jeudi 15 mars 2012

Ce monde arrivera à faire mourir de faim ceux qui le nourrissent




«J’ai le sentiment que certaines personnes n’attendent qu’une seule chose : notre chute», accuse Christophe Girard, éleveur laitier âgé de 51 ans. Dans une lettre ouverte aux candidats à l'élection présidentielle, il décrit son attachement à son métier et explique ses difficultés, «pour que les choses changent».



Cette lettre a pour but de vous interpeller sur une situation alarmante. Elle a pour vocation de vous exposer ma problématique mais je pense quelle s’intègre dans un cadre plus général.

Je suis un petit agriculteur laitier de 51 ans, à la tête d’une exploitation de 84 hectares. J’ai commencé à travailler sur cette exploitation à l’âge de quatorze ans, lorsque mon père est tombé malade. Il est décédé par la suite. Je me trouve aujourd’hui dans une situation financière difficile, doublée d’un état de santé extrêmement dégradé.

Depuis quatorze ans, mon état tant physique que moral ne cesse d’être un problème pour continuer à m’occuper de l’exploitation. J’ai subi cinq opérations chirurgicales du dos. A l’heure actuelle, j’ai une reconnaissance d’invalidité d’un médecin conseil de 20 %, me donnant droit à une rente de 600 euros environ par trimestre. Cette reconnaissance a été compliquée à obtenir puisque j’ai dû faire appel d’un premier avis d’un médecin conseil «véreux», lequel avait fixé préalablement le taux d'invalidité à 12%. Il y a un an, on m’a diagnostiqué une fibromyalgie, syndrome caractérisé par des douleurs diffuses dans tous le corps associées à une grande fatigue et à des troubles du sommeil. Cette maladie empêche les personnes qui en sont atteintes d’effectuer leur activité quotidienne. La situation ne cesse de se dégrader depuis lors, mon état de santé m’empêchant régulièrement d’effectuer mon travail, ce qui dégrade en plus mon moral. Je suis un traitement médicamenteux très lourd et je dois me déplacer régulièrement sur Poitiers (toutes les deux semaines) pour suivre un traitement expérimental au CHU. Je tiens à préciser que ces déplacements ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale. J’ai constitué un dossier fin 2011 à la MSA pour revoir ma situation d’invalidité. A ce jour, je n’ai toujours pas de réponse officielle.

Depuis, la situation financière se dégrade de plus en plus. Mon état de santé m’a obligé à prendre un salarié pendant neuf ans. Mais cette dégradation financière ne m’a pas permis de faire perdurer ce contrat de travail et cette relation humaine. Je ne pouvais plus le rémunérer. En plus des indemnités de licenciement dues au salarié (ce que je comprends tout à fait), j’ai dû reverser une indemnité de formation de 5 000 euro à Pôle emploi afin qu’il puisse se former (ce dont il n’a pas profité). Ne pouvant pas régler cette somme importante en une seule fois, j’ai dû demander un échéancier, ce qui m’a valu de payer des intérêts.

Ces difficultés financières sont accentuées par une obligation de rémunérer un organisme de conseil et d’expertise comptable (Cerfrance) pour défendre ma cause. Pour un retard de paiement lié à ces problèmes financiers, mon assurance à qui je suis fidèle depuis 35 ans et à qui je verse une somme de 5 000 euros par an, refuse cette année de m’assurer. J’ai bien conscience de la bonne volonté des personnes avec qui j’ai l’habitude de traiter, mais le siège de cette assurance refuse ma situation. Enfin, je n’ai pu bénéficier des primes et aides en raison de la sécheresse (contrairement aux exploitants voisins) parce que ma situation d’agriculteur laitier me permettait d’avoir une rentrée d’argent. Mon exploitation a pourtant été touchée, tout comme les exploitations voisines, par cet épisode climatique.

Aujourd’hui, je défends un projet sur mon exploitation qui a une double finalité. Je souhaite mettre l’exploitation aux normes et améliorer nos conditions de travail tout en assurant la continuité et la viabilité de mon métier, ma passion, mon histoire personnelle et familiale. J’ai choisi cette année de former un apprenti, Victor Prêt, extrêmement motivé, afin de lui transmettre mon expérience, mes compétences, mes valeurs, ma philosophie de ce beau métier mais aussi mon exploitation. Afin de financer ce projet, j’ai fait des demandes de prêt à la banque à laquelle je suis également fidèle depuis de nombreuses années. Cependant, au vu de mon état de santé et de mes gros problèmes financiers, ma banque tarde à m’accorder un prêt soit sans assurance, soit avec une assurance à un prix exorbitant.

Aujourd’hui, quel avenir proposons-nous au monde agricole? Je souhaite défendre la cause des petites exploitations agricoles qui peuvent répondre à une demande montante de production réfléchie, de qualité, qui ne correspond pas à une agriculture intensive dont on constate les méfaits aujourd’hui. Dans une région qui promeut l’agriculture et la transmission du métier aux jeunes, quelles aides sont mises à disposition pour nos jeunes qui souhaitent s’installer, qui ont la passion de ce métier et le courage de le choisir, surtout quand ils ne sont pas originaires de ce milieu (ce qui est le cas de mon apprenti mais aussi de nombreux jeunes que j’ai eu l’occasion de rencontrer)? Je ne peux pas, à l’heure actuelle, rémunérer régulièrement mon apprenti mais celui-ci reste motivé et toujours aussi passionné par le métier.

Aujourd’hui, je ne suis pas satisfait par la place faite à ce sujet dans le débat électoral et des propositions des candidats. Certes, il concerne une faible part de la population en matière d’emploi mais il correspond à un vrai enjeu de société et une vraie problématique de consommation. Je ne suis plus syndiqué, leurs actions n’étaient pas adaptées à ma situation et à mon exploitation. Je souhaite pouvoir faire vivre ma petite exploitation et tiens à rembourser mes créanciers. Humainement, j’ai le sentiment qu’on ne considère pas ma maladie et ma situation. Nous n’arrivons pas à gagner notre vie mais nous sommes obligés de nous lever tous les matins pour effectuer notre travail. J’ai le sentiment que certaines personnes n’attendent qu’une seule chose: notre chute.

Je souhaite assurer un avenir à ma famille, à mes deux fils, pour qu’ils puissent effectuer les études dont ils ont envie. J'ai envie que mon travail leur permette de les payer. Cette situation fait souffrir mon entourage: ma femme, mes fils, la famille, les amis... heureusement pour nous, notre vie sociale et la solidarité de notre entourage nous permettent de continuer à vivre.

Chaque année, 800 agriculteurs se suicident, se cachent pour mourir, sans rien dire. Je choisis de prendre la parole, de dévoiler ma situation, d’exposer ma vie en m’exposant également au risque de subir une grosse déception, pour que les choses changent! Aujourd’hui, je demande votre aide et une réponse concrète de votre part mais sachez que si cette démarche n’aboutit pas, je suis prêt à entamer une action plus radicale. Je souhaite conserver mon exploitation et la transmettre afin de perpétuer mon histoire, mon patrimoine, mes valeurs, ma vie.

Ce monde arrivera à faire mourir de faim ceux qui le nourrissent !

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