Dans quelques villes pilotes, les habitants « perplexes » ne veulent pas tester la « participation citoyenne » à la lutte anti-délinquance.
Dans une circulaire datée du 22 juin,Claude Guéant demande aux préfets et aux directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie de lui « faire parvenir, pour le 31 juillet, l'état d'avancement des initiatives et des mesures » prises pour généraliser cette « participation citoyenne » à la lutte contre la délinquance.
Evoquant une « solidarité de voisinage », le ministre de l'Intérieur rappelle le principe de cette association entre la population et les forces de l'ordre :
« Le concept vise à développer, chez chaque personne disposée à participer à sa propre sécurité dans son quartier, son lotissement ou son village, un comportement de nature à mettre en échec la délinquance. Les personnes volontaires seront donc sensibilisées en vue :
- de l'accomplissement d'actes élémentaires de prévention tels que la surveillance des logements temporaires inhabités, le ramassage du courrier des vacanciers ;
- d'une posture de vigilance accrue à l'égard descomportements et événements suspects (démarcheurs trop insistants…) ;
- de l'acquisition du réflexe de signalement aux autoritéscompétentes de tout fait anormal (véhicules semblant en repérage, dégradations, incivilités…). »
Délation ou « solidarité de voisinage » ?
Pas question de donner des arguments à ceux qui y voient un encouragement à la délation, voire à la constitution de milices. Claude Guéant rappelle que les citoyens se portant volontaires ne seront pas là pour jouer aux gendarmes :
« Ces “voisins vigilants” ne sauraient se prévaloir de prérogatives administratives ou judiciaires. En ce sens, ils ne peuvent en aucun cas mettre sur pied un dispositif du secteur contrôlé par ses habitants. »
Cependant, certains pourraient se voir accorder un statut de « collaborateur occasionnel du service public », prévu dans la loi Loppsi votée en mars. Ce statut nécessite la signature d'un « contrat d'engagement » et donne droit à des indemnités, pour « des missions de solidarité, de médiation sociale, d'éducation à la loi et de prévention, à l'exclusion de l'exercice de toute prérogative de puissance publique ».
Le principe est simple, mais la mise en pratique se révèle beaucoup plus compliquée. « Des travaux juridiques sont en cours pour consolider ce dispositif », note Claude Guéant dans sa circulaire. Le système a déjà été expérimenté dans 29 départements, mais l'expérience n'a pas toujours été concluante.
En Alsace, des réunions vides et pas de volontaires
Exemple : cet automne, le préfet du Haut-Rhin annonçait fièrement que cinq communes pionnières allaient tester la « participation citoyenne ». Soultz, 7 000 habitants, a été la première à signer une convention avec l'Etat et la gendarmerie, pour renforcer la sécurité dans un quartier résidentiel.
Il ne restait plus qu'à trouver des citoyens volontaires. Début novembre, lorsque le maire, le sous-préfet et les gendarmes ont organisé la réunion publique, ils se sont senti un peu seuls : selon le quotidien L'Alsace, seuls deux habitants du quartier s'étaient déplacés. Et ils n'ont même pas voulu signer comme « voisins vigilants ».
Sur la même liste, Ribeauvillé, 4 800 habitants, n'a finalement pas signé la convention. Dans la banlieue de Mulhouse, la ville de Lutterbach, 6 000 habitants, a bien organisé la réunion publique, mais sans beaucoup de succès : une vingtaine d'habitants avait fait le déplacement. Et aucun ne s'est porté volontaire.
« Les gens étaient perplexes », raconte Francis Wira, directeur des services généraux de la mairie. Certains ont évoqué les risques de délation, et Lutterbach abrite déjà une brigade de gendarmerie. La délinquance ? « Surtout des incivilités comme on en trouve partout ailleurs, des tags, des scooters trop bruyants… » La ville n'avait en fait rien demandé à l'Etat :
« C'est la gendarmerie qui nous avait contactés, il n'y avait pas eu de demande formelle de notre part. Ça ne répondait pas à un besoin que nous avions identifié sous cette forme. »
« Rechercher l'engagement de la population »
Dans sa circulaire, Claude Guéant recommande donc aux préfets, aux policiers et aux gendarmes de soigner leur communication, pour obtenir « l'adhésion des élus » et « rechercher l'engagement de la population ».
C'est ce qu'a fait le préfet des Hautes-Pyrénées mercredi soir, en organisant une réunion publique à Tarbes. Une ville de 46 000 habitants - trois fois plus pour l'agglomération entière -, placée sous la compétence de la police nationale, pas de la gendarmerie.
Pour cette opération de pédagogie, la préfecture avait choisi le quartier pavillonnaire de la Gespe, habité en majorité par des retraités. Une soixantaine d'habitants ont assisté à la rencontre, explique Roger-Vincent Calatayud, l'adjoint au maire (UMP) en charge de la sécurité. Selon lui, il n'y a pas été question du recrutement de volontaires :
« Le but de la réunion était de briser une certaine indifférence, de sensibiliser à une solidarité active. Le message du préfet a été que la police nationale était à leur disposition et qu'il ne fallait pas hésiter à les avertir, d'autant que la période estivale commence. »
Selon Claude Guéant, aucun doute : là où elle a été mise en œuvre, la « participation citoyenne » a fait chuter le nombre de vols et augmenter celui des arrestations de malfaiteurs en flagrant délit.
Dans les Alpes-Maritimes, « la haie de cyprès sépare du voisin »
Les « voisins vigilants » font-ils vraiment fuir les délinquants ? Oui, assure André Aschieri, maire de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), 10 500 habitants. Cet écologiste, à la tête d'une majorité divers-gauche, est un des pionniers de la « participation citoyenne » en France.
Coincés entre Cannes et Grasse, Mouans-Sartoux et ses villas attirent les cambrioleurs. Dès 2005, la ville a mis en place un réseau de « voisins vigilants » : les habitants qui y participent peuvent contacter des citoyens « référents » – un par quartier –, eux-mêmes en contact avec la police municipale. André Aschieri explique :
« Ce n'est pas vraiment pour qu'il y ait une surveillance de leur part. Ce que nous voulons, c'est de la solidarité. Ici, la haie de cyprès sépare du voisin, on ne se connaît pas. »
Selon le maire, le nombre de cambriolages aurait chuté de moitié « les deux premières années », mais n'aurait plus beaucoup évolué depuis. La ville aurait ainsi atteint un palier : « difficile de descendre en dessous », admet André Aschieri.
► Mis à jour le 07/07/2011 à 15h20. Comme le signale notre riverain les bulles, le statut de « collaborateur occasionnel du service public » n'a pas été « créé » par la Loppsi, comme il était écrit dans l'article. La loi a simplement adapté ce statut au domaine de la sécurité.
► Mis à jour le 07/07/2011 à 17h10. L'article a été complété avec le récit de la réunion organisée mercredi soir à Tarbes et une citation de l'adjoint au maire à la sécurité.
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