Il y aura bientôt trois ans, le 25 septembre 2008, ces solutions étaient évoquées par un orateur, indigné devant ce que révélaient, avec le scandale des subprimes, les débuts de la crise qui, aujourd'hui, s'approfondit. Ce n'était alors que refrains sur ces spéculateurs impunis, ces banques avides, ces financiers rapaces, ces Etats impuissants, ces idéologues complices, cette misère sociale, ces injustices croissantes, ces escrocs mondains – l'affaire Madoff allait bientôt éclater –, bref, cet argent fou devenu tueur en série lâché sur le monde, détruisant ses richesses humaines et naturelles, premier ennemi du genre humain et de sa terre nourricière.
C'était en France, à Toulon, et l'orateur tenait à « dire la vérité aux Français », et notamment cette vérité première : « L'idée que les marchés ont toujours raison est une idée folle. » Et il ne cessait de la marteler, en lisant son discours écrit par l'un de ses conseillers. Nos lecteurs nous pardonneront la longueur de la citation, justifiée par la gravité de l'heure tant ces mots bruyants d'hier résonnent aujourd'hui bizarrement, dans le silence feutré des conversations téléphoniques et des communiqués lénifiants qui, trois ans après, tiennent lieu de réactions officielles à une crise historique de nos économies. Informer, c'est aussi, sinon d'abord, se souvenir. Ne pas perdre la mémoire. Se rappeler les engagements pris. Ne jamais croire sur parole et, toujours, mettre en perspective. Voici donc...
« Au fond, c'est une certaine idée de la mondialisation qui s'achève avec la fin du capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l'économie et avait contribué à la pervertir. L'idée de la toute-puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, cette idée de la toute-puissance du marché était une idée folle. L'idée que les marchés ont toujours raison est une idée folle. Pendant plusieurs décennies, on a donc créé les conditions dans lesquelles l'industrie se trouvait soumise à la logique de la rentabilité financière à court terme. On a caché les risques toujours plus grands qu'on était obligé de prendre pour obtenir des rendements de plus en plus exorbitants. On a mis en place des systèmes de rémunération qui poussaient les opérateurs à prendre de plus en plus de risques absolument inconsidérés.« On a fait semblant de croire qu'en mutualisant les risques on les faisait disparaître. On a laissé les banques spéculer sur les marchés au lieu de faire leur métier qui est de mobiliser l'épargne au profit du développement économique et d'analyser le risque du crédit. On a financé le spéculateur plutôt que l'entrepreneur. On a laissé sans aucun contrôle les agences de notation et les fonds spéculatifs. On a obligé les entreprises, les banques, les compagnies d'assurance à inscrire leurs actifs dans leurs comptes aux prix du marché qui montent et qui descendent au gré de la spéculation. On a soumis les banques à des règles comptables qui ne fournissent aucune garantie sur la bonne gestion des risques mais qui, en cas de crise, contribuent à aggraver la situation au lieu d'amortir le choc. C'était une folie dont le prix se paie aujourd'hui ! »
Si l'imposture volait, Nicolas Sarkozy serait chef d'escadrille (sur ce clin d'œil aux Tontons flingueurs, lire ci-dessous notre « Boîte noire »). Car ce discours de 2008 est évidemment le sien (pour le retrouver en intégralité, voir l'onglet « Prolonger »). Oui, ce discours où « la moralisation du capitalisme financier » devenait « une priorité », où les « questions qui fâchent » allaient enfin être posées, et d'abord « celle des paradis fiscaux », où « aucune institution financière » ne devait désormais « échapper au contrôle d'une autorité de régulation », où c'en était fini des croyances obscurantistes dans l'invisible et miraculeuse main du marché – « Il arrive que l'autorégulation soit insuffisante. Il arrive que le marché se trompe. Il arrive que la concurrence soit inefficace ou déloyale »–, où même les tristement fameuses agences de notation qui défient les démocraties, leurs Etats et leurs peuples, allaient voir ce qu'elles allaient voir – « Il va falloir contrôler les agences de notation dont j'insiste sur le fait qu'elles ont été défaillantes ».
Trois ans ont passé, et le mystérieux « On » de l'ancienne diatribe présidentielle a continué sans entraves ses ravages, spéculations, prévarications et destructions. Ce n'était évidemment qu'un discours d'opportunité, le temps de conjurer la peur d'un peuple révolté et de sauver les intérêts de ce monde oligarchique en forme de société anonyme dont Nicolas Sarkozy est le fondé de pouvoir. Des mots de démagogue, privés de signification, cachant une politique, exactement contraire, de sauvetage sans conditions de cette finance dérégulée, depuis repartie de plus belle à l'assaut de nos conquêtes sociales, de nos équilibres économiques, de nos volontés populaires et de nos souverainetés nationales. Words, words, words... comme le dit le Hamlet de Shakespeare, et c'est bien une tragédie. Une farce tragique.
« Le monde est au bord du gouffre par la faute d'un système irresponsable », déclarait le 3 octobre 2008, dans la foulée du discours solennel de Toulon, l'invisible premier ministre de Nicolas Sarkozy, François Fillon. Trois ans après, nous basculons dans ce même gouffre par la faute de ces gouvernants irresponsables. Qui pourrait décemment faire encore confiance à des dirigeants qui n'ont même plus l'excuse d'avoir été pris par surprise ou de s'être trompés par conviction ? Ils savaient ce qu'il en était puisqu'ils le proclamaient eux-mêmes, dans une stratégie de diversion verbale où leurs discours cachaient la réalité de leurs actes, qui les démentaient.
Soyons équitables. Dans l'instant, nos dirigeants ont peut-être cru à ce qu'ils disaient. Tout simplement parce qu'ils avaient peur, saisis de frayeur à la perspective d'une prise de conscience collective transformée en colère populaire. Puis, sans doute eux-mêmes surpris de ne pas rencontrer en 2008 et 2009 un front plus uni et plus déterminé, aussi bien politique que syndical, d'opposition, de résistance et d'exigence, ils sont revenus à leurs chères habitudes, abandonnant sans bruit l'impensable audace qui les avait saisis le temps d'un discours. L'intérêt, toujours l'intérêt, encore l'intérêt, tel est leur seul mot d'ordre. S'enrichir, accumuler, spéculer. L'argent privé plutôt que le bien commun. L'envers de tout idéal.
Mais ils avaient été avertis et n'étaient pas près d'oublier leurs craintes. Aussi leur fallait-il se prémunir de nouvelles déconvenues, en forçant l'avantage qu'une opposition trop divisée et trop frileuse leur avait offert. Affaiblir l'Etat social, protéger le capital financier, culpabiliser le monde du travail : le programme a depuis été suivi à la lettre, des privilèges fiscaux accordés aux très fortunés jusqu'aux coupes sombres dans la fonction publique, tandis que l'emploi restait sacrifié, miné par le chômage et la précarité. Sans oublier, bien sûr, cette bataille des retraites dont, en 2010, ils ont soigneusement choisi l'agenda – un calendrier impératif et des solutions non négociables – afin d'obtenir une victoire symbolique sur la grande masse des salariés, ouvriers et employés surtout, toutes celles et tous ceux dont les vies de travail sont la seule richesse.
Le stupéfiant discours de Toulon envisageait, excusez du peu, de« refonder le capitalisme sur une éthique, celle de l'effort et celle du travail ». Spectaculairement tenue sur Mediapart, la chronique des peu ragoûtantes coulisses du pouvoir n'a cessé de dévoiler ce qu'il en était réellement de ces intentions vertueuses. Affaires Bettencourt, Tapie/Lagarde, Takieddine (nos dossiers complets sont à consulter ici,là et encore là): pour s'en tenir aux seuls grands feuilletons de l'année écoulée, ce n'est qu'une déclinaison de passe-droits, d'impunités fiscales, de justices sur mesure, de cadeaux financiers, d'arrangements entre amis, de commissions occultes et de financements parallèles. Avec en prime, notamment dans l'exceptionnelle moisson Takieddine, des paradis fiscaux toujours recommandables, des ventes d'armes toujours corruptibles et des dictatures toujours fréquentables.
Ici, comme dans les vieux romans bourgeois, les cuisines disent la vérité des salons. Nos supposés honnêtes dirigeants y font la soudaine fortune d'intermédiaires obscurs (Ziad Takieddine), promus diplomates occasionnels parce que généreux argentiers, ou d'entrepreneurs déchus (Bernard Tapie), passés par la case prison avant d'être gratifiés d'un juteux préjudice moral auquel ne saurait prétendre le plus innocent des détenus. Dans leur cruelle vérité, les enregistrements de l'affaire Bettencourt avaient brutalement mis à nu ce monde d'imposture dont l'argent est le seul moteur et la seule valeur. Un monde double, scindé entre son apparence jouée et sa réalité vraie. Un monde factice qui a cette particularité d'être l'envers de ce qu'il prétend. Et ce n'est certes pas ce monde-là qui nous sortira du gouffre où il nous a entraînés.
En 2008, l'orateur de Toulon faisait l'éloge de la volonté politique et de son instrument privilégié, l'Etat. Oui, martelait-il, l'Etat ne saurait être passif face aux marchés et aux financiers. « Il me semble que la question de la légitimité des pouvoirs publics à intervenir dans le fonctionnement du système financier ne se pose plus ! », osait-il, ajoutant : « Il faut bien que l'Etat intervienne, qu'il impose des règles, qu'il investisse, qu'il prenne des participations... » Trois ans ont passé, et nous avons sous les yeux le spectacle d'une abdication politique face aux intégristes de la finance.
L'actuel emballement de la crise est politique avant d'être économique : son récent déclencheur est le putsch d'une agence de notation contre le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique. Et ce coup d'Etat financier n'est que le prolongement des spéculations menées en Europe depuis des mois, de la Grèce au Portugal, en passant par l'Espagne et la France, contre des pays, contre leurs finances, contre leurs richesses et, donc, contre leurs peuples. Quel est donc ce monde où l'appréciation fantaisiste de mystérieux sorciers de la finance, incontrôlés et incontrôlables, qui plus est souvent financièrement intéressés à l'effet spéculatif de leurs recommandations, est jugée légitime pour sanctionner la politique d'un pouvoir élu ?
Pris la main dans le sac par l'administration Obama pour une erreur de calcul portant sur pas moins de 2000 milliards de dollars, les illuminés de Standard & Poor's n'ont rien changé à leur appréciation dépréciative, se contentant de modifier leurs additions et d'assumer le caractère partisan de leur jugement en évoquant des « risques politiques » qui « pèsent plus lourd que la partie budgétaire de l'équation ». Comme l'a encore souligné le nobélisé Paul Krugman,« ces gens ne sont certainement pas en position d'émettre un jugement », et néanmoins ne s'en privent pas. Ce sont les mêmes en effet qui, en 2008, accordaient les meilleures notes de confiance et de crédibilité à la banque Lehman Brothers jusqu'à sa faillite dans la tourmente des subprimes.
Cette spéculation sur la pauvreté, qui a ruiné des millions d'Américains, ne les gênait aucunement. De même qu'au temps du capitalisme sauvage, assumé comme tel, il y avait des agences de gros bras pour briser les piquets de grève, Standard & Poor's n'est qu'une agence de mercenaires de la guerre sociale menée par les spéculateurs contre les travailleurs. A peine avait-elle dévalué la note des Etats-Unis, qu'elle s'empressait de dégrader les organismes américains de refinancement des prêts immobiliers nationalisés durant la crise, c'est-à-dire les instruments créés par la puissance publique pour en réparer les dégâts humains. De même soutient-elle aujourd'hui le triple A français comme la corde le pendu : à la condition explicite que l'offensive antisociale du gouvernement se poursuive.
En juin dernier, elle faisait savoir que « si les autorités françaises ne poursuivent pas la réforme des retraites, ne continuent pas de modifier la Sécurité sociale et ne consolident pas le budget face au risque d'accroissement des dépenses liées aux retraites et à la santé, alors il est incertain que l'Agence maintienne la note AAA » (lire un rappel ici). Et, lundi 8 août, son président du comité de notation des Etats vantait non seulement la réforme des retraites française mais le retrait de la politique de relance budgétaire (lire là), ajoutant sans fioritures : « Le gouvernement est resté droit dans ses bottes. Il a connu beaucoup de contestation de la rue, mais il n'a pas cédé à cette pression, ce qui souligne la crédibilité de l'exécutif pour prendre des mesures difficiles. »
Nos démocraties sont aujourd'hui défiées par les mêmes idéologues supposément économistes qui, disciples de Milton Friedman (son histoire est ici sur Wikipédia), ont accompagné les dictatures latino-américaines dans les années 1970 et 1980 sans aucun état d'âme. Convaincus d'avoir raison contre les peuples, auxquels il faudrait d'abord savoir dire non et, surtout, ne pas avoir à rendre de comptes, ils s'accommodent volontiers de pouvoirs autoritaires, où l'exception devient la règle et la répression l'ordinaire.
Conseiller de Barack Obama et ancien journaliste, David Axelrod voit juste en lançant à propos de S&P : « C'est une dégradation Tea Party. » L'agence de notation n'est ici que le bras financier, comme l'on dirait le bras armé, de la droite extrême américaine, guerrière, impérialiste et raciste, xénophobe et homophobe. Là-bas comme ici, d'une élection présidentielle à l'autre en 2012, ce n'est donc pas une crise financière qu'il nous faut affronter, mais une bataille politique qui appelle un sursaut vital. On ne compose pas avec un adversaire déloyal, aveuglément idéologique et profondément amoral, comme l'a trop longtemps cru le président Obama (lire ici l'article de Thomas Cantaloube). Non, on l'affronte, pied à pied, par la construction d'un rapport de force et d'une alternative déterminée.
Aujourd’hui, être réaliste, c’est être radical
Rencontre de la troisième crise du capitalisme, après celles de 1857 et de 1929, et de la troisième révolution industrielle, après celles de la machine à vapeur et de l'électricité (lire ici un rappel synthétique), notre époque de bouleversement inattendus et d'événements imprévisibles ne cesse de mettre à l'épreuve nos volontés et nos lucidités. Mais, parallèlement aux révolutions arabes qui inaugurent un incertain réveil des peuples, elle vit cette année son moment de vérité.
La crise dans laquelle nous sommes plongés est le prix à payer de la contre-révolution néolibérale qui, depuis trente ans, sur notre continent notamment, déboussole les peuples, défait les solidarités et accroît les inégalités. De deux choses l'une, soit nous réussissons à la renverser et à inventer un nouveau cours, européen et national, où les exigences démocratiques et sociales reprennent le dessus ; soit, dans sa fuite en avant provoquée par sa propre faillite, cette contre-révolution économique appellera une contre-révolution politique, génératrice de violences et de haines, de libertés perdues et de solidarités brisées.
Car comment peuvent-ils s'en sortir, sinon en faisant taire les peuples ? A la différence des révolutions, improbables par essence, les catastrophes n'arrivent jamais par surprise, mais toujours par habitude – autrement dit, par renoncements successifs et capitulations cumulées. Loin d'être une exception, la morgue de Standard & Poor's témoigne d'un état d'esprit banal dans ce monde où les politiques ont abdiqué devant les financiers. Ainsi, dans cette Europe qui marche sur la tête, la finance en haut et la politique en bas, la Banque centrale européenne peut-elle imposer ses diktats aux Etats alors même que ses dirigeants n'ont aucun compte à rendre aux peuples.
Dans la folie du week-end dernier où l'on trouvait normal que nos gouvernants « donnent des gages à la BCE » (lire par exemple ici), il a été trop peu remarqué que ladite banque centrale avait posé ses conditions draconiennes à l'Italie dans une lettre « secrète », révélée par le Corriere della Sera (lire ici l'article du quotidien). Dans ce quasi« programme de gouvernement », selon nos confrères italiens, l'actuel gouverneur, le Français Jean-Claude Trichet, et son successeur, l'Italien Mario Draghi, appellent le gouvernement Berlusconi, dont la corruption avérée ne les inquiètent pas outre mesure, à accentuer la libéralisation de l'économie.
Outre l'exigence de « moins de rigidité sur les contrats à durée indéterminée », donc d'une dérégulation du marché du travail, cette missive en forme d'oukase recommande la privatisation des sociétés municipales qui, dans la péninsule, gèrent souvent les transports publics, la collecte des déchets ou la distribution d'électricité et de gaz. On comprend que ses auteurs aient voulu taire cette lettre : car, en juin dernier, les Italiens se sont prononcés par référendum, à une immense majorité, contre la privatisation de la distribution de l'eau, tout comme ils ont approuvé le refus d'autoriser l'Etat à construire de nouvelles centrales nucléaires ainsi que celui de faire obstacle au déferrement du président du conseil devant la justice (les résultats des référendums sont consultables ici).
Ce simple épisode de la lettre cachée, et heureusement révélée par la presse, illustre ce b.a.-ba démocratique qu'il nous faut, plus que jamais, défendre contre les fourriers de la dictature des marchés : que le sort des peuples dépend d'abord d'eux-mêmes et exige qu'on leur demande leur avis, ce qui suppose qu'ils soient librement informés grâce au recul des barrières d'opacité et de secret dressées contre l'exigence citoyenne de transparence. Quant aux médecins moliéresques qui prétendent parler en notre nom, imposant leurs remèdes de Diafoirus à des maladies imaginaires, ils doivent être urgemment congédiés tant ils sont les premiers fauteurs de crise. Ne sont-ce pas les agences de notation qui furent « les agents clés de l'effondrement financier », comme le soulignait en janvier dernier la commission gouvernementale américaine d'enquête sur la crise ?
Ne sont-ce pas les plans de sauvetage de la finance et la récession, provoquée par cette crise bancaire et financière commencée en 2008, qui sont à l'origine de l'explosion récente de la dette publique en Europe et dans le monde ? « Le déficit public moyen dans la zone euro n'était que de 0,6% du PIB en 2007, mais la crise l'a fait passer à 7% en 2010 », rappelait le Manifeste des économistes atterrés, ajoutant surtout que la montée de la dette publique en France et dans de nombreux pays européens « provient largement non pas d'une tendance à la hausse des dépenses publiques mais de l'effritement des recettes publiques », du fait notamment « de la contre-révolution fiscale menée par la plupart des gouvernements depuis vingt-cinq ans » – un coût minimum de 100 milliards d'euros pour la France (lire ici l'article de Laurent Mauduit).
Ce Manifeste est né de ce constat atterré, aujourd'hui vérifié par l'expérience, que « la crise économique et financière qui a ébranlé le monde en 2007 et 2008 ne semble pas avoir affaibli la domination des schémas de pensée qui orientent les politiques économiques depuis trente ans » et que « le pouvoir de la finance n'est nullement remis en cause dans ses fondements ». La voie qu'il trace est celle d'une radicalité de bon sens : non pas celle qui se paye de mots ou d'illusions, mais celle qui, fidèle à l'étymologie du mot « radical », s'attaque à la racine du mal. Dans cette acception, être radical, c'est être réaliste : face aux bilans désastreux et aux catastrophes annoncées de politiques construites sur les fausses hypothèses d'une efficience des marchés financiers et d'un poids excessif des Etats, il faut une autre politique, aux présupposés et aux conclusions radicalement différents.
Sans doute faut-il se pincer pour y croire mais il est vrai qu'en 2008, à Toulon, Nicolas Sarkozy jurait nous devoir « la vérité : dans la situation où se trouve l'économie, je ne conduirai pas une politique d'austérité parce que l'austérité aggraverait la récession ». Trois ans après, Alain Minc, symbole de ce petit monde de conseilleurs et d'entremetteurs qui résume une politique réduite à l'agiotage, confie auMonde la vérité vraie de cette politique : « Nicolas Sarkozy est devenu Raymond Barre. Il ne peut plus changer de ligne, préserver la note AAA de la France coûte que coûte. Elle est devenue notre trésor collectif. »
Que Raymond Barre, premier ministre tenant d'une politique d'austérité à la fin du septennat de Valéry Giscard d'Estaing, ait quelque responsabilité dans son échec électoral à la présidentielle de 1981 ne doit pas nous rassurer pour 2012. Concierge utile de cette oligarchie, dont il fait circuler les messages et dit tout haut les basses pensées, Alain Minc est un pronostiqueur catastrophique, au risque parfois du ridicule – en 2008, la crise était selon lui « grotesquement psychologique » (à revoir ici) et, en prime, Mediapart une entreprise vouée à l'échec (à revoir là). L'essentiel est ailleurs, dans ce message idéologique : l'austérité comme seul horizon et les marchés comme seuls maîtres.
Le pouvoir le sait qui prend les devants, continuant, voire accélérant, son travail de division du corps social où la chasse aux boucs émissaires est chargée de faire diversion en semant son poison. Lundi 8 août, quand le yo-yo des Bourses donnait le tournis après le putsch américain de S&P, le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, s'empressait d'annoncer un « résultat historique » d'expulsions d'étrangers en 2011 et celui du travail, Xavier Bertrand, promettait d'ici la fin de l'année, et sur une idée de la toujours extrême Droite populaire, « un fichier unique des allocataires sociaux » afin de renforcer « la lutte contre les fraudes sociales ».
Les immigrés et les pauvres, sans oublier les jeunes : l'un des initiateurs du Manifeste des économises atterrés, Philippe Askenazy, a minutieusement démontré comment ces politiques qui stigmatisent des catégories entières de la population (dont, il le rappelle aussi, les femmes) « ont engendré bon nombre des obstacles auxquels font face l'économie et la société françaises » (voir ici notre compte rendu de son dernier livre, Les Décennies aveugles). Mais peu importe pour les imposteurs qui nous gouvernent : leur souci n'est pas l'intérêt général mais leur survie particulière. Leur force de dominants ne repose que sur la faiblesse des dominés, cette division qu'ils s'emploient à diffuser et à installer, au nom de l'origine, de l'âge, du statut, de la culture ou de la croyance.
Seul un front commun, rassembleur et fraternel, saura enrayer cette machine infernale : une union populaire de toutes celles et tous ceux qui ont pris conscience des enjeux véritables et des urgences essentielles. Avec certes des nuances, toutes les oppositions de gauche revendiquent cette lucidité mais elles restent éparpillées, divisées par leurs différences ou paralysées par leurs ambitions. A nous tous de leur dire, partis, syndicats, mouvements et associations, que ce n'est plus l'heure de jouer petit bras, en soupesant les urnes de demain, en évaluant les chances d'après-demain ou en ruminant les divergences d'hier. Nous n'avons cessé de le répéter à Mediapart, et l'époque appelle une clameur plus ample : jamais un combat n'a été gagné sans avoir été mené, sans avoir su s'opposer, sans avoir réussi à se rassembler, sans s'être donné collectivement le courage de l'engager.
Quant à l'échéance de 2012, celles et ceux qui s'y consacrent devraient savoir qu'une élection n'est jamais un placement spéculatif, mais qu'elle relève d'un travail de tous les jours. Aussi, quand la tragédie s'annonce, le sort des peuples ne saurait être suspendu à un calendrier électoral. Il se joue ici et maintenant. Et, de ce rendez-vous, dépend aussi l'issue électorale. C'est pourquoi nous avons besoin d'une révolte citoyenne, aussi pacifique que majoritaire, qui s'emploie à remettre notre monde sur ses bases. A briser ce cercle infernal où l'argent, devenu la mesure de toute chose, finit par détruire toute valeur.
EDWY PLENEL
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