lundi 19 mars 2012

Contre la haine, nos fraternités



Une haine meurtrière défie désormais la France, sa République et sa campagne présidentielle. Précédée des meurtres de militaires à Toulouse et Montauban auxquels elle serait reliée, la tuerie antisémite de Toulouse est peut-être l’œuvre d’un fou. Mais, dans ce cas, sa folie est d’époque. D’une époque où l’on s’habitue à diviser l’humanité plutôt qu’à la rassembler, où l’on attise les violences plutôt que d’apaiser la société. Et c’est cette folie qu’il importe de conjurer d’urgence, en convoquant la raison contre la peur et la fraternité contre la haine.

« Un dieu rôde derrière le fait divers », a un jour écrit Roland Barthes, pour souligner sa force énigmatique, ravageuse et irrationnelle, qui nous désarçonne tant nous nous sentons impuissants à le déchiffrer. Mais ce dieu du fait divers est aussi bien un diable, capable de faire basculer nos destins en nous plongeant dans l’aveuglement et l’effroi, rompant les amarres de la raison pour les flots d’une déraison apeurée. Depuis les terrifiants assassinats ayant visé les enfants et les enseignants d’un établissement scolaire juif toulousain, ce diable s’est invité dans la campagne présidentielle sous l’apparence d’un tueur de sang-froid, casqué et motorisé.

Il faut espérer qu’enquêtes policières et instructions judiciaires réussissent à éclairer au plus vite l’énigme de ces meurtres dont ont été victimes trois enfants et un adulte parce qu’ils étaient juifs, ainsi que quatre militaires qui, outre leur uniforme, avaient en commun de témoigner de la diversité de notre peuple, par leurs origines maghrébine ou antillaise. Sommes-nous bien en présence des actes d’un individu isolé, comme le laissent supposer les premières constatations ? A-t-il agi par antisémitisme d’un côté et, de l’autre, par détestation d’une armée française engagée en Afghanistan face à un peuple musulman ? Ou bien agit-il par racisme dans les deux cas, contre l’école juive et contre les militaires, comme le suggère l’évocation par Le Point d’une piste néo-nazie ?

A ce stade, nous n’en savons rien. Mais, quelle que soit l’hypothèse retenue, nous pressentons qu’une haine inextinguible est au ressort de ces meurtres. Ce tueur est peut-être un fou solitaire, sans autre motivation que la folie criminelle qui l’habite. Malgré l’horreur de ses actes, peut-être n’est-il qu’un spécimen isolé d’une humanité perdue au point de nier l’humanité elle-même, un assassin dont les crimes n’ont d’autre signification que sa folie. Mais peut-être est-il aussi un fou d’idéologie, un fou saisi par ces passions meurtrières qui, ces dernières années, n’ont cessé de travailler notre modernité, diffusées et alimentées par les tenants des guerres d’identités, chocs de civilisations et affrontements de religions.


Passion républicaine contre politique de la peur

Dans leurs dérèglements de l’ordinaire quotidien, les faits divers révèlent les malaises profonds des sociétés. Ce qu’elles mijotent à petit feu, ce qu’elles macèrent en silence, ce qu’elles laissent suppurer. Qu’il se croie djihadiste, ou néo-nazi, ou rien du tout, fou de sa folie personnelle ou fou d’idéologies meurtrières, l’assassin de Toulouse et Montauban nous renvoie en miroir les déraisons auxquelles nous nous sommes habitués, dans la banalité d’une vie publique dégradée où violences et divisions, transgressions et discriminations ont trop souvent droit de cité.

Ces crimes nous sont insupportables et, en même temps, nous devons admettre qu’ils ne nous sont pas étrangers. Car ils sont ceux d’une époque et d’un pays, les nôtres, où l’on s’est par trop habitué à ces discours, ces paroles et, parfois, ces actes qui mettent en exergue tout ce qui différencie les êtres humains, les divise et les éloigne les uns des autres, plutôt que ce qui les rapproche, leurs ressemblances partagées ainsi que leurs communes conditions. Où l’on s’est accoutumé, sans réagir outre mesure, à entendre souligner ce qui distingue plutôt que ce qui rassemble.

Il est temps de nous ressaisir et, sous le choc de l’émotion, de retrouver le chemin d’une concorde républicaine en lieu et place de cette guerre de tous contre tous qui fermente sous l’aigreur de la déraison politique à l’œuvre ces temps derniers – identité nationale contre origine étrangère, civilisations supérieures contre religions inférieures, racines chrétiennes contre invasion musulmane, etc. Oui, temps de nous rappeler, en lui donnant une nouvelle jeunesse, ardente et communicative, que la République, dans son idéal d’égalité démocratique et sociale, est supposée ne faire aucune distinction selon l’origine, l’apparence ou la religion.

Sinon le pire est à craindre. Dans une démocratie fragile, doutant d’elle-même, travaillée par l’incertitude et bousculée en son sommet, des actes insensés comme ceux de Toulouse et Montauban sont de potentiels accélérateurs de régressions. Par-delà les motivations de leurs auteurs, ils font toujours la politique de la peur. De ceux qui parient sur la peur et la haine, agitent l’une contre l’autre et prétendent rassurer en inquiétant. « Ayez peur, et nous nous occupons du reste ! » disent-ils en fondant tous leurs espoirs sur cette démobilisation démocratique.

A nous tous de leur répondre, par la raison mobilisatrice de nos passions républicaines. De celles qui rassemblent, confortent et unissent cette humanité universelle d’hommes et de femmes libres et égaux en droit, tout simplement parce qu’ils sont nés tels.

Edwy PLENEL 

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