On a l'impression que c'est toujours les mêmes images qui nous arrivent et de fait : ce sont, en effet, toujours les mêmes images. Ceux qu'on voit ne sont pas les mêmes, c'en sont d'autres qui crèvent dans nos écrans.
Des camps. Des réfugiés. Des enfants-squelettes aux yeux immenses. Des mouches. Des hommes et des femmes décharnés qui errent dans des pays trop loin, trop écrasés par trop de malheurs. Des humanitaires qui font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont. Et des appels aux dons.
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai vu ces images. Vous aussi. Au point que cette corne de l'Afrique, Somalie, Ethiopie, Érythrée, Soudan, nous est devenue désormais synonyme de dévastations, de guerres incompréhensibles et de populations affamées.
Et on finit par soupirer en se disant : "C'est comme ça"...
C'est comme ça ?
Les associations humanitaires se désespèrent de constater que les dons ont du mal à venir. Que tout le monde semble s'en foutre et qu'ils sont obligés de supplier, encore plus que d'habitude, pour obtenir de l'argent, des médicament, de la nourriture. Des Etats donnent, un peu. Des particuliers donnent, un peu. On fait ce qu'on peut. Dit-on. Plus par culpabilité et comme tentative d'enrayer, ne serait-ce qu'un peu, ce sentiment d'impuissance perpétuel devant ces cycles de désastres dont on ne voit que les images. Les mêmes images. Encore.
Les mêmes images qui désensibilisent.
Les mêmes images qui permettent de mettre encore plus à distance ce qui est déjà à l'autre bout du monde.
On sait que ce qui se passe là-bas n'est pas de notre faute, du moins pas nous en tant qu'individus. La plus grande sécheresse depuis 60 ans, un état de guerre interminable dans un pays sans gouvernement ni institutions, des islamistes qui harcèlent la population et détournent l'aide, des chefs de guerre qui pillent et tuent. Ça aussi finit par nous faire penser que c'est l'atroce routine de "là-bas". De fait : ça l'est.
Ce n'est même pas qu'on en ait "rien à foutre" : c'est qu'on est habitués à ça. L'une des explications de notre absence d'émotion concrète - émotion se traduisant par des actions aussi bénigne qu'un don en ligne - c'est l'habitude qu'on a de voir ça. Dire ça ne nous excuse en rien. Ne nous absout de rien, certainement. C'est juste essayer de comprendre cette torpeur, cette morosité, devant ces horreurs. Chercher le pourquoi de l'absence de réactions du monde occidental. Tout en faisant bien la part des choses entre les "petits" et les "grands" ; puisque si nous vivons au quotidien dans des société des plus en plus recroquevillées et individualistes qui nous font penser, semi-honteux : "chacun sa merde", si on peut nous dire qu'on est toutes et tous, quelque part, "responsables mais pas coupables" de ce qui se passe ailleurs, ne serait-ce que par notre mode de vie basé sur le pillage des matières premières et des ressources du Sud, on va quand même recadrer le débat en précisant qu'il existe des échelles de responsabilité. Disons que certaines personne le sont plus que beaucoup d'autres.
Ils sont où, au fait, les milliardaires philanthropes qui avaient annoncés donner les 3/4 de leur - monstrueuse - fortune à de belles et nobles causes ? En terme de plus-value d'images de bienfaiteurs du monde, ce serait le moment idéal de se manifester, non ? Il m'est même souvenir qu'ils avaient signé une sorte de "charte" s'engageant à lâcher de la grosse maille pour que la planète aille mieux, quelque chose comme ça.
Certainement que bien des gens en Somalie seraient très touchés si on pouvait leur faire un assez gros chèque. Il existe des gens, fort peu nombreux il est vrai, qui pourraient se permettre de lâcher 1 milliard de dollars sans que ça mette leur budget en déséquilibre ; qu'attendent-ils ?
Ou alors ce serait penser que cette déclaration fracassante de l'année dernière était simplement cela : une déclaration.
Et les Etats, qui ont certes sempiternellement des soucis de trésorerie et sont au bord de la faillite sauf quand il s'agit de faire la guerre quelque part - là, on trouve toujours de l'argent, pour faire la guerre -, au lieu précisément de construire de dispendieux joujoux militaires, ne pourraient-ils pas réorienter quelques sommes pour filer à bouffer à des africains ?
Humour saumâtre.
Car il faut bien voir que la léthargie du monde occidental devant les malheurs du monde en général et de l'Afrique en particulier s'explique le plus simplement qui soit : aux niveaux étatiques et institutionnels, on a considéré la situation de ces pays, on a fait un fichier Excel à plusieurs entrées sur les coûts et bénéfices, et en calculant le résultat on est arrivé à la conclusion que ça ne valait pas la peine de les aider.
Et partant, au choix, rationnel et conscient, des les laisser mourir.
Car voyez-vous, dans ces pays, ils ont la malchance d'être considérés comme de "l'humanité excédentaire" ; pas de bol, hein ? Leur travail ne rapporte rien. On en peut pas spéculer dessus. Leurs ressources sont en cours de pillage sans qu'on ait spécialement besoin d'eux pour ce faire. Ils ne consomment pas et ne peuvent donc servir à l'écoulement de marchandises, bref : ils ne servent à rien.
Et dans une organisation politico-économique basée sur le rendement et la productivité, choix a donc été fait de les exterminer "passivement". En en faisant rien pour les aider.
Au fait : ça s'appelle le capitalisme, si vous en doutiez encore.
Mais qui sont ces gens assez inhumains, assez monstrueux et cyniques, assez froids, pour avoir calmement réfléchi à ces choses et les avoir décidé en toute connaissance ??? Qui dans le monde occidental est suffisamment cruel pour prendre ce genre de décision ?
Mais...vous ne vous souvenez pas ?...
Nous avons voté pour eux.
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