dimanche 31 juillet 2011

Une histoire de fous

Je me vois comme un colonel sans armée. Qui n’en a aucune parce qu’il est le meilleur et nulle d’entre elles ne saurait accueillir un tel génie. Je suis également le général et l’amiral de mon monde sans hiérarchie. Je ne prélève pas d’impôts, je me suffis de mes moyens et de ma génialité. Je ne recrute pas, je me sers moi-même dans un esprit de solidarité. Loin d’être individualiste, je collabore avec la collectivité dont je suis le seul membre. Personne ne me craint parce que je suis modeste et discret.
Je me suis engagé dans la carrière dont je suis l’auteur vers l’âge de vingt ans après une grave dépression. J’ai littéralement grimpé au plafond et suis parti faire le tour du monde.
1994

Quelques temps plus tôt, j’avais passé les examens d’engagé volontaire pour me faire embaucher dans les sapeurs pompiers de Paris. Je suis arrivé en tête parmi les candidats. Mais le capitaine qui m’a reçu à la fin des trois jours voulait m’envoyer à Saint-Cyr pour que je suive une formation militaire comme officier. Or, tout ce que voulait Christophe, c’était rentrer dans les sapeurs pompiers de Paris. Finalement, on m’a dit que j’étais trop léger et qu’il fallait que je prenne du poids. Je n’ai pas compris tout de suite que ça pouvait s’apparenter à une fin de non recevoir voilée, aussi je me suis mis en tête d’aller régulièrement chez Quick manger des hamburgers entre mes exercices d’athlétisme et de gymnastique. Je n’ai pas réussi à prendre un seul kilogramme et au bout de quelques mois j’ai lâché l’affaire.

Je craignais quand même que certaines de mes mœurs que j’entretenais en secret me vaillent quelques problèmes au sein de la brigade, si elles étaient découvertes. Faut dire aussi que j’étais un bisexuel caché mais bon, à cette époque j’étais encore un jeune puceau.

Bref, quelques temps après cela, en 1994, d’un seul coup, je me suis senti armé d’une force monstrueuse et d’une terrible envie de faire le tour du monde par tous les moyens.  J’ai pris mon carnet de chèques et ma carte bleue (dont je n’avais même pas le code) et je suis parti sans bagages.

C’est en Allemagne, dans l’hôtel d’un aéroport de Francfort que j’ai commencé ma route. Et à vrai dire c’est aussi à Francfort que mon voyage s’est terminé.
Je me suis assis sur le lit de la chambre d’hôtel. Je suis resté là quelques minutes puis j’ai décidé d’aller allumer la télévision. Et là plus rien, trou noir total. Je me suis retrouvé le matin sur le lit, imprégné d’une odeur nauséabonde et ne sachant ni ce que je faisais là, ni qui j’étais.

Je ne sais plus trop ce qu’il s’est passé, mais je sais que j’ai entrepris de fouiller mes affaires. J’ai trouvé sur moi mon carnet de chèque, ma carte bleue, ma carte d’identité, une carte de service militaire, quelques adresses et numéros de téléphone, et un exemplaire de l’Humanité.

Je décidais de sortir de la chambre. Oui, apparemment, j’étais bien dans un hôtel, mais aussi j’étais vraisemblablement en Allemagne, me disais-je. Je me suis aperçu que je savais parler Allemand. J’ai réussi à trouver la réception et là, et là je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai tout simplement demandé la note en indiquant le nom que j’avais trouvé sur la carte d’identité. Accessoirement, j’ai demandé si on pouvait m’envoyer un psychiatre, mais l’employée n’avait ni l’air d’en comprendre la raison ni l’intention de le faire. Alors je suis parti de l’hôtel.

Il me semble qu’il me manque encore des souvenirs, mais je me souviens que j’ai trouvé un taxi à qui j’ai demandé de m’emmener au centre ville – mais je ne savais pas laquelle. En voyant les panneaux sur la route, j’ai compris que nous étions à Francfort. Il m’est revenu en tête que la maison de Goethe se trouvait dans cette ville. Alors je lui ai demandé de m’y conduire. Je ne sais plus trop ce qu’il s’est passé ensuite (je me souviens juste du consulat des USA et d’un diplomate blond) jusqu’à ce que je me retrouve à la réception d’un hôtel pour demander une chambre. Comme j’émanais la puanteur, bien sûr, la réceptionniste a refusé. Alors j’ai demandé à voir un psychiatre. Elle m’a demandé de sortir de l’hôtel. J’ai vu des escaliers sur ma gauche et je m’y suis engouffré en courant. Au troisième étage, j’ai ouvert la fenêtre et me suis mis sur le rebord en criant qu’on m’envoie ce maudit psychiatre que personne ne voulait m’envoyer. Et bien, on m’a envoyé la police. J’ai été déséquilibré alors j’ai sauté en pensant pouvoir m’échapper en courant. Je me suis retrouvé en bas à plat et je me suis mis à hurler. La première réaction du flic arrivé pour constater l’accident à été de m’enlever ma montre. Les secours ne sont même pas arrivés deux minutes après.

À nouveau, ma mémoire est défaillante, mais je me souviens qu’il faisait nuit lorsqu’on m’a sorti d’une de ces ambulances blanches et qu’il faisait jour quand on m’a emmené en Hôpital Psychiatrique dans une ambulance rouge avec une jolie ambulancière blonde. C’est un peu confus, mais je sais que la mémoire revenait vaguement et que je racontais des histoires sans queues ni têtes.
Je peux raconter avec certitude la suite des événements à partir de mon retour en France dans un HP de la région parisienne. À mon entrée dans le service, j’avais encore un peu plus retrouvé la mémoire.

Quand je me suis aperçu que le psychiatre posait des questions directives, je n’ai pas trop eu envie de collaborer avec lui, pour faire un euphémisme. Et de toute façon, il me manquait des éléments (et il m’en manque encore) sur mon séjour en Allemagne et encore quelques-uns sur mon passé.

Moi, je lui ai expliqué que j’étais parti pour faire le tour du monde, que j’avais des TOC et lui m’a expliqué que non, ce n’était pas ça du tout, qu’il ne fallait pas que je le dise sinon il me garderait six mois, que moi mon problème, c’était le cerveau qui se fend en deux (il a dit ça !) alors on allait régler ça en un mois et demi. J’ai compris tout de suite que si je voulais sortir rapidement, fallait que je sois schizophrène et pas autre chose. Ça tombait bien, j’avais lu des livres sur la schizophrénie et je m’en souvenais assez correctement.


2005

Je ne me suis jamais senti aussi puissant et aussi important qu’en mai 2005. Je marchais 40 kilomètres par jour sur les routes, je faisais des calembours, j’envoyais des codes binaires mathématiques à ma copine et j’avais très envie d’envoyer ma bagnole à la casse.
Autant dire que là aussi je me suis retrouvé en psychiatrie et une fois encore, quelle histoire rocambolesque !

Le médecin, qui ne manquait pas de se vanter d’avoir vingt ans de métier, m’a expliqué qu’il n’avait pas besoin de m’écouter (et en plus qu’il n’avait pas le temps) puisqu’il savait déjà ce que j’avais. J’allais prendre un traitement et en six mois on aurait réglé ça.
J’ai  jamais vu de ma vie une équipe aussi bête et aussi brutale.

Un des infirmiers, après s’être montré genre je suis sympa, sortait de ma chambre en criant « Ah il veut avoir chaud, bah avec nous il va avoir chaud ! ».
Un homme de ménage faisait les gros bras et tentait de s’improviser soignant. Quand je dénonçais cela au personnel infirmier, on me répondait « Les personnels de ménage font partie de l’équipe ». Je demandais s’ils avaient une formation, « Ça vous regarde pas ! Ils font partie de l’équipe ! ».

Une autre femme de ménage refusait de faire le ménage dans ma chambre et ne manquait pas une occasion de me sadiser. Je lui demandais ce qu’elle faisait dans cet hôpital, « Je suis là pour vous soigner », répondait-elle.
Un autre jour, je demandais à l’homme de ménage qui faisait les gros bras de bien vouloir ouvrir la douche et d’être correct avec moi. Je me demande bien ce qui  lui a pris, mais il est sorti d’urgence de la chambre. Quelques minutes ont passé et il s’est ramené avec une dizaine de personnes, dont des employés des espaces verts. Je me suis retrouvé couché dans la chambre d’isolement où on m’a arraché le pantalon et les chaussures avant de me piquer.

Je crois que c’est là l’essentiel, pour le reste, la bassesse du comportement du médecin si sûr de lui et de « l’équipe » de minables ne mérite même pas d’être racontée.
La seule chose que je soulignerais, c’est que le médecin voulait absolument que j’entende des voix, c’était une véritable obsession chez lui. Il m’a harcelé pendant deux ans pour tenter de me le faire avouer de force.


After Shave

Tout mon parcours en psychiatrie a été une gigantesque farce kafkaïenne sauf en libéral. Il serait difficile de tout raconter depuis 1994 en entrant dans les détails.
Je suis aujourd’hui fraichement diagnostiqué bipolaire de type 1 par un médecin en libéral après des années de comportements médicaux d’Etat qui pourraient relever du refus de soins et de l’abandon. J’ai enfin un traitement approprié avec lequel je me sens mieux et que j’ai envie de prendre.

Dans tout ça, j’ai retenu que les médecins hospitaliers font des diagnostics à la tête du client sans même se préoccuper des symptômes. Ils font le diagnostic d’abord et imaginent les symptômes ensuite. Quelle connerie la psychiatrie hospitalière !
Une consultation hospitalière en ambulatoire dure cinq minutes quant ce n’est pas deux ou trois. Comment voulez-vous dans ces conditions que les patients instaurent une relation de confiance avec le médecin ? Comment voulez-vous qu’ils aient confiance en la médecine ?

Pensez-vous qu’un patient peut avoir envie de suivre le traitement que lui prescrit un médecin, qui le diagnostique en refusant de l’écouter ou en lui expliquant qu’il ne faut pas qu’il dise ce qui lui arrive ?
C’est un peu facile de faire comme le gouvernement qui vote des lois répressives contre les malades, en refusant d’admettre que la psychiatrie est dans un état lamentable. C’est un peu facile de monter des faits divers en épingle pour faire passer tous les malades pour des coupables qui refusent de se soigner pour le plaisir.

Enfin bon, c’est une histoire de fous mais on ne va pas en faire une maladie.


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