Les journaux télévisés et chaines d’info continue françaises continuent imperturbablement leur couverture des événements de Syrie selon la ligne manichéenne anti-Bachar et pro-opposition qui est la leur depuis le début des troubles à la mi-mars. Apparemment sans états d’âme malgré les preuves croissantes d’actes de cruauté émanant de certains opposants, notamment à Hama, et de l’existence de groupes armés en action au moins à Hama et à Homs.
Mercredi 3 juillet à 13 heures, le journal de la chaîne d’info continue BFM nous ressert, par la voix d’un correspondant arabe, le mélodrame habituel : Hama « à feu et à sang« , avec malgré tout des cortèges « immenses » de manifestants bravant les chars du régime à coup de slogans et de téléphones portables. Pour illustrer ce propos, on a droit à une colonne de fumée dans le ciel de Hama, à un homme en civil gisant sur le sol et aussi, c’est vrai, à des blindés en position dans un paysage urbain. Mais rien qui montre que les troupes ont affaire sur place à des opposants qui, à défaut de disposer de blindés, sont bien équipés en armement léger et automatique.
C’est finalement l’autre chaîne d’info continue I-Télé – annexe de Canal+ – qui fait, par rapport à ses consoeurs, montre d’un – relatif – « pluralisme » de l’information en diffusant un extrait du journal de la télévision d’Etat syrienne : l’occasion de voir pendant une minute des émeutiers armés en action à Hama, les techniciens de la télé syrienne ayant même pris soin de cercler en rouge des fusils d’assaut ou à pompe pourtant bien visibles.
Censure démocrate
Mais pas question, pas plus pour I-Télé que pour la concurrence, de montrer les images atroces et parlantes de cadavres ensanglantés balancés dans l’Oronte, depuis un pont d’Hama, par des émeutiers hurlant « Allah o Akbar ! » selon le mode islamiste. Pourtant, les journalistes français en charge du dossier syrien ont forcément connaissance de cette vidéo. Alors pourquoi ne la diffusent-ils pas ? Parce qu’il y a des doutes sur l’identification précise des événements ? On fait montre de moins de prudence quand il s’agit de présenter des bouts de manifs filmées sur portable comme la protestation de tout un peuple ! Le caractère « difficile » de ces images ? Mais nos médias n’ont jamais rechigné à montrer des victimes réelles ou supposées de la répression, exhibant notamment le corps décomposé du jeune Hamza pour faire croire à des tortures.
La raison la plus probable de cet « embargo », c’est que ces images ne vont pas dans le sens souhaité par l’establishment politico-médiatique français – et, au-delà, occidental – qui veut à tout prix que s’impose, sans restriction, sa lecture, disons américano-sioniste et quasi-hollywoodienne, de la crise syrienne. En un mot, ces cadavres-là ne sont pas géopolitiquement corrects ! Nos journalistes avaient d’ailleurs eu les mêmes réticences devant les cadavres d’une centaine de policiers ou soldats tués mi-juin à Jisr al-Choughour dans l’assaut du QG de la police par des groupes d’activistes armés : contraints malgré tout de montrer quelques uns de ces corps en uniforme, beaucoup de commentateurs s’étaient empressés de relayer la version ‘hautement crédible » des cyber-opposants, selon laquelle ces malheureux auraient été tués – pour avoir refusé de tirer sur des civils - par d’autres militaires fidèles au régime. Chez nous, que voulez-vous, on n’aime que les victimes estampillées « démocrates », « pacifistes », « libérales », en un mot « occidentales », c’est comme ça !
C’est aussi cette forme de pudeur « démocratique » qui explique que les nombreux et – vraiment – impressionnants rassemblements de soutien au régime aient été aussi peu montrés ou commentés par nos journaux télévisé : quelques centaines ou milliers de manifestants d’opposition à Hama, Homs ou Deir Ezzor pèsent plus lourd, dans les balances du Paysage Audiovisuel Français, que les centaines de milliers de bacharistes manifestant à Damas et dans toutes les villes du pays.
Vous avez dit « déontologie » ?
Bref, on est conduit à penser que nos médias – qui en leur temps ont relayé sans ciller les bidonnages de Timisoara, nous ont « vendu » la propagande américaine sur les armes secrètes et la puissance globale de l’armée de Saddam Hussein, qui nous ont expliqué que Kadhafi allait s’effondrer en quelques jours – pèchent gravement contre leur déontologie professionnelle sur le dossier syrien…
1) en reprenant systématiquement, sans le moindre réserve, les arguments et les chiffres d’une cyber-opposition rien moins que transparente sur son organisation, ses buts et ses subsides. Et en s’abstenant d’ailleurs de la moindre enquête sur ces cyber-activistes, dont le fameux Rami Abdel Rahmane ;
2) en passant sous silence les éléments n’allant pas dans le sens de leur analyse : existence de groupes d’opposants armés, nature idéologique de type islamiste des secteurs les plus influents et organisés de cette opposition radicale (Frères musulmans, groupes djihadistes), crime commis par les opposants ;
3) en s’abstenant de toute projection ou prospective, même les plus évidentes : si les Frères musulmans renversaient le régime baasiste, les libertés civiles et religieuses n’y gagneraient probablement rien, au contraire ce serait la porte ouverte à une situation à l’irakienne, avec guerre civile larvée et exode des minorités, notamment la chrétienne ; la déstabilisation de la Syrie entraînerait immanquablement celle de toute la région, du Liban à l’Irak en passant par la Jordanie ;
4) en passant complètement sous silence des données fondamentales comme le projet – « bushiste » mais pas remisé dans les cartons par l’administration Obama – de « reformatage » du Proche-Orient, dans le sens des intérêts de Washington et de son allié privilégié israélien ;
5) en simplifiant, d’une manière générale, à des fins sensationnalistes ou idéologiquement correctes, des situations complexes : Bachar al-Assad n’est pas son père ; la Syrie multi-confessionnelle n’est ni la Suisse ni la France ; il y a plusieurs oppositions et des revendications très diverses dans la société syrienne.
On peut faire le pari que, dans quelques mois, ou quelques années, des essayistes, spécialistes du Proche-Orient ou des médias français, viendront nous expliquer, dans ces mêmes médias, que ceux-ci se sont fait manipuler par des officines ou des puissances étrangères, qui les ont « intoxiqués » sur la situation en Syrie, comme ils les avaient intoxiqués sur l’Irak, l’Iran, la Libye, le Kosovo ou la Georgie. Et on lira des éditoriaux comme quoi les « professionnels de la profession » doivent faire preuve de prudence et d’un professionnalisme redoublé pour éviter à l’avenir manipulations et désinformations. Entre-temps, la Syrie aura peut-être plongé dans une guerre civile…
Louis Denghien
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