La maîtrise de la langue française, parlée si possible sans accent, étant devenue un des éléments non négociables de notre profil national-identitaire, la plupart des têtes pensantes de l'UMP font actuellement des efforts méritoires pour enrichir leur vocabulaire. Une de leurs plus récentes découvertes est celle du substantif "allégeance", certes un peu désuet mais de riche sonorité. C'est probablement en cherchant à le replacer qu'ils ont inventé ce fameux "serment d'allégeance aux armes" qu'ils entendent imposer à "chaque jeune Français arrivé à la majorité, ainsi que tout demandeur de la nationalité française" - prêter ce serment revenant, comme on nous l'a expliqué, à "s'engager à servir sous les armes françaises si les circonstances l'exigeaient".
Avec cette lointaine référence au droit féodal - où l'allégeance régissait le rapport (on ne peut plus démocratique) entre un vassal et son suzerain -, on voudrait, nous dit-on, fonder le "patriotisme du XXIe siècle".
Tout cela semble bien plaire à monsieur Jean-François Copé, qui s'est fait le vibrant porte-drapeau du "serment d'allégeance aux armes"... Pour rester dans le même esprit, on pourrait peut-être lui suggérer - car on sait bien qu'il ne saurait penser à tout en même temps - de proposer que cet engagement soit prononcé au cours d'une cérémonieuse mise en scène républicaine (forcément républicaine) que l'on pourrait nommer "cérémonie d'adoubement".
dans le rôle des futurs anciens combattants.
Suivie d'un défilé mené par les enfants des écoles,
Dans leur article du Monde, Nathalie Guibert et Patrick Roger, qui doivent avoir des relations dans ces milieux en général peu causants, signalent que "certains officiers supérieurs" seraient enclins à trouver des "des relents maréchalistes" à cette initiative...
Il est possible que ces "officiers supérieurs", une fois identifiés, aient à répondre de leur mauvais esprit pour avoir évoqué les "heures sombres" de notre histoire.
Mais ils pourront toujours se défendre de tout amalgame scandaleux : ils n'ont pas posé la question de savoir ce qu'aurait bien pu signifier un "serment d'allégeance aux armes" au début des années quarante du siècle dernier, au moment même où un grand chef d'armée, doté des pleins pouvoirs, les avait justement déposées, les armes, invitant les Français à la mémoire courte à faire de même...
Autres réactions furtives :
Le ministre de la défense, Gérard Longuet, interrogé par l'AFP et Le Monde, concède que "le serment d'allégeance [le] gêne un petit peu". "L'idée est bonne, mais il faut travailler la sémantique", ajoute-t-il."Le mot d'allégeance ne me plaît pas", confirme à son tour Guy Teissier, président (UMP) de la commission de la défense de l'Assemblée nationale.
Mais profondes.
Car le problème sémantique est bien réel : le mot "allégeance", qui s'origine de deux manières différentes, est doté d'une sorte de binationalité de sens :
Allégeance 1 :
XII e siècle. Dérivé d'alléger. Soulagement, adoucissement (vieilli). MARINE . Dans une régate, une course, avantage en temps rendu par un bateau à un autre, de catégorie ou de série différente, afin d'égaliser les chances des concurrents.
Allégeance 2 :
XVII e siècle, comme terme du droit féodal. Emprunté de l'anglais allegiance, dérivé de l'ancien françaislijance, liejance, « état d'un homme ou d'une terre lige ». MOYEN ÂGE . Fidélité, vassalité de l'homme lige vis-à-vis de son suzerain. Serment d'allégeance. Par anal. Soumission. Refuser toute allégeance personnelle. Donner acte d'allégeance, faire acte d'allégeance, ou faire allégeance à un dirigeant, se rallier à lui, reconnaître son autorité. Faire allégeance à un parti. - DROIT . Obligation de fidélité à une nation, d'obéissance à un État.
On comprend aisément que cette situation ne faciliterait pas le travail sémantique dans les chambrées dotées d'un dictionnaire et que cela puisse gêner "un petit peu" le ministre de la Défense...
PS : Pour tourner le dos à tout ceci, je me suis retrouvé à relire encore (et encore) ce poème de René Char - qui ne fit aucun serment d'allégeance à qui (ou quoi) que ce soit, mais prit les armes le temps qu'il fallut.
C'est la dernière page de Fureur et mystère, qui regroupe des textes écrits entre 1938 et 1947 - dont lesFeuillets d'Hypnos .
Allégeance
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima ?
Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas ?
http://escalbibli.blogspot.com/2011/09/travail-de-la-semantique.html
Il est possible que ces "officiers supérieurs", une fois identifiés, aient à répondre de leur mauvais esprit pour avoir évoqué les "heures sombres" de notre histoire.
Mais ils pourront toujours se défendre de tout amalgame scandaleux : ils n'ont pas posé la question de savoir ce qu'aurait bien pu signifier un "serment d'allégeance aux armes" au début des années quarante du siècle dernier, au moment même où un grand chef d'armée, doté des pleins pouvoirs, les avait justement déposées, les armes, invitant les Français à la mémoire courte à faire de même...
Le maréchal, le voilà, à la mairie de Gonneville-sur-Mer (Calvados).
(Sur cette affaire de portrait qui s'incrustait sur les murs, voir Libé.)
(Photo : Mychele Daniau/AFP.)
Le ministre de la défense, Gérard Longuet, interrogé par l'AFP et Le Monde, concède que "le serment d'allégeance [le] gêne un petit peu". "L'idée est bonne, mais il faut travailler la sémantique", ajoute-t-il."Le mot d'allégeance ne me plaît pas", confirme à son tour Guy Teissier, président (UMP) de la commission de la défense de l'Assemblée nationale.
Mais profondes.
Car le problème sémantique est bien réel : le mot "allégeance", qui s'origine de deux manières différentes, est doté d'une sorte de binationalité de sens :
Allégeance 1 :
XII e siècle. Dérivé d'alléger. Soulagement, adoucissement (vieilli). MARINE . Dans une régate, une course, avantage en temps rendu par un bateau à un autre, de catégorie ou de série différente, afin d'égaliser les chances des concurrents.
Allégeance 2 :
XVII e siècle, comme terme du droit féodal. Emprunté de l'anglais allegiance, dérivé de l'ancien françaislijance, liejance, « état d'un homme ou d'une terre lige ». MOYEN ÂGE . Fidélité, vassalité de l'homme lige vis-à-vis de son suzerain. Serment d'allégeance. Par anal. Soumission. Refuser toute allégeance personnelle. Donner acte d'allégeance, faire acte d'allégeance, ou faire allégeance à un dirigeant, se rallier à lui, reconnaître son autorité. Faire allégeance à un parti. - DROIT . Obligation de fidélité à une nation, d'obéissance à un État.
On comprend aisément que cette situation ne faciliterait pas le travail sémantique dans les chambrées dotées d'un dictionnaire et que cela puisse gêner "un petit peu" le ministre de la Défense...
PS : Pour tourner le dos à tout ceci, je me suis retrouvé à relire encore (et encore) ce poème de René Char - qui ne fit aucun serment d'allégeance à qui (ou quoi) que ce soit, mais prit les armes le temps qu'il fallut.
C'est la dernière page de Fureur et mystère, qui regroupe des textes écrits entre 1938 et 1947 - dont lesFeuillets d'Hypnos .
Allégeance
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima ?
Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas ?
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