vendredi 5 août 2011

La famine en Afrique de l’Est vue par les médias à grand public.


Ce matin, j’ai mangé, bu et fumé. Nous l’oublions trop souvent, mais sur cette Terre, cette action banale du quotidien est un luxe que des millions d’individus ne peuvent se payer. En fait, je ne me suis pas simplement rassasié. J’ai aussi honoré l’Empire en allumant le télécran qui a voulu rentrer dans mon cortex cérébral les codes pour comprendre pourquoi et comment la faim ravage l’Afrique de l’Est. Une espèce de journaliste formaté expliquait que dix millions d’africains vont mourir à cause du soleil et de la sécheresse. Ce raccourci idéologique et déontologique qui n’a absolument rien de logique, me rappelait tristement les préceptes indéboulonnables de la religion d’État qui expliquerait par exemple la précarité des chômeurs par l’argument d’une simple flemme passagère. J’ai éteint le télécran cathodique. Il ne montrait que des prédateurs calculateurs et manipulateurs s’accaparant le monopole du monde en buvant le sang des Hommes. Écœuré, je suis quand-même allé terminer ma pitance du matin.

Ce que j’ai ingéré, a été récolté et produit par des entreprises étrangères (européennes, chinoises) dans des pays où la majeure partie de la population se meurt, parce que l’argent des exportations ne revient pas aux producteurs. Ils produisent, nous nous bâfrons et gaspillons. Ils travaillent, nous leur confisquons ce qui leur faut pour vivre : devises, salaires, et ressources naturelles. Les plus fragiles meurent de faim par l’avidité des spéculateurs, et les médias accusent le soleil.

Bien évidemment, nous, petits pions occidentaux, sommes presque autant responsables de la famine en Afrique qu’un enfant palestinien ne l’est de la colonisation israélienne. Je n’écris pas ces lignes pour inciter à une flagellation collective de se punir d’avoir contribué à maintenir la faim dans le monde par nos modes de consommation outranciers. Nous vivons dans une société du lucre et du superflu qui ne cesse de saccager et piller les dominés pour le bien-être d’un petit quart de la population. 18% de blancs occidentaux contrôlent 85% des richesses mondiales en 2008. Comme le rappelle Jean Ziegler (l’Empire de la honte, 2005), « Les 500 plus grandes sociétés transcontinentales du monde ont contrôlé l’année dernière (en 2004) plus de 54 % du Produit mondial brut. Ces grandes sociétés ne s’intéressent absolument pas au sort des pays dans lesquels elles sont implantées, menant une politique de maximalisation des profits et asseyant leur pouvoir par la corruption des dirigeants. Nous vivons la reféodalisation du monde ».

Bien souvent, les États qui ont été décolonisés, trop pauvres pour développer leur souveraineté économique, multiplient les prêts bancaires auprès des institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale) depuis plusieurs décennies, et sont phagocytés par le poids des intérêts de la dette et les plans d’ajustements structurels. Tout le PIB de ces États (Somalie, Éthiopie, Kenya) est ainsi destiné au service de la dette. Entre temps, l’OMC décida unilatéralement en 1995 qu’il serait désormais possible d’étendre la spéculation au secteur agricole. L’économie se privatise, l’État se débine comme une pelote de laine, et les ressources naturelles, y compris l’agriculture, deviennent un marché juteux à la solde des spéculateurs internationaux.

La logique économique néolibérale place le couteau sous la gorge de tous les petits producteurs. De deux choses l’une : soit l’exploitation du paysan tombe en désuétude parce qu’une entreprise étrangère s’installe et prend le monopole du « marché ». Soit il cède à la concurrence, et les gros trusts exproprient sa terre, ce que l’on pourrait qualifier de néocolonialisme économique. Dans un sens, le paysan meurt, dans l’autre, il trépasse. Question de nuances. De classes sociales, aussi…

L’agriculture vivrière, considérée comme archaïque et non rentable, se perd au profit de modes intensifs de production mécanisés dits modernisés, où une poignée de trusts agroalimentaires gavés d’investissements étrangers s’accaparent le marché agricole. Pire, des multinationales chinoises s’implantent en Afrique, et font plus de profits en important leur propre main d’œuvre et en rapatriant les capitaux, au lieu de vendre les produits sur le « marché » national et réalimenter l’économie locale.

Comment peut-on expliquer une famine par le simple argument de la sécheresse ? N’y en a-t-il pas dans les déserts de la Californie, du Texas, de l’Australie, de l’Argentine et dans les zones arides du bassin méditerranéen ? Je doute que les texans et les californiens, pour ne citer qu’eux, soient victimes de la famine.

Certes, la sécheresse qui frappe la corne de l’Est de l’Afrique semble sévère. Les déserts gagnent du terrain, les pluies se raréfient, donc cela influe évidemment négativement sur les récoltes. Mais il me semble que les dix millions de personnes menacées de famine souffrent davantage du manque de stocks plutôt que du climat. Le nord de l’Éthiopie et de la Somalie sont des régions fertiles et tropicales qui font partie des plus riches du monde en céréales et en légumineuses. Or justement, la majeure partie des récoltes des régions du nord est vouée à l’exportation dans des pays occidentaux (haricots, sucre, café, céréales, légumineuses, café). Produits qui sont bien souvent gaspillés ici, d’ailleurs. A cela, s’ajoute la spéculation des grandes banques et des fonds d’investissements sur les produits alimentaires, qui a pour conséquence une hausse drastique des prix, et les consommateurs n’ont donc plus d’argent pour s’alimenter.

En 2005, J. Ziegler expliquait que des milliers de femmes ne peuvent plus allaiter leur progéniture car victimes de malnutrition, elles ne produisent plus assez de lait maternel. Ce triste fait a produit l’aubaine et le bonheur de la multinationale Nestlé, qui commercialise le lait en poudre et le fait passer pour un palliatif nutritif pour les nourrissons. Le résultat, fut que des milliers d’enfants sont morts de faim à cause des carences en nutriments contenues dans ce produit, et de la hausse des prix décidée par le trust agroalimentaire une fois après avoir acquis le marché. Ainsi, ce palliatif faussement nutritif est vendu à des tarifs faramineux, que les ménages ne peuvent plus payer. Plus de lait maternel, plus de lait industriel, ou comment autogérer la misère pour profiter des morts. Les entreprises agroalimentaires et leur idéologie mercantile empêchent les pauvres de se nourrir, mais lorsqu’ils meurent, c’est à cause du soleil. Ou pire, ils sont fautifs de n’avoir pas voulu aller habiter ailleurs que dans un désert. Faut dire qu’ils sont stupides, ces africains, à naître là-bas, et non en Europe où l’on se bâfre inlassablement et sans faim…

Me direz-vous, l’auteur de ce texte n’invente rien, et répète ce que l’on sait déjà et ce sur quoi nous ne pouvons agir. A suivre la une des médias depuis quelques jours, la famine et ses véritables causes, le génocide de millions de gens organisé par les oligarques et l’idéologie capitaliste, est un sujet embarrassant. Alors, il est plus usuel et aisé d’accuser le soleil. C’est vrai que c’est plausible comme relation de cause à effets, tant l’équation soleil+sécheresse=famine n’est pas remise en cause…

La cause réelle de la famine subsaharienne est un sujet embarrassant, surtout à une époque où bizarrement, les peuples en effervescence entrent en ébullition collective, scandant les mêmes slogans et dénonçant les mêmes ennemis économiques de la Syrie à la Tunisie en passant par la Grèce, l’Italie, l’Espagne, Israël, l’Égypte et le Yémen. Seraient-ce les mêmes qui organisent la mise à mort de l’Éthiopie depuis un demi-siècle, qui prennent le « monde arabe » pour un paillasson, et qui spéculent en même temps sur l’Euro et sa dette ? J’ai ma petite idée. Et oui, il est difficile de publier que la famine éthiopienne et somalienne est due à la spéculation des grandes banques et que lorsqu’un consommateur français achète des céréales ou du café éthiopien dans un centre commercial à grandeur impériale, il contribue (minimalement) à la paupérisation des paysans. Il est difficile de médiatiser les causes de la faim, ou bien de suivre les mouvements insurrectionnels en bassin méditerranéens (dont Israël vient de saisir le système d’opportunité politique) lorsque l’on écrit au nom d’un Figaro, d’un Monde, de l’Express, du Point ou de Libération, quand le PDG est en lien direct avec les plus grandes multinationales de ce monde.

Dans cinq ou dix ans, la tâche sera difficile pour les médias d’expliquer la disette des anciennes classes moyennes en Europe du Sud ou aux États-Unis par le climat et la sécheresse. Quoique, le symptôme du réchauffement climatique peut toujours être ré-instrumentalisé et ressorti des tiroirs de la propagande ! Voilà à quoi sert l’omerta de la mafia médiatique : étouffer, apeurer, recracher le scoop, remâcher les petits potins de fait divers, pour produire un maximum d’écrans de fumée. Quatrième pouvoir vous disiez ?

Samuel Moleaud.


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