Un jour à marquer d'une pierre noire! C'est aujourd'hui, 1er août 2011, qu'entre en application la loi relative «aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques». Sous ce titre si bienveillant se décline en fait un texte fort peu soucieux de la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux, fort peu soucieux de la prise en charge de leur souffrance.
Potentiellement, la loi concerne 70.000 personnes chaque année, l'équivalent d'une ville comme Cannes. 70.000 personnes ne pouvant pas, du fait de leur trouble mental, accepter un protocole de soins et devant dès lors être hospitalisées pour être soignées. Elles peuvent être en prise avec des délires, avoir fait une tentative de suicide, vivre totalement recluses et prostrées sans que l'on puisse leur faire entendre raison...
La loi adoptée le 5 juillet dernier modifie la loi de 1990: elle organise les soins sous contrainte en introduisant la notion de soins sans consentement en ambulatoire (c'est-à-dire une obligation de soins hors de l'hôpital) et obligeant à mettre en œuvre une procédure judiciaire dès lors qu'une hospitalisation sous contrainte excède quinze jours. Ces décrets parus mi-juillet entrent en application aujourd'hui.
L'hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) et l'hospitalisation d'office (HO) se nomment dorénavant «soins psychiatriques à la demande d'un tiers» (SPDT) et «soins psychiatriques sur décision d'un représentant de l'Etat» (SPDRE). Si les conditions d'entrée dans ce dispositif ne changent pas beaucoup, les conditions de sortie sont plus compliquées: auparavant, pour acter une hospitalisation sous contrainte, il fallait un certificat médical sous 24 heures, puis un autre à l'issue de 15 jours, puis un par mois. Désormais, il est nécessaire d'obtenir un certificat médical au bout de 24 h, puis un autre à 72 h, et un troisième entre le 5e et le 8e jour. Le spécialiste qui suit le patient est sollicité, mais aussi un autre psychiatre, et, dans certains cas, un collègue soignant. Le préfet peut aussi demander des expertises et, à l'issue de quinze jours d'hospitalisation, le juge de la détention et des libertés doit être saisi. (Pour les détails, lire ici le décret du ministère de la santé et là celui du ministère de la justice).
Une multitude de certificats et d'intervenants fonctionnant comme autant de barrières. «Tout a été pensé pour susciter une prévoyance sécuritaire, c'est-à-dire pour limiter la sortie», analyse Pierre-François Godet, chef de service, responsable d'un secteur de psychiatrie générale au centre hospitalier Le Vinatier à Lyon-Brondans un entretien à la revue juridique LexTimes.fr.
Et dans les faits aujourd'hui, la mise en pratique de la loi est proprement chaotique.
Juger au tribunal ou à l'hôpital?
L'intervention du juge de la détention et des libertés suscite d'abord nombre d'interrogations. Non pas sur le fond: nombre de praticiens conviennent qu'à partir du moment où un patient se voit notifier une mesure de privation de liberté, il a droit, comme tout citoyen, à l'intervention d'un juge indépendant pour contrôler cette mesure.
Mais sur la forme, les inquiétudes sont nombreuses. Où et comment doit se dérouler l'audience: au tribunal? au centre de soins?
La première solution «serait génératrice d'un très grand stress pour les malades, écrit Jean-Paul Le Bronnec, représentant de l'Unafam 93, l'antenne en Seine-Saint-Denis de l'association des amis et familles des malades psychiques, et pourrait engendrer une aggravation de leurs pathologies. Les conditions de déplacement et d'attente : des heures dans un couloir, avec des délinquants, dont certains sont menottés et accompagnés de policiers (qui sont parfois eux-mêmes employés pour faire hospitaliser les malades psychiques), ne constituent pas des conditions humaines pour ces personnes malades, qui ne comprendraient pas la raison des conditions les assimilant à des délinquants, ce qui est le contraire même du but recherché.» Et comment accompagner des personnes délirantes, souffrantes, voire assommées par leurs médicaments? Comment garantir la confidentialité de l'audience et le secret professionnel?
La solution de l'hôpital n'est pas plus simple: d'abord, certaines juridictions font savoir qu'elles n'ont pas le personnel pour assurer au pied levé le déplacement d'un juge (à titre d'exemple, le tribunal de Caen devrait statuer sur quelque 400 cas par an). Alors, «le jour où le juge des libertés sera là, on assistera à un ballet d'ambulances dans l'hôpital..., poursuit Pierre-François Godet. Les directeurs devront dédier deux équipes complètes (deux équipages d'un ambulancier et deux infirmiers) à cette tâche, pour ne pas faire poireauter le juge entre deux patients, alors que les budgets de la psychiatrie publique sont déjà insuffisants».
Vu les effectifs de la magistrature et ceux de la psychiatrie, le législateur a trouvé une solution pour faire perdre le moins de temps possible à chacun: la visio-conférence organisée dans une salle du centre de soins! Une audience à l'issue de laquelle un procès-verbal est dressé «par un agent de l'établissement d'accueil désigné par le directeur de cet établissement, parmi les agents ayant préalablement prêté serment devant le tribunal de grande instance», précise le décret. «Nous savons que la visio-conférence va faire délirer les patients qui auront ainsi l'occasion de renforcer leur conviction (d'être suivis, épiés, pistés, persécutés...). A ces hommes et femmes qui ont décroché de la réalité et de la capacité à rentrer en relation avec l'autre, on veut imposer une rencontre virtuelle avec le Juge...», prévient le texte d'une pétition mise en ligne. «Pour le patient qui présente en général un trouble sérieux du rapport à la réalité ou un trouble grave de l'estime de lui-même, proposer une audience filmée, c'est du grand n'importe quoi», renchérit Pierre-François Godet.
Ensuite, le nombre de certificats commence à effrayer les administrations hospitalières: Patrick Chemla, psychiatre et membre duCollectif des 39 qui, depuis deux ans et demi, lutte contre ce texte de loi, chef de service à la clinique Henri Ey à Reims, rapporte qu'«ici, l'administration crève de trouille. D'un côté, ils craignent que les patients fassent des procès et, de l'autre, ils ont face à eux des médecins effarés par la bureaucratie».
Alors certains organisent d'ores et déjà la résistance. «L'option d'une hospitalisation partielle de 23h/24h avec une heure de permission, seul, dans le programme de soins», pourrait être une alternative à la loi, suggère un psychiatre.
La fin de l'alliance thérapeutique
Dans cette effervescence, l'autre aspect du texte de loi passe presque actuellement sous silence. Pourtant, l'obligation de soins hors de l'hôpital (en ambulatoire) n'est pas le moindre des changements. Le patient faisant l'objet de soins sous contrainte n'est plus libre chez lui, sans pourtant que le législateur ait cru bon de faire intervenir ici le juge des libertés. Il devra se conformer à un programme de soins et, s'il y déroge, il sera sous la menace d'une ré-hospitalisation sous contrainte immédiate.
Dans bien des cas, ce sont les proches qui veilleront sur le patient, ravivant au moindre écart les angoisses et conflits. Car la loi a effacé d'un trait la fonction thérapeutique du lien qu'une équipe soignante entretient avec ses malades, oubliant que si le patient doit suivre son traitement, l'hôpital devrait aussi avoir l'obligation de suivre son patient. Et bien entendu, ce programme de soins devra être notifié au préfet, lequel doit être «informé, précise le décret, de (toute)modification lorsque celle-ci a pour effet de changer substantiellement la modalité de prise en charge du patient». Modification que le représentant de l'Etat a tout pouvoir de récuser. Comme si les médecins étaient laxistes...
Ils n'ont pas attendu ces décrets pour intimer des soins à un patient hors de l'hôpital et pour mettre à l'épreuve son comportement: les sorties d'essai d'une journée, d'un week-end, étaient une façon d'éprouver la stabilisation des troubles et la capacité d'un patient à sortir d'une hospitalisation sous contrainte. Une sorte de contrat moral aussi. Mais aujourd'hui, les sorties d'essai ont disparu, seules sont autorisées des sorties de 12 heures accompagnées par deux soignants ou une personne de l'entourage du patient.
Aujourd'hui, il n'y a plus d'entre-deux, plus de passerelles entre le dedans et le dehors. Et seule la surveillance dicte ce que cette loi appelle les «soins».
«Il semble que la réflexion ne soit pas aboutie, tant sur la question du contrôle par l'autorité judiciaire de la mesure de contrainte que sur celle de la gestion de la contrainte à l'extérieur de l'hôpital psychiatrique», écrivait en avril dernier la Commission nationale consultative des droits de l'homme, instance chargée de conseiller le gouvernement. Quatre mois plus tard, les textes ne sont pas plus explicites.
Et ce n'est guère étonnant compte tenu de la genèse de cette loi. Elle fut décidée et annoncée fin 2008, lorsque, après un drame terrible (un patient sortant d'un hôpital psychiatrique avait poignardé un étudiant à Grenoble), Nicolas Sarkozy annonça une réforme des soins sous contrainte afin de «protéger la société» des malades mentaux. Faisant fi du fait que «seuls 2,7 % des actes violents sont commis par des personnes souffrant de troubles psychiatriques», comme le précise le rapport Violence et santé mentale remis en 2005 au gouvernement; faisant fi du fait que «le risque absolu d'être tué par un schizophrène inconnu est le même que le risque d'être tué par la foudre: ce risque existe donc, mais il est de un sur dix millions», comme le souligne Pierre-François Godet; faisant fi des 650.000 schizophrènes vivant en France qui, soudainement, se sont vues portant l'étiquette de «dangereux».
Cette loi fut faite pour nourrir la peur et la méfiance des individus les uns envers les autres et justifier encore plus de dispositions sécuritaires.
Ironie du sort, elle risque de ne pas atteindre totalement son but. Par un effet boomerang, certains psychiatres constatent d'ores et déjà une levée plus rapide des actuelles HO. Des médecins voulant éviter les complications, et notamment l'intervention du juge des libertés à l'issue de quinze jours d'hospitalisation, signeraient plus vite le certificat mettant fin aux soins sous contrainte. On pourrait s'en réjouir. Encore faudrait-il que cela soit véritablement par souci thérapeutique et dans l'intérêt du malade.
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