vendredi 30 mars 2012

Le financement fantôme de l'appartement de Sarkozy



Nicolas Sarkozy est donc à la tête d’un patrimoine de 2,7 millions d’euros, selon sa déclaration faite au Conseil constitutionnel, publiée au Journal officiel samedi 24 mars. Une bonne partie de ce patrimoine résulte de la vente en 2006, contre 1,933 million d’euros, d’un duplex de 216 m2 acquis en 1997 avec Cécilia Sarkozy sur l’île de la Jatte, une superbe oasis face au quartier d'affaires de la Défense.

Mais ce sont les conditions d’achat de ce bien qui restent floues. Avec quel argent l’appartement a-t-il été financé ? À l'issue de notre enquête, il apparaît que plus de 3 millions de francs restent d'origine inconnue. En dépit de plusieurs relances, le président de la République n’a pas répondu à nos questions. Valentine Oberti, envoyée spéciale de Mediapart, a tenté d'interroger Nicolas Sarkozy à l’occasion de son déplacement dans le Gard ce 29 mars. Le président pose la main sur la caméra pour l’empêcher de filmer. Puis Valentine Oberti se fait écarter par le service d’ordre. Une telle absence de transparence renforce les doutes sur cette transaction.








À notre connaissance, Nicolas Sarkozy ne s’est exprimé qu’une seule fois sur le sujet. C’était dans L’Express, le 24 janvier 2007. À l’époque, il avait officiellement fait savoir à l’hebdomadaire que cet appartement, acheté 5,4 millions de francs, avait été financé, après un premier dépôt de garantie de 270 000 francs, grâce à deux prêts : l’un accordé par une banque (à hauteur de 1,6 millions de francs). L’autre par l’Assemblée nationale, pour plus de 3 millions de francs.

Jusqu’en 2010, les députés étaient en effet en mesure, lors de l’acquisition d’un bien immobilier, de demander un prêt auprès de leur Assemblée, à des conditions très avantageuses. Sauf que : nous avons demandé au bureau des hypothèques de Nanterre l'acte de vente, daté du 24 octobre 1997. Et voici ce qu'il est dit à la page 20, sur l'origine de l'argent permettant de financer l'achat :




Pas un mot sur le prêt qu’aurait consenti l’Assemblée nationale. Interrogée, celle-ci explique pourtant que ces prêts aux logements étaient assortis de garanties réelles, type hypothèques. Ils devraient donc figurer dans les actes de vente notariés, comme nous l’a confirmé la chambre des notaires de Paris. Ici, rien. Comme si ce prêt n’existait pas. Voici la réponse faite par les services de l'Assemblée :




De plus, selon l’Assemblée nationale, « le montant maximum de l’enveloppe (pour les prêts au logement), revalorisé chaque année en fonction de l’indice national du bâtiment, s’élevait en dernier lieu à 288 147 euros en janvier 2010 ». Un calcul tout simplepermet donc de comprendre qu’en octobre 1997, au moment de l’acquisition de l’appartement, un député ne pouvait pas emprunter plus de 196 000 euros, soit 1,183 million de francs. Presque trois fois moins que les quelque 3 millions de francs évoqués par Nicolas Sarkozy. L’incohérence est majeure.


Seul un juge peut exiger le document de l'Assemblée


Impossible d'en savoir plus côté Assemblée nationale. Au nom du secret bancaire, celle-ci ne livre aucun document nominatif. Et hormis un juge, nul n’est en théorie en mesure de les exiger. Ce qui ne va pas sans poser problème. Ces prêts peuvent en effet constituer des réponses bien pratiques pour les parlementaires qui n’ont pas envie de s’expliquer sur les financements de leurs acquisitions immobilières. La commission pour la transparence de la vie financière, censée contrôler les évolutions de patrimoine des élus (pour vérifier qu’ils ne se sont pas indûment enrichis pendant leur mandat), s’en est émue dans son dernier rapport, paru en janvier. Elle regrette de n’avoir aucun moyen de contrôler les déclarations des parlementaires. La commission n’a même pas connaissance des typologies de prêts existants.

Cela est d’autant plus gênant que, même quand elle s’en tient aux principes, l’Assemblée nationale raffole des cachotteries. Dans la réponse officielle qu’elle nous a envoyée, son administration fait état de prêts à 2 % sur dix ans. Alors qu’en réalité, d’après les prêts que nous avons pu consulter auprès d’autres députés, le taux d’emprunt était certes de 2 % pendant cinq années ; mais de 0 % pendant les cinq autres.

Peu importe en l’occurrence : l’absence de mention dans l’acte de vente, tout comme le montant hors clous, interrogent sur l’existence même de ce prêt. D’ailleurs le document notarié prolonge ce flou. On y trouve une formule pour le moins inhabituelle au vu de son manque de précision : « L’acquéreur déclare avoir décidé de payer tout ou partie de son prix, soit la partie payable comptant, soit la partie payable à terme, soit l’une et l’autre, au moyen d’un ou plusieurs prêts d’argent. » S’ensuit une mention manuscrite signée de la main de Nicolas Sarkozy : « Je déclare avoir obtenu l’ensemble des prêts nécessaires au financement de mon acquisition et je reconnais que si contrairement à cette déclaration, je venais à solliciter un autre un prêt (sic) pour acquitter le solde de mon prix, je ne pourrais me prévaloir des dispositions de l’article L312-17 du code de la consommation. »



En clair, Nicolas Sarkozy dit qu’il fait du paiement son affaire. Mais sans expliquer comment, au-delà des 270 000 francs versés lors de la réservation de l’appartement, et du prêt de 1,6 million de francs consenti par la Société générale.

Plus de quinze années après l’achat, nul ne sait donc comment le président de la République a financé son appartement, et ainsi constitué une grande partie de sa fortune personnelle.


Enquête classée par Philippe Courroye


Lors de la campagne de 2007, Le Canard enchaîné avait révélé que le prix officiel de quelque 5,4 millions de francs était déjà anormalement faible, de 12 à 35 % moins élevé, selon l’hebdomadaire, que ceux constatés lors de transactions réalisées au même moment dans la même résidence.

Le couple Sarkozy avait en outre bénéficié de travaux restés à la charge du promoteur pour un montant de 925 000 francs, sans compter 500 000 francs de ristourne sur d'autres travaux d'aménagement, ajoutait le journal satirique. De quoi soupçonner une prise illégale d’intérêts puisque le promoteur Lasserre, qui avait vendu l’appartement, avait parallèlement bénéficié de marchés dans la ville de Neuilly, dont Nicolas Sarkozy a été maire entre 1983 et 2002.

En 2007, Nicolas Sarkozy avait contesté les rabais et affirmé que le prix était conforme à une enquête qu’il avait demandée lors de l’achat à la Direction des services fiscaux des Hauts-de-Seine Nord. Une enquête qu’il n’a jamais produite. Ce qui n’a pas empêché le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, de classer très vite sans suites l’enquête préliminaire qu’il avait ouverte.

Aujourd’hui, l’absence d’explication cohérente sur le financement de cet appartement donne à l’affaire une autre dimension et pose des questions en chaîne. Si Nicolas Sarkozy avait payé les quelque 3 millions de francs en question avec un autre prêt bancaire ou avec ses deniers personnels, cela devrait figurer dans l’acte.

Alors, Nicolas Sarkozy aurait-il demandé à un ami de lui prêter de l’argent ? Dans ce cas, lequel ? À quel taux ? Et pourquoi s’en cacherait-il ?

Autre hypothèse : si Nicolas Sarkozy s'était vu offrir ces plus de 3 millions de francs par le promoteur, le rabais ne serait plus de 12 à 35 %, mais plutôt de l’ordre de 75 %. Et toute l’argumentation de Nicolas Sarkozy, déjà fragile, sur le fait qu’il a payé le prix du marché, tomberait à l’eau.

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