dimanche 31 juillet 2011

Dans le bus 47

Paris - Bus

Fin juin et début juillet à Paris. Un stage de quatre semaines. Trajet Place d'Italie-Château d'Eau le matin et Château d'Eau-Place d'Italie le soir. Du régulier, pour une fois. Quasi réglé comme du papier à musique. Donc recharger son passe Navigo pour la semaine tous les samedis. Il fait chaud. Les éventails reviennent à la mode. Les poignets retrouvent presque d'instinct ce geste saccadé et si féminin que nos grands-mères maîtrisaient en reines. J'adore le trajet qui traverse tout Paris. Avec le 27, le 47 est un de mes bus préférés.  Seuls bémols à la clé: les embouteillages, même si pour beaucoup les vacances ont commencé, et le boulevard Sébastopol qui me fait chaque fois rager avec ses km2 de locaux commerciaux à vendre ou à louer. Pareil sur le boulevard de Strasbourg, prolongement du Sébasto, et lui aussi, couverts de pancartes bariolées « à vendre » ou « à louer », et ce depuis des années. Pourquoi ne transforme-t-on pas ces bureaux vides en logements sociaux ? Serait-ce trop demander ? Juste un peu de bon sens et d'équité.... Incompréhension. Colère larvée.

Lectures. La plupart des gens dévorent 20 minutes ouMétro. « Béliers : tentez de réfréner vos impulsions, soyez plus diplomates. Amours au beau fixe. » « Balances : vous êtes préoccupés. Tâchez de vous ouvrir à d'autres, de vous confier. »  D'autres, c'est le Parisien. Les pages sports ou les micro-trottoirs.  Le Monde, ce sera au retour, par des voyageurs descendant à Cardinal Lemoine, Gobelins ou Maubert-Mutualité. Une scène étonnante vers Strasbourg-Saint-Denis : face à face, une femme antillaise aux cheveux gris et tirés  bien serrés en arrière, plongée dans« Comment toucher un lépreux », avec en face d'elle une jeune femme aux épaisses lunettes, le nez dans« L'empathie au cœur du jeu social » de Serge Tisseron. Une fois seulement une « tablette » : un jeune cadre lisant le New York Times sous l'œil attentif de ses voisins de banquette, presque incrédules. Les autres trifouillent leurs smartphones. Des jeux. Des mails. Des SMS. Des va-et-vient agiles des pouces pour monter ou redescendre des listes interminables de messages, de noms, ou de photos.... Leur vie.


C'est la saison des sandales à bouts ouverts. Une palette de couleurs de vernis à ongles sur les orteils. Du rouge, du  rose, du brun, du presque noir. Un peu de turquoise ou de violet aussi. Sans compter un bleu un peu métallique qui semble faire fureur. Beaucoup de foulards. De cabas colorés et folklos. Les hommes portent des polos ou des chemises à manches courtes, parfois avec cravate, parfois sans. Jean ou pantalon clair, écru, beige ou camel. Les sacs à dos sont de sortie, aussi, se cognant ici ou là aux voyageurs assis. Ça ronchonne. Ça s'engueule parfois aussi : « Mais vous pourriez laisser descendre avant de monter ! » « Ça vous ennuierait de pousser votre valise ? Vous ne voyez pas que vous bloquez le passage ? » Mais quelques fois heureusement aussi, ça échange quelques mots, ça se salue, ça se sourit.  « Peut-être à demain ?»  « En tout cas bonne chance pour votre entretien ! »


Un soir, de retour plus tard que d'habitude, la nuit était déjà tombée, un spectacle inouï. Deux hommes et une femme qui montent à Gare de l'Est soutenant une jeune femme quasi inerte, la jettent comme un paquet de linge sale sur un siège, près de l'entrée, la redressent brutalement par les épaules de la veste alors qu'elle allait glisser et se carapatent à toute allure juste au moment où la porte allait fermer et le bus redémarrer. Le tout n'a duré quelques secondes. C'est une Asiatique, la trentaine, plutôt bien habillée. On est plusieurs à s'approcher d'elle. Elle nous repousse de la main. Murmure « tout va bien ». Et s'endort. On prévient le chauffeur. Il opine : « J'ai l'habitude. » L'habitude....


Il y a la femme aux sacs, aussi. Une habituée. Une femme entre deux âges, toute voûtée, qui semble ne jamais arrêter de marmonner pour elle seule. Monte à Banquier, avec une multitude de sacs en plastique quadrillé ou à fleurs, type cabas pour faire le marché. Descend juste après Châtelet. Et passe tout le trajet à placer et déplacer ses sacs, les redresser, les changer de place, les entasser, les ramasser. Elle s'installe à l'endroit où se mettent généralement les poussettes ou les voiturettes des handicapés et dès que l'une ou l'autre vient à monter, elle s'exécute obligeamment en continuant à marmonner : un sac, puis l'autre, puis l'autre encore, quelques mètres plus loin. La pile vient à s'écrouler. Et elle de ramasser.... Arrivée à sa station, elle rassemble le tout et prouesse incroyable : arrive à concentrer toutes les anses de tous ses cabas dans ses deux mains. Et elle s'éloigne, en boîtillant, en marmonnant, toujours voûtée. Elle seule sait.


Mon stage est fini. J'y aurai beaucoup appris et suis ravie. D'autant qu'il s'agissait pour l'essentiel de nouvelles technologies et que je me sentais tout sauf une « geekette », comme on dit. Découvert mieux tout un quartier aussi, celui de la rue des Petites-Ecuries, avec ses coiffeurs africains et leurs « rabatteurs », ses manucures chinois, ses restaurants turcs, pakistanais, kurdes ou vietnamiens. La rue d'Hauteville et ses fourreurs grecs. La rue de Paradis et sa vaisselle. Le boulevard de Strasbourg et ses produits pour peaux noires ou pour cheveux crêpus. Le Passage de l'Industrie et ses articles pour salons de coiffure. Le passage Brady, Bollywood-sur-seine. Les bazars. Les marchands de journaux. Les pharmacies. Les taxiphones pour téléphoner à bas prix à l'étranger. Une immigration métissée comme jamais dans Paris : toutes les origines semblent cohabiter et se respecter.. Mais les travaux aussi. Les bâches. Les échafaudages qui bouffent les trottoirs étroits. Les camions de livraison arrêtés en pleine rue et les concerts de klaxons.  A découvrir vite avant que les bobos qui rachètent un à un tous les appartements aient tout transformé et affadi.


Quant au 47, je n'ai plus de raisons de le prendre tous les jours. Mais il reste gravé lui aussi : son trajet, ses habitués, ses scènes inattendues, les dialogues que j'ai pu y nouer, les bouchons, le chauffeur trop brusque qui semblait avoir chaque fois fait un pari horaire et envoyait  régulièrement tout valdinguer dans la travée, les autres, qui attendaient gentiment lorsque quelqu'un arrivait en courant pour ne pas le louper. Moi, bien souvent.


Après leur avoir dit tous les matins et tous les soirs cinq jours par semaine « Bonjour ! », aujourd'hui, je leur dis juste « Merci ! ». Et « à bientôt, sûrement ! » Oui, sûrement. Même si à d'autres heures et autrement....
http://blogs.mediapart.fr/blog/grain-de-sel/120711/dans-le-bus-47
photo : http://flic.kr/p/4vqeTH

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire