mardi 13 mars 2012

Schengen: Sarkozy s’en prend aux verrous de l’Europe



En s’en prenant à Schengen, lors de son meeting de campagne à Villepinte dimanche 11 mars, Nicolas Sarkozy a voulu faire coup double en visant à la fois la bureaucratie bruxelloise et l’immigration.

Le choix de sa cible est pourtant paradoxal puisque la convention en question, garante de la libre circulation des citoyens à l’intérieur des pays européens, a été conçue de pair avec un dispositif de fermeture des frontières européennes suffisamment « performant » pour provoquer indirectement le décès de milliers de migrants à ses portes.

En outre, à l’échelon de l’Union européenne, une procédure de révision est en route depuis près d’un an, si bien que les propos du chef de l’État apparaissent comme une récupération symbolique, à quelques semaines de l’élection présidentielle, visant à détourner l’attention de son propre bilan sur l’immigration.

Reprenant une des expressions emblématiques du Front national, le président-candidat a fustigé l’« Europe passoire ». « On ne peut pas laisser la gestion des flux migratoires entre les seules mains de technocrates et des tribunaux ! », a-t-il lancé, quitte à fâcher ses partenaires européens. « Il faut pouvoir sanctionner, suspendre ou exclure de Schengen un État défaillant comme on peut sanctionner un État de la zone euro », a-t-il assené. Plaidant pour « un gouvernement politique de Schengen », il a dégainé l’ultimatum :« Si je devais constater que dans les douze mois qui viennent, il n’y avait aucun progrès sérieux dans cette direction, alors la France suspendrait sa participation aux accords de Schengen jusqu’à ce que les négociations aient abouti. »


Les élargissements progressifs de Schengen.


Nicolas Sarkozy, qui vient d’annoncer son intention de « diviser par deux l’immigration légale en France », rejoue un épisode de l’après-révolution arabe dont il estime qu’il lui a été favorable. Pour stopper les arrivées de Tunisiens, et prévenir les risques d’« invasion », il avait, de concert avec Silvio Berlusconi, alors président du conseil italien, mis en cause la convention de Schengen. Incapables de gérer sur leur sol la venue de quelques milliers de migrants, ils s’étaient dits prêts à revenir sur l'un des principaux piliers de la construction communautaire (lire notre article).

Sous l'impulsion de Paris et Rome, avec le soutien de l’ensemble des gouvernements populistes, les États membres ont entériné, en juin 2011, une série de mesures restreignant les mouvements de population à l'intérieur de l'espace Schengen. Lors d'un sommet à Bruxelles, les dirigeants se sont accordés sur la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières nationales lorsqu'un pays est considéré comme n'étant plus en mesure de contrôler sa frontière extérieure en cas de pression migratoire « forte et inattendue ». La Commission européenne a été chargée d'élaborer les critères pour la mise en œuvre de cette « mesure de sauvegarde » (lire notre article).


« Claude Guéant préfère la substance à la forme »

La réforme est plus qu’avancée : pas plus tard que le 8 mars 2012, les ministres de l’intérieur européens ont approuvé les premiers principes de la « gouvernance politique », signifiant une reprise en main par les États au détriment de la Commission. Or,« curieusement », comme le soulignent dans un blog deux journalistes du Monde, le ministre français de l’intérieur, Claude Guéant, était… absent de cette réunion décisive à Bruxelles. Son « entourage » s'en explique : « Claude Guéant préfère la substance à la forme. S’il n’était pas là, c’est parce qu’il s’agissait d’un endossement formel de décisions prises en décembre. Il était présent aux réunions décisionnelles. Il faut être là, quand il faut, pas quand il s’agit des actes notariés. »

L'instrumentalisation par Nicolas Sarkozy est une chose, la réalité de l'espace Schengen une autre. Dans sa configuration actuelle, la convention, qui a été intégrée aux traités européens depuis 1997, est loin d’être laxiste. Signés entre l'Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas, les premiers accords de libre circulation des personnes remontent à 1985. La mise en œuvre s'est échelonnée jusqu'à concerner vingt-cinq pays (la Suisse, l'Islande et la Norvège, en plus de tous les pays de l'UE, sauf le Royaume-Uni, la Bulgarie, l'Irlande, la Roumanie et Chypre).

Des « souplesses » sont déjà prévues. En vertu de l'article 23 du code, les États peuvent réintroduire des contrôles aux frontières pour une période d'une durée maximale de trente jours, renouvelable, en cas de « menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure ». Introduit pour contrer les hooligans ou les manifestants de contre-sommets internationaux, le motif a d’ailleurs été utilisé en avril 2011 par Paris pour stopper le trafic ferroviaire entre Vintimille et Nice afin d'empêcher la circulation d'un train que des militants avaient prévu d'emprunter pour accompagner des migrants tunisiens.

Sur 126 articles, un seul traite de la libre circulation, les autres étant consacrés aux garanties apportées en cas de « déficit de sécurité », comme l'instauration d'une bande de 20 kilomètres longeant les frontières dans laquelle les contrôles sont autorisés ou le “Système d'information Schengen”, qui recense et partage les données sur les personnes recherchées ou considérées comme indésirables.

Et si certains pays sont en première ligne en matière d'immigration irrégulière, pour des raisons géographiques, comme la Grèce et la Pologne, et dans une moindre mesure l’Italie et l’Espagne, la France ne l’est qu’à la marge.

Cela fait partie du folklore : le débat sur l'« Europe passoire » resurgit à chaque élargissement de l'UE. Les afflux massifs de population n'ont pourtant jamais lieu : en 1986 avec l'entrée de l'Espagne et du Portugal, en 2004 avec les pays de l'Est et en 2007 avec la Bulgarie et la Roumanie, dont l'adhésion à Schengen est bloquée par les Pays-Bas, la France et l'Allemagne qui jugent leurs« efforts » insuffisants en matière de lutte contre l’immigration irrégulière.

Dans son Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires (Armand Colin), le réseau de défense des droits des étrangers Migreurop dénonce un espace sécuritaire où la mobilité est à « géométrie variable » : « Schengen, conçu pour faciliter la circulation, maintient en réalité mille frontières impalpables destinées à hiérarchiser les mobilités internes selon le statut (citoyen européen, étranger résident, visiteur, etc.), et les contrôles dans les zones frontalières ou sur l'ensemble du territoire demeurent une nécessité induite de cette trompeuse liberté de circuler : loin de disparaître, la coopération policière entre États membres devient alors un objectif majeur de l'UE, où chacun se méfie d'un possible laxisme du voisin. »
Les 78 000 kilomètres de frontières extérieures sont, quant à eux, de plus en plus difficiles à franchir. Suffisamment en tout cas pour que des milliers de migrants y meurent. En 2011, selon l'ONU, au moins 1 500 personnes se sont noyées en mer Méditerranée à la suite du naufrage de leur embarcation.

L'UE n'a pas attendu la révolte des Tunisiens pour se prémunir contre ce qu'elle appelle le « risque migratoire ». Chargée de la surveillance policière, l'agence Frontex, créée en 2005, voit ses missions élargies et renforcées. La politique commune des visas ne cesse de se durcir en même temps que les États membres mutliplient les obstacles dans leur législation nationale. Les effets de ces orientations se font sentir jusque dans les pays d'émigration auxquels l'UE sous-traite une partie de sa gestion de l’asile et de l’immigration (lire notre article à partir du Mali). L'objectif : décourager les départs, faute de quoi, les États concernés voient leurs subsides fondre dans le cadre des relations bilatérales.

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