertu des principes de non-ingérence et de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, réserve cette option aux populations concernées. Même si M. Mouammar Kadhafi présente toutes les caractéristiques d’un tyran, chacun peut trouver, dans des circonstances moins claires, tel ou tel dirigeant plus ou moins à son goût. Tout en ayant approuvé la résolution n° 1975, l’Inde a ainsi tenu à préciser que « les soldats de maintien de la paix ne devaient en aucun cas devenir l’instrument d’un changement de régime en Côte d’Ivoire ». Le « devoir de protéger les populations civiles » ne serait-il que le masque du « devoird’ingérence » ?

En s’opposant de prime abord à l’intervention militaire en Libye, l’Allemagne a souligné le peu d’informations dont dispose le Conseil de sécurité concernant la situation sur le terrain et la nature réelle de l’insurrection armée : révolte tribale ou expression politique du peuple en lutte contre un régime oppressif ? D’autres ont mis en garde contre une « magie des armes », qui seraient capables de résoudre à elles seules des problèmes politiques. « Les droits de l’homme ne sont pas une politique, et l’opposition canonique entre les droits de l’homme et la realpolitik est une impasse. Il y a une politique tout court, qui est l’art de vouloir les conséquences de ce que l’on veut », estime ainsi M. Brauman. Selon lui, les insurgés libyens « se font des illusions sur notre capacité à redresser la situation à leur profit ». Et « ce sont eux qui en paieront le prix ».

Des ONG et des personnalités critiquent également le « deux poids, deux mesures » international. La Ligue arabe demande, quant à elle, une zone d’exclusion aérienne sur Gaza, où les bombardements israéliens tuent régulièrement des civils. Il y a fort à parier qu’elle ne l’obtiendra pas. Le Conseil de sécurité constitue en effet une instance politique qui apprécie de manière discrétionnaire les positions à adopter et les résolutions à appliquer.

Les décisions de ce « directoire mondial » sont contraignantes (contrairement à celles de l’Assemblée générale) et échappent à tout véritable contrôle juridictionnel. Seule la pression des médias et des associations peut faire contrepoids, mais cela reste aléatoire. On voit ainsi souvent la presse, comme aux Etats-Unis en 2003 ou en France en 2011, suivre son gouvernement sur les sentiers de la guerre, participant au conditionnement de l’opinion. Dans le cas de la Libye, les médias ont presque devancé la réaction politique.

De même, certains « humanitaires », tel M. Kouchner, ne craignent pas le contre-emploi en soutenant plus souvent qu’à leur tour des actions armées. A noter que la division des membres permanents peut parfois empêcher l’autorisation de recourir à la force : ce fut le cas en 2003, lorsque la France s’opposa à la guerre en Irak avec le soutien plus discret de la Russie et de la Chine. Cela étant, si le Conseil semble aujourd’hui enclin à élargir son champ d’action, ses résolutions demeurent contingentes (et donc réversibles), et la Charte des Nations unies, texte suprême, n’a pas été révisée en ce qui concerne l’emploi de la force. Les interventions actuelles s’inscrivent donc dans un cadre juridique évolutif et incertain.



L’idée d’un pacifisme actif

Un soupçon d’arbitraire plane inévitablement. En 1990, les Etats qui eurent recours à la force en Irak sur mandat international n’étaient certainement pas exempts d’arrière-pensées s’agissant d’une région stratégique. De même, le soutien militaire de Paris, ancienne puissance coloniale, aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) de M. Ouattara n’échappe pas à des préoccupations strictement hexagonales, tant la Côte d’Ivoire est une pièce maîtresse sur l’échiquier des intérêts français en Afrique de l’Ouest. On sait d’ailleurs que l’« ordre » donné par M. Ban fut précédé d’une conversation téléphonique avec M. Sarkozy. L’ONU se révèle bien utile lorsqu’on a déjà décidé d’intervenir et qu’on est le seul à pouvoir le faire : « En cas de problème, à qui feront-ils appel ? A nous, bien sûr », commentait un gradé français, mi-cynique, mi-inquiet (15). « Jamais, au cours de l’histoire de l’humanité passée et présente, insiste le professeur David Sanchez Rubio, de l’université de Séville, on n’a assisté à un acte supposé d’ “intervention humanitaire” avec pour but exclusif ou principal d’éviter une situation de violation massive et systématique des droits de l’homme (16). » Le problème est alors le suivant : peut-on fonder un système juridique sur des principes dont on sait à l’avance qu’ils seront à géométrie variable ?

Certains estiment qu’une meilleure représentativité, notamment géographique, du Conseil de sécurité éloignerait les écueils de l’arbitraire — l’Afrique du Sud ou le Brésil pourraient y faire leur entrée (17) ; d’autres, que ces défauts sont inhérents à la position institutionnelle du Conseil. On regrette aussi souvent que l’état-major permanent prévu par la Charte de l’ONU n’ait jamais été mis en place. Derrière ces interrogations s’en profilent de plus profondes : existe-t-il une forme de représentativité internationale incontestable qui légitimerait un gouvernement mondial ? Les Nations unies peuvent-elles être autre chose qu’un lieu de confrontation pacifique où se rapprochent les points de vue et où se construit petit à petit une normativité internationale consentie ?

De nombreux juristes estiment d’ailleurs que les promoteurs du devoird’ingérence se méprennent : le droit international contemporain n’a jamais érigé la souveraineté en forteresse imprenable. « On ne peut en aucun cas prétendre qu’il serait “licite” pour un Etat de massacrer sa population sous le prétexte que tout ce qui se passe à l’intérieur des frontières relève de ses “affaires intérieures”, souligne Corten. La totalité des Etats ont formellement reconnu qu’ils devaient respecter des principes fondamentaux comme le droit à la vie, le respect de l’intégrité physique ou l’interdiction du génocide, à l’égard de leurs propres ressortissants et donc sur leur propre territoire. C’est “souverainement” qu’ils ont décidé de s’engager, et c’est dès lors “souverainement” qu’ils doivent respecter leurs obligations (18). » Le problème serait donc plus politique que juridique.

Les Nations unies, pour insuffisantes qu’elles soient, sont fondées sur l’idée d’un pacifisme actif. Il s’agit de promouvoir une culture de la coopération, du dialogue, de la réciprocité, de la « contrainte sociale », obligeant les acteurs au respect de normes communes et de l’« horizontalité », par opposition à la logique hiérarchique de la puissance. Aussi naïfs que ces objectifs puissent paraître, ils imposent de rechercher progressivement des solutions de rechange aux rapports de forces qui fondent ce qui demeurera pour longtemps encore une société et non une « communauté » internationale. Cela implique le respect de la souveraineté populaire lorsqu’elle s’exprime (le gouvernement français continue d’accorder son soutien à des régimes qui manipulent ouvertement les élections en Afrique) et l’ouverture d’un périmètre des discussions encore trop souvent monopolisé par les puissances occidentales. Estimant que son point de vue n’était pas suffisamment pris en compte, le président de la Commission de l’Union africaine, M. Jean Ping, a ainsi manifesté son agacement en refusant de se rendre au sommet de Paris sur la Libye, le 19 mars 2011. Le pacifisme actif exige aussi un véritable pluralisme médiatique permettant l’expression de points de vue opposés, comme le succès de WikiLeaks en révèle le besoin. Il requiert également un certain recul historique que les dirigeants actuels ont peut-être perdu.

Enfin, la prévention des conflits ne se limite pas au règlement pacifique des différends (chapitre VI), même si celui-ci doit être renforcé à l’heure où le recours à la force semble revenir à la mode. Qu’en est-il, par exemple, des logiques intrinsèquement violentes de l’ordre économique mondial dont les pays du Sud — où se déroulent la plupart des interventions internationales — souffrent particulièrement ?« L’intervention humanitaire comprise dans son intention réelle d’éviter les violations des droits de l’homme, écrit l’économiste et théologien de la libération Franz Hinkelammert, implique une action directe, militaire, pour faire face à des situations limites d’élimination directe, grave, massive et immédiate de vies humaines. Dans le quotidien “normal”, nous vivons déjà dans un contexte d’élimination indirecte, grave, massive et [prévisible] des vies. On ne considère comme anormale que l’agression directe contre la vie de certaines personnes, mais on ne réagit pas face aux effets indirects d’autres actions qui n’ont en apparence aucune intention d’exterminer des êtres humains (19). » Rappelons que, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un milliard d’êtres humains souffraient de la faim en 2010. De fait, ceux qui sont en mesure de mener des opérations armées au nom de l’ONU sont aussi ceux qui ferment la porte à toute réforme d’envergure des règles du commerce international ou à la reconnaissance effective de droits sociaux aux populations pauvres des pays du Sud. Or les libertés sont aussi le produit des rapports économiques tissés d’un bout à l’autre de la planète.« Quand l’être humain n’a pas de valeur, estime Rubio, c’est une étrange pratique que de vouloir le sauver à coups de bombes et/ou d’armes humanitaires (20). »

Anne-Cécile Robert

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