Mission Accomplie !
Dans ce cri, célébrant la destruction, la pulvérisation de l’Irak, l’instauration de la démocratie et des libertés dans un pays en cendres, Bush exultait. Enivré d’autosatisfaction, sur un porte-avions dans la baie de San Diego face à la plus grande base aéronavale des USA, en Californie du sud.
En Libye, le tyran a été renversé. Son bras droit, intronisé chef du gouvernement provisoire au milieu des ruines du pays. Avec abnégation, pétri d’émotion, il est venu quémander cette semaine, à la tribune de l’ONU, une “aide alimentaire et matérielle” internationale pour son pays. La Libye en voie de “Somalisation”… Hourrah ! Alléluia ! Youppie ! On a gagné !
Cameron et Sarkozy, maîtres d’œuvre de l’opération militaire par délégation de l’Empire, n’ont pas dérogé au rituel colonial. Mais, plus téméraires, ils sont allés célébrer leur victoire en Libye. Sur le terrain de leurs exploits narcissiques, encadrés de leurs gorilles, de leurs propagandistes et de leur claque applaudissante, figurants aux poches bourrées de dollars.
Par prudence, il est vrai, en des endroits bien balisés et sécurisés. Bien sûr, ne sont jamais montrés à ceux qui appuient sur le bouton de la mort et des massacres, en signent les ordres d’exécution, les effroyables effets. Que des médias pourraient, accidentellement, montrer au JT. “Aseptiser le contexte”, disent les communicants galonnés… Dans nos médias “dominants”, tambours, trompettes, cymbales de la désinformation et de la propagande, reprenant en fanfare la glorification des promoteurs des bombardements humanitaires et libérateurs.
Toutefois, au cœur de ces mêmes médias quelques irréductibles, déterminés, tenaces, tels des Astérix de l’info, ont pourfendu la stupidité, le mensonge, le cynisme des castes au pouvoir : les caricaturistes. En France, où ces talents existent (1), peu de dessinateurs ont accès à une grande visibilité lorsqu’ils prétendent contester l’ordre établi, le politiquement correct : « Nous sommes magnifiques, les autres sont des barbares. Ils n’ont que ce qu’ils méritent »
Bâillonnés (2) ou censurés (3)…
Réduits, que nous sommes, à visiter des médias étrangers pour voir illustrer en ridicule cette prétention civilisatrice aussi hypocrite que violente.
The Guardian, par exemple, qui laisse les dessinateurs s’exprimer (en couleurs, en plus !) dans une totale liberté de ton. S’opposant à la ligne éditoriale de leur propre journal qui, depuis la guerre d’Irak, s’est complètement alignée sur l’idéologie fanatique de l’extrême-droite US, pudiquement appelée « néoconservateurs ». Bel exemple de diversité d’opinions au sein d’un même média.
Parmi ces talents, Steve Bell et Martin Rowson, ne cessant de dénoncer l’irresponsabilité et la voyoucratie de la nomenklatura britannique. Tout particulièrement le monde de la Finance ou de la City : les fameux Fat Cats, les “chats grassouillets”, s’empiffrant dans la spéculation et les privilèges fiscaux !
Petit échantillon de ce festival de courage et d’humour. Courage, sous le déluge de la propagande, pour démonter, dénoncer, fustiger, mégalomanie et infantilisme des dirigeants de nos pays. Humour, noir aussi, dans le regard stoïque face à leur stupide folie sanguinaire anesthésiée de Bonne Conscience…
Un dessin de Steve Bell sur la “libération bombardée” de la Libye. Sarkozy s’étant arrogé la fonction de « boss » de l’expédition coloniale, il l’a caricaturé en Napoléon. Reprenant le surnom de Sarkozy, ou l’image, souvent utilisés à l’étranger pour le représenter. Son alter ego dans cette opération, le premier ministre britannique Cameron, en Napoléon aussi, par clonage !
Arborant l’un et l’autre le nouveau drapeau de la “Libye démocratique”, qui était antérieurement celui de la monarchie libyenne. Cameron jetant derrière les conquérants, d’un furtif coup de talonnette, le drapeau de la Libye de Kadhafi. Jetons vite dans l’oubli les plantureux contrats et accords signés avec lui !
Martin Rowson a choisi de présenter les conquérants dans la lignée des légendes de Lawrence d’Arabie flanqué de ses compagnons d’aventures, sur des dromadaires. Libérant, soi-disant à l’époque, les pays arabes de l’oppression de l’Empire Ottoman…
Sarkozy y est coiffé du shako avec son protège-nuque des armées d’Afrique et de la Légion, son coursier harnaché du drapeau français. A l’extrême gauche du dessin, esquissée, la chevelure blonde représentant Hillary Clinton, aussi férocement belliciste que celles qui l’ont précédée dans les mêmes fonctions de ministre des affaires étrangères US : Condolezza Rice ou la sinistre Madeleine Albright.
Avec chacun, en tandem sur son dromadaire, son “révolutionnaire libyen” brandissant le “nouveau” drapeau de la Libye démocratique, qui n’est, comme on l’a vu dans la précédente illustration, que “l’ancien” de la monarchie corrompue renversée par Kadhafi. Etendard, symbole, aveu : surtout ne rien changer, pas d’innovation, faire du neuf avec de l’ancien… Excellente illustration du rôle des services spéciaux occidentaux, sponsorisant chacun un clan ou un gang, servant de couverture aux prédations locales de leurs maîtres.
Notons le militaire britannique, en bas à droite du dessin, sous son casque colonial en uniforme rouge des années de gloire de l’empire Victorien, sollicitant les militants de demander à Cameron de s’occuper de son armée le week-end. Du fait des économies budgétaires, des licenciements d’hommes de troupe sont, en effet, programmés par le gouvernement britannique. Expliquant son geste distributeur des formulaires P45, qui sont ceux des demandeurs d’emploi…
Les smicards de la guerre deviennent de moins en moins nécessaires. La guerre de conquête est fondée, à présent, sur la haute technologie. Electronique, informatique et télécoms, drones et missiles de croisière, forces spéciales et mercenaires spécialisés, propagande et désinformation : finis gros bataillons et godillots !
Un autre caricaturiste britannique s’est mobilisé contre l’intervention des pays occidentaux. Exceptionnel militant de la paix et de la justice : Leon Kuhn. Ses dessins présentent la particularité de mêler photos et dessins.
Dans un impressionnant montage, il évoque les massacres d’innocents, victimes des bombardements aveugles de l’OTAN. Tout le monde se voilant la face. Mettant en scène l’hypocrisie des politiciens représentés par Cameron, (Whitehall désigne le Parlement et Downing Street, bureaux et résidence du premier ministre), dissimulant, sous des discours de prouesses militaires et d’aide humanitaire, la sauvagerie des massacres et destructions.
Rappelons que Cameron se veut un des plus fervents donneurs de leçons de droits de l’homme et de civilisation au reste du monde. Son dernier discours à l’ONU est une éclatante démonstration du cynisme sanguinaire de l’oligarchie occidentale (4).
Le drapeau britannique, totem de gloire et de panache, est ainsi utilisé pour cacher des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants. Recouvrir, étouffer, dissimuler, occulter… D’où le titre du dessin : The Cover Up.
Leon Kuhn décrit, dans un autre dessin, le nouveau gouvernement Libyen : Front Bench. Référence aux premiers rangs du Parlement britannique, de part et d’autre du pupitre du président de séance, occupés par les responsables gouvernementaux et, face à eux, les responsables de l’opposition (Shadow Cabinet).
En Libye, ceux qui vont diriger le pays : les soldats de l’OTAN avec leurs armes et uniformes. Exécuteurs des lobbies de l’armement, du pétrole et des BTP. Sur l’épaule droite des trois soldats au premier plan, les drapeaux de leur armée respective, de gauche à droite : France, USA et GB. L’un d’eux tient entre ses mains un dossier intitulé : « contrats pétroliers »…
Pour terminer, une illustration de ce que tout le monde a compris, l’Occident colonial veut s’en mettre plein les poches, du moins sa ploutocratie, quitte à plonger le pays dans la misère, la guerre civile. Le pomper jusqu’à extinction de ses ressources. Jeter l’écorce, après en avoir extrait tout le jus...
Victor Kremlev, de l’excellent média Russia Today (RT), a parfaitement résumé le véritable enjeu, la programmation du pillage, dans un dessin évoquant les partages coloniaux des siècles antérieurs.
Sur fond de puits de pétrole, grande bagarre entre compagnies pétrolières occidentales pour se partager le gâteau. Un “révolutionnaire libyen” stupéfait de voir les occidentaux rivaliser pour se partager les dépouilles du pays, sans un regard pour lui. Sans aucune considération pour le projet actuel de son peuple, son avenir. Essayant de rappeler à la réalité les prédateurs, du moins la sienne :
« Hé les gars, vous n’auriez pas vu Kadhafi, par hasard ? »
Dessins, caricatures, fulgurantes analyses en fait, décrivant l’immuable ordre du monde. Avec sa nouvelle sémantique, sa nouvelle rhétorique, que La Mère Pipe dans la pièce Tueur sans gages (5) d’Eugène Ionesco, avait clairement formulées dès 1958 (6) :
« Nous n’allons plus persécuter, mais nous punirons et ferons justice. Nous ne coloniserons pas les peuples, nous les occuperons pour les libérer. Nous n’exploiterons pas les hommes, nous les ferons produire.
La guerre s’appellera la paix…
La tyrannie restaurée s’appellera discipline et liberté. Le malheur de tous les hommes c’est le bonheur de l’humanité ! ».
___________________
(1) Exemple Emmanuel Chaunu (http://chaunu.fr/). Voir aussi le site collectif d’un groupement de professionnels du dessin de presse : http://www.caricartists.com/public/pages/caricaturistes_accueil.php
(2) En France, dans un grand quotidien matinal, propriété d’un richissime industriel, un caricaturiste est payé (le propriétaire actuel l’ayant “trouvé” dans les “actifs” du quotidien, au sens comptable et financier, lors de son rachat) avec interdiction de publier le moindre dessin. Motif invoqué : le propriétaire n’aime pas les caricatures…
(3) Pendant l’invasion et la destruction de l’Irak, même un journal satirique bien connu “s’autocensurait” en s’interdisant la publication de toute caricature mettant en cause comportements et carnages démesurés des forces de la coalition, notamment US…
(4) Cf. le discours du prince héritier d’Espagne lors du VII° Congrès International des Victimes du Terrorisme, tenu à Paris (15 – 17 septembre 2011) :
« Rien ne justifie la barbarie ».
Rien que l’édification et le maintien de l’Empire espagnol, du XV° au XX° siècle, a provoqué la mort de dizaines de millions de personnes. Une des plus violentes, cruelles, inhumaines, colonisations de l’Histoire de l’Humanité. Au minimum, rien qu’en Amérique latine plus de 200 millions de victimes, non compris les victimes du trafic d’esclaves à partir de l’Afrique… Quant à la ’barbarie occidentale’ actuelle... « La Bonne Conscience »…
(5) 1re version, Théâtre II, Gallimard, Coll. « Blanche », 1958, pp. 59–171.
(6) Eugène Ionesco, Tueurs sans gages, Editions Gallimard, Folio Théâtre, 1958/2003, Acte III, pp. 131-132.
(2) En France, dans un grand quotidien matinal, propriété d’un richissime industriel, un caricaturiste est payé (le propriétaire actuel l’ayant “trouvé” dans les “actifs” du quotidien, au sens comptable et financier, lors de son rachat) avec interdiction de publier le moindre dessin. Motif invoqué : le propriétaire n’aime pas les caricatures…
(3) Pendant l’invasion et la destruction de l’Irak, même un journal satirique bien connu “s’autocensurait” en s’interdisant la publication de toute caricature mettant en cause comportements et carnages démesurés des forces de la coalition, notamment US…
(4) Cf. le discours du prince héritier d’Espagne lors du VII° Congrès International des Victimes du Terrorisme, tenu à Paris (15 – 17 septembre 2011) :
« Rien ne justifie la barbarie ».
Rien que l’édification et le maintien de l’Empire espagnol, du XV° au XX° siècle, a provoqué la mort de dizaines de millions de personnes. Une des plus violentes, cruelles, inhumaines, colonisations de l’Histoire de l’Humanité. Au minimum, rien qu’en Amérique latine plus de 200 millions de victimes, non compris les victimes du trafic d’esclaves à partir de l’Afrique… Quant à la ’barbarie occidentale’ actuelle... « La Bonne Conscience »…
(5) 1re version, Théâtre II, Gallimard, Coll. « Blanche », 1958, pp. 59–171.
(6) Eugène Ionesco, Tueurs sans gages, Editions Gallimard, Folio Théâtre, 1958/2003, Acte III, pp. 131-132.
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