dimanche 18 septembre 2011

Empreintes génétiques: «Refuser le prélèvement, c'est aggraver son cas»


Le 28 juin 2011, le tribunal correctionnel de Compiègne relaxait le syndicaliste CGT Xavier Mathieu, figure emblématique de la lutte contre la fermeture de feu l'usine de pneus de Continental, à Clairoix, dans l'Oise, jugé pour avoir refusé de se soumettre à un prélèvement ADN.

Déjà condamné à 4000 euros d'amende pour avoir participé au saccage de la sous-préfecture de Compiègne en avril 2009, il risquait cette fois la prison avec sursis.

Une première pour un syndicaliste. Seuls des faucheurs volontaires d'OGM avaient jusqu'ici bénéficié d'une relaxe après un refus de prélèvement d'ADN. Après avoir créé en 2008 un délit spécifique de fauchage, le législateur a en effet oublié de l'ajouter sur la liste des infractions visées par le texte de loi sur le fichage des empreintes génétiques.

La dégradation de biens publics, elle, rentre bien dans le cadre du fichage ADN. Mais en s'appuyant sur la loi informatique et liberté de 1978, le tribunal de Compiègne a jugé «inadéquat, non pertinent, inutile et excessif» le recueil des empreintes génétiques d'un syndicaliste, condamné pour des «faits commis en plein jour, dans le cadre d'une manifestation organisée, (...) dans une démarche parfaitement lisible de combat syndical, et non dans une démarche à vocation purement délinquante et antisociale» (lire l'analyse de son avocate). Le parquet a fait appel.

«C'est un précédent intéressant car le tribunal, malgré son très peu de marge de manœuvre, a posé la question du caractère disproportionné du fichage et cette relaxe pourrait inspirer d'autres tribunaux», salue Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature.

«Ce sont ces refus de prélèvement qui créent une jurisprudence et permettent d'avoir un minimum de garanties par rapport à une loi qui offre une zone d'interprétation très large en matière de fichage ADN», se réjouit de son côté André Paccou, délégué en Corse de la Ligue des droits de l'homme. Le parquet ne s'y est d'ailleurs pas trompé : trois jours après la relaxe de Xavier Mathieu, il faisait appel.

Mais mis à part ces militants fortement médiatisés, combien de personnes, arrêtées pour des feux de poubelle, petits larcins,consommation ou détention de cannabis ou encore des appels malveillants, se risquent-elles à refuser le prélèvement de salive ? Car, mine de rien, le fichier est passé de moins de 2000 profils génétiques en 2002 à 1,7 million début juillet 2011.

Créé par la loi Guigou en 1998, trois mois après l'arrestation de Guy Georges, le tueur en série identifié grâce à son ADN, le fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) ne devait à l'origine contenir que les empreintes des violeurs et délinquants sexuels.

Par élargissements successifs, il concerne désormais presque tous les délits d'atteinte aux personnes et aux biens (à l'exception notable des délits financiers et de ceux propres aux politiques, aiment à rappeler ses détracteurs), sans exception d'âge pour les mineurs.

«Vu le texte et les infractions visées, du vol au proxénétisme, les individus mis en garde à vue sont quasiment systématiquement prélevés et inscrits au Fnaeg», explique Carlos Garcia, délégué national du Syndicat national des officiers de police (Snop).

Près de 80% des personnes fichées présumées innocentes
Selon la gravité des soupçons, l'officier de police judiciaire peutopter pour une simple comparaison de l'ADN du suspect avec les traces et profils déjà présents dans le fichier, ou, en cas d'«indices graves et concordants», demander qu'il soit enregistré dans le fichier. Dans ce cas, l'empreinte sera conservée 25 ans (et 40 ans pour les coupables).

Au 1er juillet 2011, seuls 21% des 1,7 million de profils enregistrés étaient ceux de personnes condamnées. C'est-à-dire que 79% des personnes fichées génétiquement en France sont de simples mis en cause, non condamnés et donc présumés innocents.

Selon le ministère de l'intérieur, l'efficacité du fichier (sa capacité à «matcher» des profils ou des traces) dépend de son fonds de roulement (le nombre de profils enregistrés). «Il y a donc une volonté ministérielle de faire un maximum de prélèvement et les personnels de terrain sont soumis à une forte pression», dit Gérard Lagarde, coordinateur police technique et scientifique du syndicat Unité SGP Police.

«Le prélèvement doit devenir une procédure aussi banale que l'est aujourd'hui la prise d'empreintes digitales», préconisait en 2005 unrapport de l'inspection générale de l'administration. Bons élèves, les gendarmes ont effectué en 2010 un prélèvement de salive sur plus de la moitié des personnes mises en cause pour des infractions entrant dans le champ d'application du Fnaeg, tandis que les policiers ne s'exécutaient que dans 25,5% des cas.

Mais impossible de savoir combien de personnes refusent de donner leur ADN. Faute de chiffre, il faut se pencher sur ceux des condamnations pour refus de prélèvement, passées de 245 en 2004 à 555 en 2009 (dont 83 à des peines d'emprisonnement ferme).

La plupart des condamnés sont de simples mis en causes (371 cas), plus rarement des personnes déjà condamnées pour un délit (167), et encore plus rarement pour un crime (21). C'est peu par rapport à l'inflation du fichier mais cela montre que, même pour de simples «mis en cause», des peines de prison ferme (autour de deux mois en moyenne) sont régulièrement prononcées en France pour refus de prélèvement ADN.

Les peines encourues vont jusqu'à un an de prison et 15.000 euros d’amende (deux ans et 30.000 euros dans le cas d’une personne condamnée pour crime). De plus, «la loi est particulièrement dure, car elle rend les éventuelles remises de peine impossibles en cas de refus de se soumettre au prélèvement», explique Gérard Lagarde, coordinateur police technique et scientifique au syndicat Unité SGP Police.

«Il y a une hypocrisie du système, remarque André Paccou, de la LDH. On ne peut prélever votre ADN sans votre consentement, mais le refus est considéré comme une infraction !»

A part les militants et «ceux qui se savent coupables et ont laissé des traces partout sur des cambriolages», les refus sont donc peu nombreux, selon Joël Alerte, délégué Unité SGP Police dans les Yvelines.

«Entre la peine et le montant de l'amende, ça calme généralement la personne, remarque cet ancien de la brigade de sûreté urbaine.En cas de refus, nous lui expliquons qu'elle aggrave son cas et, si elle persiste, nous faisons une procédure incident. En plus de l'infraction initiale, le gars peut se retrouver directement au dépôt et au bout de deux ou trois jours en maison d'arrêt, il réfléchit et dit "Prenez ma salive pour ce que c'est..."»
«Ne pas avoir d'ennui avec la police»

Membre du collectif des déboulonneurs à Rouen et condamné en 2007 à 1 euro symbolique pour barbouillage de panneaux publicitaires, François Vaillant, 59 ans, a vécu un parcours du combattant pour avoir «refusé d'ouvrir la bouche».

Neuf mois après sa condamnation, cet ancien prêtre, rédacteur en chef de la revue Alternative non-violentes, reçoit en 2008 une convocation du parquet lui demandant de passer au commissariat pour un recueil de ses empreintes.

«Très gentiment, on me conduit au premier étage dans une pièce ressemblant à une salle de dentiste, on me demande de m'asseoir et on tend un petit coton pour prélever ma salive, raconte-t-il. Je refuse. On menace de me mettre en garde à vue. Comme je suis militant, je sais que l'important est de rester calme et de ne pas avoir un mot de trop face à la police. Au bout d'une heure, on me fait sortir dans le couloir, un capitaine vient m'expliquer que je n'ai pas le droit de refuser, puis m'informe que ça allait chauffer et que j'allais être convoqué.»

François Vaillant est condamné le 7 décembre 2009 à une amende de 300 euros pour refus de prélèvement ADN (300 fois plus que pour les faits poursuivis à l'origine), une peine réduite en appel, en janvier 2011, à 1 euro.

«Une petite victoire, se réjouit-il. Mais chaque procès m'a coûté 4000 euros en frais de justice, je n'ai pu tenir le coup que grâce au réseau d'Alternatives non-violentes. Alors je comprends que les gens donnent leur ADN et préfèrent ne rien dire pour ne pas avoir d'ennui avec la police.»

Un lecteur, qui tient à rester anonyme, récemment mis en garde à vue pour vol à l'étalage, raconte un autre épisode tout aussi absurde. Ayant refusé d'être pris en photo et opposant le même refus au prélèvement biologique, il dit avoir dû faire face à la colère et à l'incompréhension non seulement des deux officiers qui l'interrogeaient, mais également de l'avocate commise d'office qui «(lui) avoue ne pas bien comprendre les raisons de (son) refus et (lui) conseille de revenir sur ce choix».

«Bien que complètement convaincu du bien-fondé de (sa) démarche», il dit s'être senti «déstabilisé d'être si impuissant et en territoire si manifestement hostile à mon attitude». Il repartira du commissariat avec un simple rappel à la loi concernant le vol et... une convocation au tribunal pour le refus du prélèvement ADN.

Les motivations des refus sont diverses. Xavier Mathieu objecte qu'«un syndicaliste n'a rien à faire dans ce fichier entre Marc Dutroux et Emile Louis». François Vaillant refuse lui d'alimenter un fichier «qui pourrait être utilisé n'importe comment si l'extrême droite arrivait au pouvoir».

Il s'appuie sur les recherches de généticiens, qui montrent que les 15 à 18 marqueurs génétiques utilisés par le Fnaeg peuvent livrer des informations sur les maladies, les prédispositions pathologiques ou l'origine géographique des individus.

En 2008, Mediapart avait d'ailleurs révélé qu'un laboratoire privé, l'Institut génétique Nantes Atlantique (IGNA), avait discrètement réalisé, à la demande de magistrats, des tests génétiques visant à déterminer l'origine «ethnique» de traces ADN laissées sur la scène d'un crime ou d'un délit.

Mais de façon très hypocrite, le ministère de l'intérieur continue cependant de feindre que l'empreinte ADN ne serait qu'un avatar de l'empreinte digitale. Comme l'écrit le commissaire honoraire Georges Moréas, «comparer le fichier ADN au fichier des empreintes digitales est malhonnête, car nos doigts ne laissent que la trace de nos doigts, et rien de plus. Dans nos gènes se trouvent nos origines, notre histoire, nos maladies, nos secrets...».
Très peu de plaintes

Mais de l'aveu même de Jean-Claude Vitran, de la Ligue des droits de l'homme, le sujet n'est «pas très mobilisateur». «Les personnes ne se rendent pas compte à quelle sauce elles vont être mangées, alors qu'on est véritablement dans le corps du délit, avec une donnée ultraconfidentielle et intime», estime-t-il.

Contrairement au Stic, systématiquement consulté par les autorités administratives pour l'embauche dans certains domaines (sécurité, aéroports, jeux, courses, etc.), le Fnaeg n'est accessible que dans le cadre d'une enquête judiciaire. «Donc, les gens fichés oublient assez vite puisqu'il n'y a pas de conséquence sur leur vie quotidienne», constate une substitut au procureur, en région, qui dit recevoir très peu de demandes de retrait, bien moins que pour le Stic ou le Judex (son équivalent dans la gendarmerie).

Selon la loi, les empreintes sont « effacées sur instruction du procureur de la République agissant soit d'office, soit à la demande de l'intéressé, lorsque leur conservation n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier». Un critère assez flou pour laisser toute latitude au parquet.

«En cas de relaxe à l'audience, nous faisons une mise à jour systématique du fichier, explique la substitut au procureur. Le procureur peut aussi retirer des gens à leur demande, par exemple des personnes prélevées en tant que suspects et non poursuivies ensuite. S'il s'agit d'un classement pour absence d'infraction, nous les enlèverons du fichier, mais, si le classement a été fait au bénéfice du doute, nous pouvons ne pas faire suite à la demande.»

En 2010, seulement quinze personnes ont exercé leur droit d'accès et de rectification auprès du service gestionnaire du fichier, la direction centrale de la police judiciaire.

Et la Cnil n'a été saisie que de neuf plaintes concernant le Fnaeg sur les trois dernières années. Une paille auprès des quelque 1400 demandes d'accès indirect au Stic qu'elle a traitées en 2008.

Avec son unité automatisée de génotypage au laboratoire d'Ecully (Rhône), sa double saisie, une procédure télématique, et un contrôle systématique du cadre juridique dans lequel les prélèvements sont envoyés, le Fnaeg se veut un fichier modèle, loin des errements de son lointain et géant cousin, le Stic, truffé d'erreurs.

«Le protocole est beaucoup plus sécurisé, assure Gérard Lagarde.On a utilisé dès la conception du Fnaeg les faiblesses rencontrées ailleurs dans le monde, notamment en Grande-Bretagne. La transmission télématique instaurée en 2006 permet d'éviter les dérives et donne une traçabilité pour chaque empreinte. Et tout prélèvement qui arrive à Ecully est systématiquement contrôlé sur le plan juridique: s'il ne rentre pas exactement dans le cadre de la loi, il est écarté.»

Même confiance du côté de la députée PS Delphine Batho, qui prépare un nouveau rapport sur les fichiers de police pour la rentrée 2011. «Le Fnaeg a une architecture différente du Stic, avec notamment une double saisie, c'est un fichier très satisfaisant», estime-t-elle.
«Un marteau-pilon pour casser une noix»

Le député communiste Pierre Gosnat a, lui, déposé, en septembre 2010, une proposition de loi visant à interdire le fichage génétique des militants syndicaux afin qu'ils ne soient pas «traités à l'égal de criminels et de terroristes».

«On ne remet pas en cause le besoin d'un fichier pour certains délits de biens communs, mais il faudrait mieux baliser ce qui relève de l'obligation pour les citoyens d'être génétiquement fichés», explique-t-il.

«On peut comprendre l'opportunité pour les crimes mais est-ce que les petits délits, du type outrage à agent ou tags, requièrent ce fichage pour 25 voire 40 ans, y compris pour les mineurs ?», demande également Nicolas Gallon, avocat de plusieurs faucheurs volontaires.

Pour Jean-Claude Vitran, «il est anormal que presque l'ensemble des délits entraînant une peine de prison permettent au policier de prélever votre salive. C'est prendre un marteau-pilon pour casser une noix. Les principes de proportionnalité et de finalité, au fondement même de notre démocratie, ne sont pas respectés.»

Sommés, avec la réforme de la garde à vue, de passer de la culture de l'aveu à celle de la preuve scientifique, les syndicats défendent eux «un bel outil».

Joël Alerte donne l'exemple récent d'un homme, interpellé et mis en garde à vue en juin pour un viol à la suite d'une enquête de voisinage classique. «On a fait un prélèvement et on a eu la réponse en moins de 48 heures, raconte-t-il. Quand le fichier vous dit que ça correspond à deux autres viols, sur les lieux desquels avaient été récupérés des mégots de cigarette portant son ADN, on dit bravo.»


«Quand on tombe dans la délinquance, on ne va pas tout de suite braquer une banque, on peut commencer par un petit vol avec violence, argumente Carlos Garcia. S'il n'est pas signalisé au Fnaeg, l'affaire ne sortira pas. En grossissant un peu, une petite affaire de rien du tout peut révéler un serial killer.»

Mais les policiers reconnaissent eux-mêmes que le tout ADN est inefficace. Certains délinquants, «joueurs», n'hésitent par exemple pas à truquer les scènes de crime en y transportant par exemple des mégots ramassés dans des lieux publics.

Pire, une équipe scientifique israélienne a démontré en août 2009 qu'il était aisé de contrefaire de l'ADN humain dans le but de falsifier des scènes de crime. «On peut ainsi créer sa scène de crime, affirme Dan Frumkin, auteur de l'étude, dans le New York Times. N'importe quel étudiant de licence en biologie pourrait y parvenir.»


«Il est certain que si on fichait toute la population françaises, cela augmenterait les résolutions des enquêtes, ironise Matthieu Bonduelle. Et la politique de systématiser le prélèvement et de pénaliser les refus va vers cette extension progressive du fichier.»

L'exemple du précurseur britannique et de sa base de cinq millions de profils (dont un million de personnes innocentées) est inquiétant.

Malgré une condamnation en décembre 2008 par la Cour européenne des droits de l'homme qui avait estimé que «le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes de personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions mais non condamnées» constituait «une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée», le ministre de l'intérieur britannique, James Brokenshire, semble prêt à tous les subterfuges pour ne pas renoncer à ces empreintes, parfois durement acquises.

Fin juillet 2011, il a affirmé qu'au lieu d'être détruits, comme promis par David Cameron, les profils génétiques des personnes innocentées seraient simplement anonymisés, déclenchant la colère des associations de défense des droits de l'homme.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire